Physique

Le laser gamma

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net 

© Hubert RAGUET/LKB/CNRS Photothèque (1)

L’Union européenne le cite comme l’un des 30 problèmes les plus importants en physique: la mise au point d’un laser gamma. Des avancées significatives semblent avoir été réalisées grâce à l’utilisation d’atomes froids 

Cela nous paraît tellement évident que nous ne nous posons plus la question: le laser est un dispositif qui produit un rayon lumineux cohérent dans le temps et l’espace (les ondes et les photons associés se propagent en phase). Et par lumineux, nous entendons bien sûr lumière visible. Pourtant, il aurait fallu se méfier: le terme laser (light amplification by ­stimulated emission of radiation) ne provient-il pas de son prédécesseur, le maser ? Autrement dit, un même type de dispositif qui ne focalisait pas la lumière visible mais bien des… micro-ondes. Le spectre électromagnétique s’étendant bien au-delà et en-deçà des longueurs d’onde de la lumière visible, pourquoi en effet ne pas imaginer des «lasers» qui fonctionneraient avec d’autres sources ? Imaginer est facile, ­réaliser l’est beaucoup moins, ne serait-ce que parce qu’il faut ­commencer par ­disposer de sources de ces autres rayonnements et qu’il faut ensuite les manipuler. C’est ainsi qu’il existe déjà des lasers dans l’infrarouge et l’ultraviolet et même aussi, depuis peu, des lasers à rayons X. Mais toujours rien du côté des lasers gamma (γ).

Voici quelques années, l’Union européenne a donc lancé son projet GAMMALAS afin de ­réaliser un tel appareil. Rappelons que les rayons gamma sont des rayonnements de très petite longueur d’onde (moins d’1 picomètre, 10-12 m) et donc de haute fréquence (au-delà de 1017 Hz) et très énergétiques. Ils sont d’origine nucléaire c’est-à-dire dus à des phénomènes se produisant dans les noyaux des atomes (la désexcitation d’un noyau par exemple). Le site de la recherche européenne, Cordis, vient de donner quelques précisions sur l’avancement des travaux, citant un article publié en toute fin d’année dernière dans Physics Letters B (2) mais détaillant des résultats obtenus l’année précédente. Dans l’article, des chercheurs anglais – mais qui collaborent étroitement avec des Finlandais car c’est en Finlande que les installations expérimentales sont situées – annoncent avoir imaginé un système pour produire une génération cohérente de photons γ à partir d’un condensat de Bose-Einstein d’atomes isomères de Césium 135.

Imagerie d’un condensat de Bose-Einstein: à gauche, les vitesses des atomes sont encore fort variées, c’est encore un gaz «normal». Au centre, de plus en plus d’atomes ont la même vitesse et c’est encore davantage le cas pour le pic de droite: c’est le cas du condensat, les atomes ont quasiment tous la même vitesse («marchent» d’un seul pas) au même endroit.

L’endroit le plus froid de l’univers

L’idée des physiciens est de refroidir des atomes de Césium jusqu’à 100 nanokelvins (10-7 K), produisant ainsi un condensat de Bose-Einstein. Cette expression désigne un état très particulier de la matière, prédit par Einstein en 1924 à la suite des travaux du physicien indien Bose. Cet état est caractérisé par le fait que les particules occupent alors le même état quantique à partir d’une température extrêmement basse, proche du zéro absolu. Toutes les particules perdent alors leur individualité et le condensat est donc décrit comme un objet quantique macroscopique. Parmi les propriétés quantiques du système, on peut noter la cohérence spatiale des atomes et l’émission simultanée d’énergie par les noyaux excités en déclenchant une puissante explosion de rayons gamma cohérents.  L’idée va être ­testée en ce printemps 2018 (peut-être l’aura-t-elle été lorsque vous lirez ces lignes !) dans l’instal­lation expérimentale de GAMMALAS située en ­Finlande. Un accélérateur y produit des noyaux de césium instables qui sont ensuite «neutralisés» par ajout d’un électron puis piégés et refroidis jusqu’à s’approcher du zéro absolu afin d’obtenir un condensat.

 

Comment créer de tels froids dont on a l’habitude de dire qu’ils sont les points les plus froids de l’univers (bien plus froids que le vide intersidéral dont la température est en général de quelques kelvins) ? La manière traditionnelle de refroidir (mettre l’objet à refroidir en contact avec une source froide comme dans un frigo) ne fonctionne pas ici puisqu’on veut ­justement obtenir une source la plus froide ­possible. Qu’à cela ne tienne: la température étant la mesure de l’agitation des atomes, il suffit donc de ralentir ces atomes ! Et pour cela (on se place ici bien entendu dans le cas de gaz d’atomes froids, pas de liquides et encore moins de solides), on les bombarde de photons issus de faisceaux laser.

 

 En effet, lorsqu’un photon est émis ou absorbé par un atome, il lui enlève ou transmet une certaine quantité de mouvement (il le freine ou l’accélère). On devine que cela est infime (la vitesse de l’atome n’est modifiée que de quelques ­centimètres par seconde alors qu’à température ambiante, un atome se déplace à plusieurs centaines de mètres par seconde), mais les lasers sont capables de répéter l’opération plusieurs millions de fois par seconde. Lorsqu’on croise plusieurs rayons lasers de directions opposées dans l’enceinte qui contient le gaz à refroidir, on finit par freiner significativement les atomes et on obtient ce qu’on appelle une mélasse optique. D’autres étapes techniques sont alors encore nécessaires pour atteindre les tempé­ratures les plus basses, notamment le piégeage ­spatial des atomes par un champ magnétique afin de les empêcher encore davantage de bouger.

Utile ?

Si l’Union européenne (et bien sûr toutes les autres grandes puissances scientifiques) se lance dans la mise au point du laser gamma, ce n’est pas – seulement – pour le plaisir de la recherche fondamentale. C’est aussi parce que la communauté scientifique et le monde industriel fondent des espoirs sur ce nouvel instrument. C’est d’abord dans le domaine très prometteur de la matière ultra-froide qu’on en attend des avancées, notamment la mise au point de supraconducteurs et de superfluides à… température ambiante. Car c’est là le paradoxe des atomes ultrafroids: pour les produire, point n’est besoin de recourir à des environnements froids comme des bains d’azote liquide ! Le laser gamma devrait aussi permettre une spectroscopie gamma avec des résolutions jamais atteintes. Et des avancées en matière d’imagerie médicale puisqu’il permettrait d’obtenir des images bien plus précises que les actuelles et faciliter, par exemple, les traitements de tumeurs cérébrales. Autre application envisagée: le stockage et la récupération d’énergie, donc révolutionner le secteur des batteries. Mais tout cela n’est pas pour tout de suite. 

(1)  Légende photo de titre: Éléments optiques utilisés pour séparer et mettre en forme des faisceaux lasers qui permettront de refroidir et d’observer des atomes de dysprosium.

(2) Luca Marmugi et al., Coherent gamma photon generation in a Bose-Einstein condensate of 135mCs, Physics letters B, 2018.

Share This