Dossier

Cancers:  la stratégie de la ­coupure énergétique

Les progrès de la recherche en oncologie sont permanents. Nos Universités apportent régulièrement leur pierre à l’édifice, ainsi que le montrent notamment 2 avancées récentes issues des travaux respectifs des équipes d’Olivier Feron (UCLouvain) et de Denis Lafontaine (ULB). Le professeur Feron et ses collaborateurs s’intéressent au métabolisme tumoral dans le but de bloquer les voies qui contribuent à fournir aux cellules cancéreuses l’énergie nécessaire à leur multiplication. Deux découvertes réalisées respectivement en 2016 et 2018 semblent de nature à perturber grandement cet approvisionnement énergétique. Le groupe du professeur Lafontaine, lui, a mis en évidence le triple pouvoir antitumoral d’un alcaloïde issu de la jonquille. Une piste pleine de promesses (voir encadré)

Comment tarir les sources qui contribuent à fournir aux cellules l’énergie nécessaire à leur multiplication ? Depuis plusieurs années, l’équipe du professeur Olivier Feron, chercheur à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain, est de celles qui s’intéressent au métabolisme des tumeurs afin de répondre à cette question.

La production d’énergie sous forme d’adénosine triphosphate (ATP), pourvoyeuse énergétique universelle des organismes vivants, peut se réaliser à partir de protéines, de lipides ou de glucides. On sait depuis longtemps qu’au début du développement d’un cancer, les cellules tumorales se révèlent très avides de glucose pour subvenir à leurs besoins énergétiques et que ce phénomène s’exacerbe dans des conditions d’hypoxie (manque d’oxygène). Cette abondante consommation de glucose aboutit à une acidification de l’environnement extracellulaire, la glycolyse (1) induisant la production d’acide lactique (lactate et proton). L’acidité ambiante des tumeurs finit alors par atteindre 10 fois celle des tissus sains (pH de 6,5 environ contre 7,4 dans le cadre d’une échelle logarithmique). «Nous avons montré in vitro que, cette limite franchie, la cellule tumorale ne parvient pas à faire face à l’acidose et meurt», indique le professeur Feron.

Sur la base de travaux expérimentaux, dont les résultats leur valurent une publication dans Cell Metabolism (2) en août 2016, Olivier Feron et ses collaborateurs, en particulier Cyril Corbet, premier auteur, ont pu montrer que dans un environnement suffisamment acide, les cellules tumorales arrêtent de consommer du glucose et développent une double stratégie. D’une part, elles captent des lipides disponibles dans leur environnement et les utilisent comme source d’ATP après dégradation dans les mitochondries, «usines énergétiques» de la cellule. D’autre part, elles produisent des acides gras au départ d’un acide aminé, la glutamine, pour assurer la fabrication des membranes cellulaires. Cette stratégie double est propre aux cellules cancéreuses, car jamais une cellule normale ne dégrade et ne synthétise concomitamment des acides gras.

En bouleversant complètement le métabolisme de régions qui, par leur localisation, sont exposées à l’acidité générée par les cellules au centre de la tumeur mais ont accès à l’oxygène en provenance de la périphérie, une large proportion de cellules tumorales deviennent dépendantes des acides gras. D’où l’idée des chercheurs d’agir sur le métabolisme de ces derniers afin d’inhiber leur utilisation par ces cellules dans le but de les priver d’énergie. «Les cellules cancéreuses en conditions d’acidose ont une addiction vis-à-vis des acides gras, commente Olivier Feron. Ce n’est pas le cas des cellules normales, bien qu’elles puissent utiliser ces lipides – au niveau du cœur, par exemple.»

L’alimentation des patients cancéreux va-t-elle changer ? Peut-être y incorporera-t-on demain des lipides sélectionnés pour leur toxicité sur les cellules tumorales.

Lipides toxiques

Pour l’heure, les chercheurs de l’UCLouvain testent une famille de molécules très intéressantes, déjà présentes sur le marché dans le cadre du traitement de l’insuffisance cardiaque. Ils en ont démontré l’efficacité en cancérologie, mais encore faut-il qu’ils en établissent l’innocuité aux doses à prescrire et selon l’étendue des périodes d’administration.

Leurs travaux de 2016 leur ont également inspiré une seconde stratégie thérapeutique. Eu égard à la voracité des tumeurs en état d’acidose vis-à-vis des acides gras, ne pourrait-on faire pénétrer des lipides toxiques à l’intérieur des cellules cancéreuses ? C’était une voie qui méritait d’être explorée.

S’ouvre donc la perspective d’un traitement basé sur des compléments alimentaires. Au terme d’essais précliniques sur des modèles de souris, puis d’essais cliniques, il s’agirait d’incorporer, dans l’alimentation quotidienne de patients cancéreux, des lipides sélectionnés pour leur toxicité sur les cellules tumorales.

«Pour asseoir le sérieux de notre démarche, nous devons démontrer par quel mécanisme de tels lipides sont toxiques pour les cellules tumorales, souligne le professeur Feron. Nous nous y attelons.» Et d’ajouter que son équipe a d’ores et déjà identifié une sous-classe de lipides qui se montrent particulièrement délétères pour les cellules tumorales en culture. In vitro, leur efficacité s’avère même supérieure à celle d’agents chimiothérapeutiques. Il apparaît également que la mort des cellules cancéreuses in vitro ne nécessite pas la délivrance de grandes quantités de lipides de la sous-classe retenue.

En sera-t-il de même in vivo ? Dans les mois qui viennent, ces lipides seront introduits à titre expérimental dans l’alimentation de souris saines en vue de déterminer à partir de quelle dose ingérée une concentration suffisante est atteinte dans le sang de l’animal pour espérer induire un effet thérapeutique. En cas de résultats probants devraient suivre, en principe, des essais précliniques (animaux malades), puis cliniques (chez l’homme).

Consistant, pour l’une, à inhiber l’utilisation d’acides gras par la cellule tumorale et pour l’autre, à introduire des lipides toxiques en son sein, ces 2 stratégies sont antinomiques, la première mettant à mal la seconde en cas d’application simultanée.

Un constat étonnant

Le groupe d’Olivier Feron ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Preuve par les résultats d’une nouvelle étude publiée le 23 mars 2018 dans Nature Communications (3). Les régions des tumeurs qui ne se caractérisent pas par une acidité ­élevée recourent à des substrats énergétiques autres que les lipides. Elles consomment classiquement du glucose, mais aussi du lactate, déchet métabolique qu’elles peuvent recapturer et dont elles extraient un reliquat énergétique. Ledit lactate provient essentiellement de rejets issus des régions les plus hypoxiques de la tumeur, ainsi que de la circulation sanguine qui le véhicule comme déchet de l’activité musculaire, notamment. «L’emploi du lactate en tant que source énergétique est impossible dans les régions en carence d’oxygène, lequel est indispensable à la production d’ATP au départ de lactate», précise notre interlocuteur.

Le lot du lactate capturé est d’entrer dans les mitochondries après avoir été transformé en pyruvate et d’y être métabolisé. Aussi, couplée à l’inhibition du transport du glucose dans la cellule, l’inhibition du transport du lactate, ne pourrait-elle ­priver d’énergie les cellules cancéreuses des régions non hypoxiques (peu acides) de la tumeur ? Ce fut l’hypothèse des biologistes de l’UCLouvain, qui s’associèrent pour l’occasion avec des collègues chimistes. Ils testèrent 300 composés candidats inhibiteurs du transport du lactate dans la cellule. «Expérimentalement, nous avons rendu impossible l’utilisation de glucose par la cellule, explique le professeur Feron. Comme une famille de nos composés tuait les cellules cancéreuses, nous avons pensé qu’elle bloquait le MonoCarboxylate Transporter (MCT), c’est-à-dire le transporteur du lactate. Et de fait, nous avons pu observer que le lactate ne rentrait plus dans la cellule.»

C’est alors que les chercheurs se trouvèrent face à un constat étonnant. Alors que le lactate ne pénétrait plus dans la cellule, celle-ci en était gorgée. Pourquoi ? Au bout de 2 ans de recherche, Olivier Feron et son équipe découvrirent que le composé qu’ils avaient utilisé, du nom de 7ACC2, n’inhibait pas MCT, mais le transporteur du pyruvate (Mitochondrial Pyruvate Carrier – MPC) au niveau de la mitochondrie. Le pyruvate est le produit de dégradation final du glucose, mais également le résultat de la transformation du lactate après capture de ce dernier par des cellules tumorales qui le récupèrent, nous l’avons vu, après son rejet par les ­cellules cancéreuses ou dans le courant ­sanguin, en particulier à la suite du métabolisme musculaire. Le pyruvate est la substance qui pénètre dans la mitochondrie et conduit à la fabrication d’ATP (énergie).

Panne d’énergie

Mais pourquoi donc l’inhibition du transporteur du pyruvate aboutit-elle à l’accumulation de lactate dans la cellule ? Ne pouvant entrer dans la mitochondrie, le pyruvate s’accumule dans la ­cellule. «Or, selon la «loi d’action des masses», cette situation fait en sorte que le lactate ne pourra être transformé en pyruvate et, de ce fait, va augmenter à son tour, indique Olivier Feron. En temps normal, le lactate est consommé, de sorte que sa concentration est moindre dans la cellule qu’à l’extérieur. Mais dans le cas qui nous occupe, on observe l’inverse, de sorte que le gradient de concentration (la pression) est défavorable à l’entrée de lactate exogène dans la cellule.»

Et un raisonnement analogue vaut pour le glucose. De sorte que, le hasard – la sérendipité – faisant bien les choses, la découverte des biologistes a un double impact: l’inhibition du transporteur du pyruvate (MPC) au moyen de la molécule 7ACC2 aboutit au blocage de la production d’énergie au départ tant du glucose que du lactate, les 2 sources énergétiques utilisées par les cellules malignes localisées dans les régions tumorales où l’acidité ne s’avère pas extrême.

«On ne traitera pas le cancer avec un seul médicament dirigé contre le métabolisme tumoral, mais on peut envisager de le faire en en associant 2, l’un qui ciblerait le métabolisme des lipides dans les régions très acides de la tumeur et un autre qui serait axé sur le métabolisme du glucose et du lactate dans les zones mieux oxygénées», considère le biologiste. À l’heure actuelle, rien ne permet d’affirmer que cette stratégie double possède le potentiel voulu pour éliminer complètement un cancer. À défaut, elle pourra très vraisemblablement être associée aux approches thérapeutiques plus conventionnelles (chimiothérapie, radiothérapie, thérapies ciblées, immunothérapie), dont elle accroîtra l’efficacité en fragilisant la tumeur et en en réduisant la taille.

Actions combinées

L’équipe d’Olivier Feron a entamé divers essais chez la souris en combinant soit un inhibiteur de l’utilisation des lipides avec un inhibiteur du transporteur du pyruvate (voie du glucose et du lactate), soit un de ces inhibiteurs, ou les 2, avec de la chimiothérapie. «Nos molécules ciblent le métabolisme tumoral, lequel est commun à tous les types de cancer. Elles sont donc applicables à l’ensemble des tumeurs malignes», dit notre interlocuteur. Et de préciser: «Par rapport à la chimiothérapie, qui touche toutes les cellules en division, nos molécules ont un effet plus spécifique, et donc probablement moins toxique.»

Pour la molécule découverte en 2016 comme inhibitrice de l’utilisation des lipides, démonstration a été faite de son innocuité, chez la souris, sur ces grands consommateurs d’énergie que sont les muscles squelettiques et le cœur. Une démonstration similaire a été effectuée au niveau des ­muscles squelettiques pour l’inhibiteur du transport du pyruvate (7ACC2). De fait, des ­souris ayant reçu le médicament et placées sur un tapis roulant fonctionnant à vitesse élevée ne commencent à se sentir fatiguées et à refuser l’exercice qu’après une demi-heure, alors que des souris contrôles ne courent guère que durant le double de temps environ. «Le patient cancéreux est une personne qui est plutôt au repos, qui ne sollicite pas intensément ses muscles. Le traitement ne devrait donc pas avoir de conséquences dommageables pour lui à ce niveau», commente le professeur Feron. Le cerveau est aussi un grand consommateur d’énergie. Mais une modification des molécules thérapeutiques peut être envisagée afin qu’elles ne puissent pas franchir la barrière hémato-encéphalique.

Dans l’hypothèse de la double administration d’un inhibiteur de l’utilisation des lipides et d’un autre centré sur le transport du pyruvate, donc indirectement sur les voies du glucose et du lactate, l’idée serait de délivrer d’abord la première molécule dans le but de traiter initialement les régions tumorales les plus difficiles à détruire, celles qui sont le théâtre d’une forte acidose, et de ­prescrire ensuite l’autre molécule, au moment où la tumeur est devenue plus petite et présente un métabolisme plus conventionnel. «Pour peu que le second traitement intervienne assez rapidement après le premier, le risque que réapparaissent des conditions d’acidose élevée est peu probable. Nous devons néanmoins le vérifier», souligne le professeur Feron.

Un plus pour la radiothérapie

Les études de son groupe ont encore un autre intérêt, majeur. En oncologie, on cherche depuis des décennies à réoxygéner les tumeurs car il est établi que leur bonne oxygénation améliore les performances de la radiothérapie. En effet, en faisant obstacle à la réparation de l’ADN des cellules irradiées, l’oxygène stabilise les dégâts qui lui ont été causés par les radiations ­ionisantes. La piste suivie par chercheurs et cliniciens consiste traditionnellement à essayer d’amener de l’oxygène dans la tumeur. Par exemple, au cours d’essais cliniques assez encourageants, des patients furent placés dans un caisson hyperbare afin d’y inhaler de l’oxygène à une pression supérieure à la pression atmosphérique avant une séance de radiothérapie. Le problème est que les caissons hyperbares ne sont pas légion en milieu hospitalier.

Mais pour qu’une tumeur soit bien oxygénée en vue d’une radiothérapie, il est possible d’aborder le problème par un autre versant, celui d’une limitation de sa consommation de l’oxygène disponible. Or, comme l’inhibiteur 7ACC2 empêche la pénétration du pyruvate dans la mitochondrie, celle-ci ne consomme pas l’oxygène nécessaire aux réactions métaboliques qui s’y produisent habituellement, puisqu’elle est «au repos», n’a plus de «matière première» à transformer en énergie (ATP). «En d’autres termes, la molécule 7ACC2, qui a intrinsèquement une activité antitumorale, est également radiosensibilisatrice et augmente donc l’efficacité de la radiothérapie», assure Olivier Feron. Lorsqu’on bloque MPC, le transporteur du pyruvate, on observe quasi instantanément une accumulation d’oxygène au niveau de la mitochondrie et partant, de la cellule. Il faut alors exposer rapidement la tumeur à la radiothérapie. Chez la souris, dans la demi-heure ou l’heure qui suit.

Procédure que testèrent avec succès les chercheurs de l’UCLouvain chez des rongeurs auxquels avaient été greffées des tumeurs humaines du côlon ou de la sphère ORL. L’administration de l’inhibiteur 7ACC2 accrut très significativement les performances de la radiothérapie.

«Avec cette molécule, nous faisons donc coup double puisqu’elle exerce un effet direct sur les tumeurs et que son administration s’accompagne d’une réoxygénation tumorale que nous avons validée tant sur des modèles de culture de cellules en 3 dimensions que dans des modèles de souris», conclut le professeur Feron.

DES JONQUILLES AUX DERNIERS LILAS

En médecine traditionnelle, la jonquille est utilisée depuis des siècles pour combattre le cancer. Un consortium international de chercheurs dirigé par le professeur Denis Lafontaine a mis en évidence l’important potentiel antitumoral d’un des alcaloïdes présents dans cette fleur chatoyante: l’hémanthamine.

Les nucléoles et les ribosomes commencent à ­susciter un intérêt grandissant comme cibles thérapeutiques en oncologie. Les premiers sont des organelles de la cellule qui s’acquittent précisément de la production des seconds, les ribosomes, nano­machines éminemment complexes qui synthétisent les ­protéines au cœur des cellules vivantes. Il est établi depuis des décennies que l’aspect des nucléoles constitue un indicateur de bonne santé d’une cellule. Ainsi, leur taille et leur morphologie s’altèrent dans la maladie et leur nombre par cellule s’accroît.

Étant donné l’importance vitale des protéines pour la survie cellulaire, on ne s’étonnera pas que les ribosomes qui les synthétisent (et par ricochet, les nucléoles, «chaînes d’assemblage» des ribosomes), polarisent de plus en plus l’attention des chercheurs en oncologie dans une perspective thérapeutique. D’autant que pour assurer leur prolifération anarchique, les cellules cancéreuses doivent ­synthétiser un nombre de protéines nettement plus élevé que les cellules saines. Et que pour répondre à cette demande, elles sont le théâtre d’une production accrue de ribosomes. Celle-ci nécessite à son tour une adaptation des nucléoles, lesquels, dans le chaos ambiant, connaissent alors, nous l’avons évoqué, un accroissement en nombre et en volume, et tendent à devenir irréguliers.

Des molécules ciblant la fabrication des ribosomes font d’ores et déjà l’objet d’essais cliniques. Il en va de même de molécules portant, cette fois, sur la fonction du ribosome, c’est-à-dire la synthèse des protéines.

Un alcaloïde prometteur

Mais peut-être y a-t-il mieux encore ? En effet, un consortium international de chercheurs conduit par le professeur Denis Lafontaine, directeur de recherches F.R.S.-FNRS et responsable, à l’ULB, du Service de biologie moléculaire de l’ARN, semble avoir mis le doigt sur un composé capable d’exercer une action tant sur la fabrication des ribosomes que sur leur fonction. Qui plus est, il stabiliserait la protéine p53, bien connue comme suppressive de tumeur. Comme relaté dans la revue Structure en mars 2018 (4), cette molécule aux propriétés prometteuses est un alcaloïde naturel issu du bulbe de la jonquille (Amarylidaceae Narcissus): l’hémanthamine.

En médecine traditionnelle, la jonquille est utilisée depuis l’Antiquité pour ses propriétés antitumorales. Les travaux du consortium de chercheurs placé sous la responsabilité de Denis Lafontaine ont fourni une explication moléculaire à l’action thérapeutique de cette fleur familière. «De façon imagée, on peut dire qu’il y a, dans le ribosome, une petite cavité très importante pour son fonctionnement, puisque c’est là que les briques constituant les protéines, les acides aminés, sont attachées les unes aux autres. Or, à l’instar d’une cale en bois placée sous une porte pour qu’elle ne puisse se refermer, l’hémanthamine se loge dans cette cavité et la bouche, à telle enseigne que rien ne peut plus y pénétrer et que, par là même, la synthèse protéique est rendue impossible», explique le responsable du Service de Biologie Moléculaire de l’ARN.

Dans de telles conditions, les ribosomes se trouvent donc dans l’impossibilité d’encore fabriquer des protéines, ce qui aboutit à la mort cellulaire. Potentiellement, le problème est qu’ils sont présents dans toutes les cellules vivantes, dont évidemment les cellules saines. Toutefois, le consortium de chercheurs a pu démontrer que les cellules tumorales se révèlent beaucoup plus sensibles à l’hémanthamine que ne le sont les cellules non cancéreuses.

Stress nucléolaire

Non content d’inhiber la synthèse protéique dans les ribosomes déjà formés, l’alcaloïde empêche la bio­genèse de ceux-ci, c’est-à-dire leur assemblage au sein des nucléoles. En résulte de surcroît une conséquence inattendue qui, selon l’expression du professeur Lafontaine, est la cerise sur le gâteau. L’impossibilité pour la cellule de fabriquer des ribosomes engendre chez elle un stress nucléolaire, qui aboutit à l’activation d’une voie de surveillance antitumorale menant à la stabilisation et donc à l’accroissement de la concentration de la protéine p53, suppressive de tumeur, et, partant, à la mort de la cellule malade.

L’intérêt d’approfondir les recherches sur le potentiel de l’hémanthamine pour la clinique humaine saute aux yeux. Contrairement aux molécules ­testées actuellement pour leur action sur le ribosome, qui agissent uniquement soit sur sa fonction, soit sur sa biogenèse, l’alcaloïde issu du bulbe de la jonquille possède un triple effet: inhibition de la fonction du ribosome, inhibition de sa biogenèse, activation du stress nucléolaire avec stabilisation de p53. Denis Lafontaine et ses collaborateurs espèrent donc obtenir les subsides nécessaires pour aller de l’avant, c’est-à-dire, à moyen terme, évaluer d’autres alcaloïdes proches de l’hémanthamine, produire une molécule améliorée par hémisynthèse, pratiquer des tests chez l’animal…

www.lafontainelab.com

(1) Voie d’assimilation du glucose et de production d’énergie.

(2) Cyril Corbet et al., Cell Metabolism 24, 311-323, August 9, 2016.

(3) Cyril Corbet et al., Nature Communications (2018)9:1208

(4) Simone Pellegrino et al., Structure (2018)26, 416-425

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