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Au pays des Moocs et des Moocies

Yanalya/Freepik

Ils sont gratuits et ouverts à tous. Cours en ligne, le plus souvent de niveau universitaire, les Moocs sont une opportunité à saisir. Depuis peu, certains d’entre eux marchent main dans la main avec des manuels qui leur servent de supports: les Moocies.

Bien que certains d’entre eux rencontrent un immense succès, les Moocs sont très peu connus du grand public. Du moins dans nos régions. Quant à leur nom, il soulève inévitablement le questionnement du profane. Mooc, de quoi peut-il bien s’agir ? De l’acronyme de Massive Open Online Courses. Mais encore ? « Il s’agit de cours en ligne ouverts à tous et gratuits, généralement de niveau supérieur ou universitaire, qui participent à la diffusion du savoir scientifique et à l’accès aux sciences dans leur ensemble », indique Stéphanie Demoulin, professeur de psychologie sociale à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain).  

Le premier Mooc daterait de 2008 et aurait été conçu au Canada par George Siemens et Stephen Downes, deux professeurs qui se partageaient un cours universitaire dont certaines parties faisaient l’objet d’une diffusion en ligne. Leur idée fut de l’ouvrir à tout qui souhaiterait y avoir accès. L’initiative fit florès et, à partir de 2013, de nombreuses universités de par le monde se sont lancées dans l’aventure des Moocs, tandis qu’apparaissaient les premières plateformes de contenus rassemblant les cours en ligne émanant de différentes institutions. Citons les réseaux américains Coursera et edX ou encore le réseau français FUN (France Université Numérique).  

Une offre diversifiée

Environ un millier de cours sont actuellement accessibles sur Coursera, par exemple. Ils ont principalement trait à l’informatique, aux arts, à la médecine, à la biologie, aux sciences humaines et sociales, à l’économie, à la finance, aux mathématiques et aux statistiques. Des enseignements de l’École polytechnique fédérale de Lausanne et de l’Université de Genève, notamment, y ouvrent une porte sur l’enseignement francophone.

 Aujourd’hui, on recense au moins une dizaine de grandes plateformes de contenus à l’échelle planétaire. En outre, l’offre de Moocs n’a pas tardé à se diversifier. Si la plupart d’entre eux restent accessibles à tous et gratuits, certains comportent des options payantes et d’autres sont intégralement payants. «Ce dernier cas se rencontre surtout sur des plateformes qui proposent des enseignements visant à développer des compétences directement utilisables sur le marché de l’emploi, commente Françoise Docq, chef du projet Mooc au sein du Louvain Learning Lab de l’UCLouvain. Il s’agit donc généralement de formations en ligne élaborées par des entreprises ou par des opérateurs actifs dans le domaine de la formation professionnelle.» La question est de savoir si ces initiatives tarifées et partant, non ouvertes au plus grand nombre doivent encore être considérées comme des Moocs.

 Ceux-ci restent majoritairement façonnés par des enseignants universitaires, selon le projet initial, mais il arrive qu’ils aient une autre origine – c’est ainsi qu’on peut trouver, sur les plateformes, des cours de cuisine, de jardinage, de photographie… Il est alors opportun de s’informer des références des concepteurs du projet. Les «Moocs universitaires» eux-mêmes ne sont pas toujours exempts de critiques. Pour des raisons de forme ou de pédagogie, le plus souvent. Plus rarement, pour des raisons touchant à la rigueur ou à l’objectivité des exposés. Certaines universités en quête de visibilité créent des Moocs de conception hâtive, véhiculant des matières traitées de façon superficielle.

Cet écueil n’est habituellement pas à redouter lorsque les Moocs font partie intégrante de l’enseignement dispensé aux étudiants universitaires complémentairement à des parties de cours présentées publiquement.

Un support attractif

Quoi qu’il en soit, les Moocs constituent une belle opportunité à saisir. Avec, le cas échéant, des retombées positives dans l’exercice d’une profession. Un médecin, par exemple, pourra juger utile de s’inscrire à des cours ouverts en ligne dans le domaine de l’informatique, de la comptabilité, du droit et de l’éthique ou encore de la psychologie de la négociation afin d’améliorer sa relation avec ses patients et leur observance thérapeutique. Mais la simple soif de connaissances ou la recherche d’une activité de loisirs « intelligente » peuvent être des motivations suffisantes pour suivre un Mooc.

Un des grands atouts des Moocs est qu’ils permettent une présentation plus attractive du travail scientifique. Ils font la part belle aux vidéos, aux QCM, organisent des forums sur le Net… «Le professeur doit se garder d’exposer la matière sur le modèle d’un cours dans un amphithéâtre, explique Stéphanie Demoulin. Lors d’un enseignement en public, on répète les notions plusieurs fois, on fait des digressions. Dans les vidéos des Moocs, chaque mot compte. Se répéter n’a pas de sens, dans la mesure où l’apprenant peut revisionner la vidéo autant de fois qu’il le souhaite.»

Hormis pour les étudiants appelés à passer un examen universitaire traditionnel, mais dont l’objet est un cours partiellement ou totalement dispensé en ligne, rien n’interdit de piocher dans les Moocs en fonction des connaissances que l’on veut acquérir. «Le nombre de personnes qui s’imprègnent de la totalité d’un enseignement et réussissent l’examen proposé n’est que de l’ordre de 5 à 8%», précise Françoise Docq. La tendance actuelle sur les plateformes est d’ailleurs de proposer deux options : une trajectoire gratuite, ouverte à tous et dans laquelle on navigue comme l’on veut, et une trajectoire certifiée, souvent payante, donnant lieu à un examen sur la plateforme et à la délivrance d’un certificat de réussite.

Fertilisation réciproque

Un important avantage des Moocs est la grande flexibilité qu’ils offrent: chacun peut s’y plonger quand son emploi du temps le lui permet. Songeons notamment aux adultes en reprise d’études, qui ont une activité professionnelle. Les Moocs possèdent en outre une vocation internationale. Par exemple, lorsqu’ils sont en français, ils touchent tant l’Europe que l’Afrique, le Canada ou Haïti. S’ils sont en anglais, leur dimension est encore beaucoup plus universelle.

 «Les retours que nous avons sur les forums permettent un partage d’expériences très différent de celui que l’on a traditionnellement lorsqu’on donne cours dans une classe, souligne Stéphanie Demoulin. Prenons le cas de mon cours sur la négociation. Un étudiant russe m’a dit qu’on ne négociait pas en Russie comme en Europe occidentale. Ce type d’information conduit l’enseignant à remettre en question sa vision « ethnocentrée » de la science.» Les avis culturellement marqués qui s’expriment sur les forums conduisent à un phénomène de fertilisation réciproque entre les apprenants ainsi qu’entre ces derniers et l’enseignant.

 Une crainte est que, destinés au plus grand nombre et misant fréquemment sur une approche assez ludique, les Moocs ne pratiquent une forme de nivellement par le bas afin de rendre les matières traitées plus accessibles. Cela arrive inévitablement, mais telle n’est pas la règle. «À l’UCLouvain, en tout cas, le niveau d’exigence des examens reste identique, même quand les étudiants sont conviés à apprendre des parties de matière sur la Toile, insiste Stéphanie Demoulin. De surcroît, si des prérequis sont nécessaires pour suivre certains cours spécialisés, l’apprenant potentiel en est généralement averti.» Toutefois, le risque que le caractère plus attractif des Moocs amène d’aucuns à une étude plus superficielle des matières est bien réel.

 La psychologue de l’UCLouvain met en exergue les principaux freins à l’envol définitif des Moocs. Le fait qu’ils soient largement méconnus, bien sûr. Mais aussi la crainte d’une trop grande complexité technique des plateformes de contenus, les difficultés d’apprentissage en lien avec la nouveauté du média proposé (essentiellement du matériel vidéo), un planning d’activités professionnelles et familiales incompatible avec les plages d’ouverture de certains Moocs, l’absence d’un support écrit plus classique. En l’occurrence, il apparaît que les «élèves» prennent des notes lorsqu’ils visionnent les vidéos, comme s’ils suivaient un cours dans une classe.

L’arrivée des Moocies

Ce dernier point est un des principaux éléments qui ont poussé Stéphanie Demoulin à innover. En effet, elle a créé une maison d’édition baptisée SQRbooks, dont le but est de faire cohabiter les Moocs avec des Moocies. Des cousins en quelque sorte, des manuels destinés à servir de supports aux enseignements en ligne. Ils renferment un cours écrit agrémenté de vidéos accessibles via des QR codes (smartphones, tablettes) ou des liens hypertextes (ordinateurs), le rappel des points clés énoncés dans lesdites vidéos ainsi que des espaces de notes.

Selon la professeure Demoulin, les moocies ont plusieurs vertus: notamment faciliter l’acquisition des connaissances pendant la session Mooc par le biais de la mixité des modalités d’apprentissage, assurer un retour facile et direct aux matières enseignées lors d’une session Mooc ou encore offrir la possibilité de se former à son propre rythme. «Le projet est d’autant plus intéressant en termes d’apprentissage et d’attractivité que la matière est abordée au travers de plusieurs modalités: écrite, visuelle et auditive», conclut Stéphanie Demoulin.

Pour l’heure, les premiers couples «Mooc-Moocies» ont trait à la psychologie de la négociation, la réalisation de vidéos avec un smartphone et la manière de bien gérer sa santé.

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