Société

L’animal au cœur de la thérapie

Anne-catherine De Bast

©Thomas Coucq/Izis, ©Izis

Les bienfaits de la zoothérapie ne sont plus à démontrer… Au contact des animaux, les personnes souffrant de troubles mentaux, physiques ou sociaux atteignent naturellement des objectifs cognitifs, relationnels ou psychomoteurs. Au centre Izis, à Limelette, chiens, lapins et canards accompagnent les personnes en thérapie    


«Bienvenue, prenez place au soleil sur le banc ou à l’abri dans votre voiture, nous vous rejoindrons dans quelques instants», indique le panneau affiché sur la barrière. À quelques mètres de là, derrière la clôture, 2 chiens s’agitent pour vous accueillir. «Ici, pas besoin de sonnette !», sourit Daphné Stadnik, la responsable du centre Izis, arrivant quelques instants plus tard.

Izis est un centre de zoothérapie ouvert en 2014 à Limelette pour proposer des thérapies par la médiation animale aux personnes en difficulté. L’objectif: accueillir des enfants, adolescents et adultes en souffrance, attirés par les animaux, et leur permettre, par la rencontre, de développer psychomotricité, concentration, mémoire, orientation spatio-temporelle, sensorialité, communication ou encore relationnel.

«J’ai toujours eu beaucoup d’affinités avec les animaux, confie la responsable, psychologue de formation. J’avais l’intuition qu’ils pouvaient apporter quelque chose de particulier, de novateur pour dynamiser la rencontre avec une personne en souffrance. Ils attirent facilement les enfants, des personnes qui ont beaucoup de mal à parler d’elles. Avec l’animal, tout devient plus simple… La zoothérapie étant un milieu thérapeutique plein de créativité, mon intuition s’est révélée totalement confirmée. Je travaille aussi dans un cabinet classique et je peux voir que l’évolution des personnes est différente ici, parfois plus rapide

Elvis, Scofield, Yuki et
les autres

Sur les lieux, un cheminement invite les visiteurs à pénétrer dans l’univers des animaux. «Isis est une déesse égyptienne puissante et protectrice, indique Daphné Stadnik, expliquant l’origine du nom choisi pour le centre. Symboliquement, elle fait le lien entre les animaux et les humains. Izis avec un Z, c’est pour mettre l’accent sur le Z de zoothérapie. Et puis… un chat qui a eu un impact important dans ma vie personnelle s’appelait Isis».

Un peu plus loin se trouve l’enclos du premier résident: Elvis, un lapin géant. «Il est énorme, mais c’est le plus doux ! Il est exceptionnel en douceur et en gentillesse. Par sa taille, il inspire le respect…» Juste à-côté, Scofield, un lapin nain, est plutôt curieux. «On a envie de le cajoler, mais il a son caractère ! Dans les thérapies, le fait que les animaux aient leur propre personnalité est une ressource. Cela permet aux personnes de s’investir, de s’identifier, de travailler avec ceux qui les intéressent.» À l’image des 2 chiens déjà croisés à l’arrivée, 2 femelles. «Yuki est un berger blanc suisse. Il a un tempérament nerveux, agité, joueur. Avec lui, on va dynamiser la rencontre par des jeux actifs autour de la balle. Il va falloir se faire respecter pour obtenir ce qu’on veut. Truffe est un border Collie Golden. Il est plus doux, plus réservé. Il est motivé par les câlins. Il va y avoir une accroche avec l’un ou l’autre en fonction de la personne. Les plus réservés, introvertis, dépressifs, vont être plus attirés par Truffe car il respecte leur bulle. Les plus nerveux, les hyperactifs, iront plutôt vers Yuki.»

Une vingtaine d’animaux vit actuellement au centre. Essentiellement des chiens, chats, lapins, poules et canards, mais des rats et des boucs ont également intégré «l’équipe» à une époque, tandis que des cobayes sont annoncés. «Nous pouvons travailler avec tous les animaux familiers, les animaux domestiques avec qui l’homme peut développer un lien. L’idée est d’intégrer des animaux sans foyer. Les trois quarts de ceux qui sont ici ont été sauvés et réhabilités. Ils sont habitués au contact, ils montrent des qualités sociales, et en aucun cas de l’agressivité ou de la méfiance

À 2 pas de là, quelques cages sont vides. «Un couple de lapins est en intervention dans une ­maison de repos avec des personnes âgées souffrant notamment de démence, signale Daphné Stadnik. Notre projet, c’est d’accueillir des personnes en thérapie ici, mais nous nous déplaçons aussi dans des services spécifiques qui intègrent les animaux durant quelques heures. Cela permet au personnel soignant de faire le lien entre les effets de la médiation animale et le travail quotidien avec ces personnes».

Le cheminement aboutit à un chalet. Un lieu protégé, chauffé, où peut se dérouler la thérapie en cas de mauvais temps. Un lieu où Daphné Stadnik et ses collègues, psychologues et zoothérapeutes, peuvent accueillir les personnes en toute intimité.

Le
cheval, la personne et le thérapeute

Si la zoothérapie en général n’est pas encore très connue en Wallonie, une application spécifique tend à se répandre davantage: l’hippothérapie. Autrement dit: la thérapie assistée par le cheval. Et contrairement aux idées reçues, nul besoin de savoir monter ! L’hippothérapie se base sur le ­principe de la rencontre avec l’animal, dans une relation triangulaire avec le thérapeute. Les séances sont proposées dans le respect des capacités de chacun.

Ce type de thérapie se caractérise par les spécificités du cheval, qui peut interagir avec les personnes et permettre des stimulations sensorielles et émotionnelles. Elle permet l’amélioration des fonctions motrices et psychomotrices en permettant aux personnes de prendre conscience de leur corps, en stimulant le sens de l’équilibre, la coordination, les capacités fonctionnelles. Mais le cheval est aussi un moyen d’entrer en contact. Un jeu d’interactions se crée avec l’animal, il permet une ouverture sur l’extérieur, une plus grande confiance en soi, une meilleure gestion des émotions.

Comme la zoothérapie, l’hippothérapie se décline de différentes façons puisque induite par la spécialité du thérapeute: logopède, kiné, psychologue, ergothérapeute… Elle s’adresse à toute personne en difficulté, en souffrance ou en ­recherche d’un nouvel épanouissement, qui peut profiter d’une rencontre avec le cheval.

Ici non plus, pas d’accès réglementé à la profession, qui n’est donc pas reconnue au sens légal du terme. Mais les bénéfices de l’hippothérapie sont quant à eux bel et bien reconnus par les bénéficiaires et leur entourage, les institutions ou encore le personnel soignant.

Certains monteront à cru, d’autres avec une selle. Et d’autres encore… pas du tout. La thérapie n’en sera pas moins efficace, tant que le contact est créé, induisant des stimulations et du bien-être enrichissant l’expérience de vie de la personne.


Plus de confiance, moins de stress

La visiteuse suivante, cet après-midi-là, est Florence (prénom d’emprunt), 11 ans, qui éprouve des difficultés de concentration et souffre de dysphasie et d’hyperactivité. Et pas question pour elle de rester au chalet: il fait bon, elle part en promenade. «Je viens pour me calmer, pour raconter à Daphné les histoires qui m’arrivent, précise-t-elle, alors qu’elle fréquente le centre régulièrement depuis quelques mois. Ce que je préfère, c’est m’occuper des chiens. Cela me calme, cela me fait du bien

Une évolution que constate aussi sa maman. «On dit que travailler avec les animaux permet d’être moins nerveux. Je le vois parfois dans son comportement. Elle adore venir ici, il y a de l’espace, la nature, les bois. Ma fille apprend à se concentrer, elle sait comment prendre soin des animaux, comment on les promène. Elle sait gérer les chiens, les retenir, etc. Cela lui fait un bien fou d’être avec eux. Elle sait qu’elle doit être calme quand elle vient, pour pouvoir s’occuper des animaux, mais elle est toujours excitée comme une puce à l’idée de venir.» La maman de Florence garde un épisode précis en mémoire: «un jour, alors qu’elle a du mal à s’exprimer, elle a raconté une histoire avec des Playmobil. Elle a reproduit des colères, des crises, des choses enfouies. Elle est revenue avec des choses qui étaient très loin et elle a trouvé les bons mots. Je n’en avais pas idée, j’ai été étonnée. Cela lui a fait du bien, je n’en reviens toujours pas…»

Sur le site Internet du centre, les témoignages vont dans le même sens. Comme celui de Louise, 13 ans, qui précise avoir pris confiance en elle. Les parents de Vincent, 6 ans, ont de leur côté noté une évolution positive de leur fils face à diverses situations, désormais moins agressif et moins anxieux. Pour Chloé, 18 ans, «le centre de zoothérapie Izis est un endroit où je peux parler de mes difficultés, recevoir de bons conseils et construire une relation avec différents animaux domestiques. J’apprécie tout particulièrement leur joie de vivre, leur tendresse envers les humains et leur absence de jugement. Entrer en contact avec les animaux lors d’une séance chez Izis est pour moi un vrai bonheur et une pause dans une vie au rythme parfois trop rapide».

Du coté des professionnels aussi, le constat est positif. Au home Guérin, où se rendent régulièrement les intervenantes du centre, le personnel remarque que «la zoothérapie permet d’ouvrir l’échange avec les résidents en parlant des animaux, d’en savoir plus sur eux, de réveiller certains souvenirs. Les résidents montrent du plaisir à venir et aiment toucher et caresser les animaux.» Des moments qui permettent de diminuer leur isolement, créer des contacts avec les autres résidents, stimuler leur mémoire, maintenir les acquis, réduire le stress et stimuler le corps. Tout cela en se centrant sur le moment présent. En profitant de la proximité avec l’animal.

 
 

Professionnaliser
la médiation animale

Daphné Stadnik, vous êtes la fondatrice du centre de zoothérapie Izis. À quel type de public vous adressez-vous ? 

Aux enfants, adolescents et adultes en difficulté ayant une affinité avec l’animal. Il peut s’agir de personnes dépressives, hyperactives, autistes, handicapées,… Nous leur proposons un suivi individuel ou en groupe. Par exemple, dans le cas d’un enfant qui présente un trouble, il y a toujours une première séance avec les parents, durant laquelle ils visitent le centre. On analyse la demande et on construit un début de travail avec l’enfant. On propose 10 séances de thérapie, puis on fait un retour aux parents et on prend une décision pour la suite.

Que faites-vous avec ces personnes ?

Les animaux sont un média thérapeutique qui permet de faire progresser les gens, d’attendre des objectifs psychomoteurs, relationnels, cognitifs,… à travers des activités telles que jouer avec un chien, porter un lapin ou prendre soin d’un rat. Cela paraît simple, mais les objectifs se remplissent naturellement, sans que la personne s’en rende compte. On essaie d’orienter les séances avec des objectifs de groupe et individuels. Par exemple, on va les aider les personnes âgées démentes à rester centrées sur la réalité du moment, à réduire leur anxiété. Une personne handicapée peu autonome, on l’aide à prendre des initiatives, bouger avec son corps, être stimulée. Un enfant hyperactif pourra se centrer, patienter, se poser. Les autistes vont s’ouvrir vers le monde extérieur. Naturellement, avec les animaux, on travaille plein de choses au niveau psychomoteur. C’est aussi un contexte agréable qui permet par exemple aux enfants malades de s’ouvrir, de parler d’eux et de leurs difficultés.

Vous travaillez également à l’extérieur, avec des services spécialisés.

Oui, nous collaborons avec des services comme des centres d’hébergement pour personnes handicapées, des maisons de repos, des centres de jour pour personnes ayant un handicap mental ou pour enfants autistes,… Nous mettons des projets de collaborations en place. L’idée est d’abord de récolter des informations pour voir quels sont les objectifs de ces services, afin de mettre en place un programme thérapeutique de 10 séances, qui seront suivies d’un débriefing avec le personnel pour transmettre les observations.

Vous avez également travaillé avec un service d’oncologie pédiatrique. Comment ce projet pilote s’est-il passé ?

Nous avons organisé 10 séances de thérapie avec des enfants de 3,5 à 8 ans soignés au service d’oncologie pédiatrique des Cliniques universitaires Saint-Luc. Les enfants ont pu s’occuper des animaux pendant leur chimio. Ils s’amusaient, ils parlaient d’eux, ils pensaient à autre chose. Le personnel soignant était étonné d’entendre la voix de certains d’entre eux pour la première fois ! Les professionnels commencent à voir l’intérêt de la présence d’un animal dans un contexte de soins.

Ce projet était une proposition de notre part, nous avons travaillé en tant que bénévoles. Pour arriver à le mettre en place, nous avons dû passer par le comité éthique de l’hôpital. Cela a pris 2 ans ! Et au niveau pratique, cela n’a pas été simple non plus… Nous avons dû respecter un grand protocole de contrôle sanitaire pour être sûrs qu’un animal ne transmette pas de maladie à des enfants en déficit immunitaire. Nous sommes passés par l’école pour éviter d’aller directement dans le service. Nous devions aussi préparer les animaux: laver les dents et les poils des chiens, les promener pour qu’ils ne soient pas agités,… Cela demandait 1 à 2h de préparation pour 1h d’intervention. Mais cela en valait la peine ! Les résultats sont tels que le projet sera probablement prolongé, les enfants sont en tout cas demandeurs. Nous attendons l’accord de l’hôpital.

Être zoothérapeute ne s’improvise pas…

Non, mais la profession n’est malheureusement pas protégée. Il existe beaucoup de médiations animales menées par des personnes qui ne sont pas formées à la relation d’aide, ni même au bien-être animal. Certaines associations proposent parfois des animations menées par des bénévoles qui permettent le bien-être des personnes, cela peut avoir sa place. Mais il y a toujours le danger d’avoir une activité animale qui n’est pas contrôlée. Nos publics sont fragiles. Il faut être sûr de son animal, être soi-même à l’aise. Ce que nous proposons au centre Izis, c’est de la médiation par l’animal orientée par des professionnels, qui ont pensé l’animation des séances dans le cadre d’une thérapie. Ce n’est pas la même chose…

Je suis moi-même psychologue et psychothérapeute, j’ai suivi des formations, notamment à l’Institut français de zoothérapie. Mes collègues sont toutes les 2 psychologues et spécialisées dans la médiation animale. Nous offrons une garantie professionnelle, une confidentialité, une déontologie. Les personnes qui viennent ici reçoivent une attestation pour la mutuelle comme dans un cabinet de psychologie classique.

L’intérêt pour la zoothérapie grandit, mais il y a peu de ­formations.

Nous faisons partie d’un mouvement qui essaie de professionnaliser la médiation animale. La zoothérapie est un domaine novateur. Il y a peu de modèles de référence en Belgique. Il y a 2 ans, nous avons lancé une formation pour les professionnels qui veulent travailler différemment avec leur public, comme des psychologues, des kinés ou des logopèdes. Les participants à ces formations lancent aussi leurs propres projets, en intégrant par exemple des animaux à leurs services. Les initiatives commencent à fleurir, mais en Belgique, on est moins avancé qu’en France ou au Canada. Chez nous, il y a beaucoup de demandes, beaucoup ­d’intérêt mais peu de soutien.

Pas de reconnaissance officielle, cela signifie que vous ne recevez pas de subsides ?

Le centre Izis est une asbl qui fonctionne effectivement sans subside. Et c’est très difficile de tenir le coup par rapport aux frais, aux soins des animaux, aux services demandeurs qui n’ont pas toujours de moyens. On se retrouve face à des personnes en souffrance, à des publics très lourds. Il y a beaucoup de demandes. Nous devons aussi nous occuper des soins aux animaux, prendre en charge les promenades, les litières, les visites chez le vétérinaire. C’est très énergivore ! On fait beaucoup de bénévolat.

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