Espace

Quoi de neuf dans l’espace ?

Théo PIRARD  •  theopirard@yahoo.fr

©ESA-P. Carril

La navigation par satellites, initiée il y a 4 décennies par le Département américain de la Défense, constitue l’activité la plus lucrative de la conquête spatiale. Elle fait appel au déploiement, avec mise à jour régulière, de constellations de navsats (navigation satellites) équipés d’horloges atomiques ultra-précises. Désormais, elle est bien présente dans notre quotidien et a donné lieu à une multitude d’applications sous la forme de services à valeur ajoutée sur l’ensemble de la planète. Les retombées commerciales du GPS sont chiffrées à des dizaines de milliards d’euros, rentabilisant aisément l’investissement public dans les systèmes de navigation spatiale 

À 3 reprises, 4 satellites européens de navigation Galileo ont été lancés ensemble par Ariane 5 avec succès.

Les signaux émis en permanence par les navsats permettent en permanence de se positionner instantanément, de mesurer les mouvements de la surface terrestre, de rentabi­liser l’exploitation des sols, d’évaluer la dégradation de l’environnement, de contrôler la sécurité des infrastructures…

Les Américains n’ont pas le monopole du Gps, même s’ils se réservent ­l’emploi exclusif, à des fins militaires, de signaux cryptés. Qu’en est-il des concurrents dans le monde ?

On a une demi-douzaine de systèmes qui totalisent une centaine de navsats opérationnels, la majorité évoluant en orbite moyenne entre 19 000 et 24 000 km.

•  Le Gps américain met en œuvre une flotte de 31 satellites, dont le plus ancien sert depuis 25 ans !

•  Le Glonass russe compte 26 satellites en ­service, qui sont régulièrement remplacés par des modèles améliorés.

•  Le système chinois Beidou/Bds mise sur la dimension globale pour 2020 avec une constellation d’au moins 30 satellites.

•  Le Galileo européen, géré depuis Prague par la GSA (European Gnss/Global navigation satellite system Agency), est financé par la Commission européenne et réalisé par l’ESA (European Space Agency) avec l’industrie européenne. 22 satellites sont opérationnels et 8 autres sont en développement pour achever une constellation complète offrant des services de haute précision.

 Il existe 2 systèmes régionaux avec des satellites opérationnels de navigation à quelque 36 000 km:

•  Le Qzss (Quasi-Zenith Satellite System) japonais consiste en 4 satellites qui permettent une localisation de moins d’1 m sur l’Océan ­Pacifique.

•  Le Navic indien comprend 7 satellites pour des services de géo-positionnement en Inde.

Galileo est un programme innovant de l’Union européenne. Mais quid de son avenir avec le Brexit du Royaume-Uni ?

L’industrie britannique se trouve fort impliquée dans la production des charges utiles des satellites Galileo. Avec leur retrait de l’Union, les Anglais ne pourront plus avoir accès au système européen pour les signaux gouvernementaux sécurisés. La Commission, dans son budget 2021-2027, doit prévoir le financement des navsats de nouvelle génération. Ce sont 9,7 milliards d’euros qui sont envisagés dans une première propo­sition. Mais sans la contribution du Royaume-Uni, l’investissement européen dans Galileo va faire l’objet de débats difficiles.

La géo-localisation ne peut plus se passer des satellites. Leur exploitation efficace repose sur une importante infrastructure terrestre. Quel rôle joue la Belgique pour Galileo ?

À l’échelle globale, la mobilité va devenir de plus en plus autonome. À bord des véhicules au sol, avec les avions dans les airs, les bateaux sur les mers. Désormais incontournable, le géo-position­nement depuis l’espace doit être garanti «on ne peut plus fiable». Ce qui nécessite des moyens au sol pour, en permanence, surveiller la qualité des signaux et calibrer les mesures de temps. La commune de Libin (province de Luxembourg) joue un rôle essentiel avec 2 implantations:

•  L’ESEC (European space Security & Education Centre) de l’ESA près du village de Redu est équipé pour les tests sur orbite de chaque satellite Galileo après son lancement;

•  Avec le Galileo ILS (Integrated Logistics Support) Centre, dans le parc d’activités industrielles de Transinne en bordure de l’autoroute E411, la société Vitrociset Belgium est chargée de la logistique des stations qui, dans le monde, veillent au parfait fonction­nement de la constellation.

Mais encore…  

L’UCL à la mode des Cubesats du futur.

Louvain4Space, sous l’impulsion de la professeure Véronique Dehant, a pour but de fédérer académiques, scientifiques et étudiants de ­l’Université autour d’une activité dans le domaine spatial. Ses membres prônent des activités transversales dans la réalisation d’une mission de nano-satellite. Luna (Louvain University Nanosat) a pour objectif, dans le cadre d’un projet pluridisciplinaire et à des fins éducatives, de réaliser une très petite plateforme multi-mission avec plusieurs instruments à bord. Il permettra de transférer aux étudiants la passion du spatial, de les attirer vers des métiers à la pointe de la technologie. Ce sera l’occasion pour les chercheurs de donner vie à des expériences innovantes de façon économique. Les entreprises sont invitées à s’investir dans Louvain4Space dans le cadre d’un ­partenariat pour des nano-satellites peu coûteux qui donnent accès à l’espace.


Prélever des échantillons sur les astéroïdes. 

Deux missions sont actuellement en cours près de 2 astéroïdes, ces témoins rocheux des origines du système solaire:

•  La sonde japonaise Hayabusa-2 évolue autour de l’astéroïde Ryugu depuis juin 2018. Elle a fait arriver sur son sol 2 nano-rovers et le micro-atterriseur franco-allemand Mascot qui ont transmis des vues d’un paysage accidenté. Au début de 2019, elle va recueillir des spécimens de sa surface lors de 2 approches délicates. Son retour vers la Terre est prévu en décembre 2020: une capsule avec les précieux échantillons doit revenir dans le désert australien. 

•  La sonde américaine Osiris-Rex est arrivée le 3 décembre 2018 près de l’astéroïde Bennu (qui se rapproche tous les 6 ans de la Terre). Elle vient d’y faire la découverte de traces d’eau. En juillet 2020, elle doit procéder à 3 tentatives de prélèvements du sol – entre 60 g et 2 kg – qui seront stockés dans une capsule. Celle-ci doit atterrir dans le désert de l’Utah en septembre 2023.

La LSA, vous connaissez ? 

Le 12 septembre 2018, le Grand Duché s’est doté de son agence ­spatiale ou LSA (Luxembourg Space Agency). Elle a pour but de gérer la participation aux activités de l’ESA (European Space Agency). ­Surtout, elle doit soutenir l’action du gouvernement dans le cadre de l’initiative SpaceResources.lu, qui entend être à l’avant-garde de la créativité. Le Luxembourg, faisant preuve d’originalité en Europe, a décidé de ­s’engager financièrement, via un effort public-privé, dans le ­mouvement du NewSpace, qui vise la privatisation du domaine ­spatial. Il s’agit d’attirer sur son ­territoire de nouvelles entreprises qui se lancent dans l’exploitation de l’espace avec des systèmes innovants. Il est notamment question d’aller prospecter les richesses minières sur les astéroïdes. Plusieurs sociétés ont manifesté leur intérêt en créant des filiales luxembourgeoises.

Concept de Cubesat (Doc. ESA)

Le sol de Ryugu photographié par l’un des deux rovers Mincerva-II1 (Photo Jaxa)

Les deux micro-rovers MinervaII1 (vue d’artiste Jaxa) 

Vue panoramique de Ryugu, réalisée par Hauyabus-2 (Doc Jaxa)

L’astéroïde Bennu révélé par Osiris-Rex (Photo NASA)

Le Luxembourg à la conquête des ressources sur les astéroïdes (Doc. SpaceResources.lu)


Préparation du lanceur Longue Marche-7/CZ-7 sur le complexe de l’île de Hainan.

Le MADE IN CHINA , bientôt n°1 spatial ?

CASC

L’actualité spatiale de 2018 est marquée par un nombre record de lancements chinois de satellites. Ce sont 38 succès – en moyenne, plus d’1 tous les 10 jours – qui sont à l’actif des lanceurs de la Chine, ce qui démontre le rôle influent, désormais incontournable, de Pékin dans le nouveau monde de l’espace. Rien d’étonnant: nous vivons sous l’emprise chinoise au sein d’une société globale de plus en plus à la mode du «Made in China»…

Une métamorphose qui a pris à peine 3 décennies pour s’imposer. Et ce n’est pas fini: l’Empire du Milieu, avec plus de 1,4 milliard d’habitants, entend bien être leader mondial en 2049 pour le centenaire de la République populaire de Chine. C’est l’objectif de l’actuel Président Xi Jinping qui a pris, depuis mars 2013, la tête d’un Parti Communiste autoritaire et prône un sentiment nationaliste exacerbé.

Il y a 50 ans, Moscou et Washington se disputaient la Lune comme enjeu d’une guerre froide. Noël 1968 fut marqué par l’historique réveillon, autour de notre satellite naturel, de 3 astronautes de la NASA. La Chine de Mao Zedong (1893-1976) subissait alors une guerre civile, dite «révolution culturelle prolétarienne», qui aurait fait 3 millions de morts (chiffre non officiel). Cet épisode dramatique d’anarchie consacre la puissance de l’Armée Populaire de Libération, qui remet de l’ordre dans le pays. C’est elle qui, le 24 avril 1970, réussit avec l’un de ses missiles le lancement du premier satellite chinois, le Dong Fang Hong-1. Si bien que chaque 24 avril, Pékin célèbre la journée annuelle de l’astronautique en Chine. 

Un apprentissage éclair

De cette période trouble, qui prend fin au décès de Mao en 1976, émerge une élite de dirigeants communistes favorable à l’économie de marché et une ouverture sur le monde capitaliste. C’est Deng Xiaoping (1904-1997) qui place la Chine communiste sur l’orbite du business global.  Avec le bilan surprenant que l’on enregistre aujourd’hui pour les produits «Made in China». Le virage initié voici 30 ans va se poursuivre à l’ère de Xi Jinping. La présence chinoise au-dessus de nos têtes pour les systèmes et services spatiaux est en train de se renforcer par le biais d’entrepreneurs privés compétitifs. En tirant parti du potentiel scientifique et technologique des instances gouvernementales, les acteurs du spatial chinois vont faire preuve d’efficacité et user de perspicacité. Surtout qu’ils sont des milliers d’ingénieurs, chercheurs et étudiants à se montrer réactifs et innovants dans la technologie des lanceurs et des satellites.

Au départ, le programme spatial de la Chine était plutôt modeste, sous le contrôle d’institutions à caractère militaire et sous l’autorité du Parti Communiste. La puissante société d’État CASC (China Aerospace Science & Technology Corporation) gère, via des académies, instituts et entreprises de haut niveau, les activités de développement aérospatial en Chine. Et ce, sous le joug de la Sastind (State Administration of Science, Technology & Industry for National Defence). Par ailleurs, le CASIC (China Aerospace Science & Industry Corporation), fort de ses activités militaires, démontre un savoir-faire pour l’espace. Rapidement et sous l’impulsion de Deng Xiaoping, le programme spatial chinois a pris de l’importance pour les systèmes d’applications, en étant à la fois outil de prestige national et tremplin de business global.

L’appareil militaro-industriel centré sur Pékin avec la CAST (China Academy of Space Technology) et sur Shanghai avec la SAST (Shanghai Academy of Spaceflight Technology) s’est lancé dans le développement des satellites pour les télécommunications et la télévision (plateformes DFH), pour la télédétection, la météorologie, l’océanographie pour la navigation (constellation Beidou). Ces satellites poursuivaient un objectif national. Mais le monde des affaires n’est jamais loin: la CGWIC (China Great Wall Industry Corporation) était chargée de commercialiser les satellites dans le monde. Avec la livraison sur orbite de systèmes clés en mains pour le Brésil, le Vénézuela, le Nigéria, le Pakistan, la Bolivie, le Laos, le Bélarus, l’Algérie… Le constat est là: la Chine s’affirme comme la 2e puissance dans l’espace, après les États-Unis, mais avant l’Europe et la Russie.  

Un acteur qui compte

Pour faire face à une demande croissante de lancements, la CALT et la SAST ont mis en œuvre une 1e génération de fusées Longue Marche ou CZ (Chang Zheng) basées sur la technologie des premiers missiles intercontinentaux chinois. Les variantes CZ-2, CZ-3 et CZ-4 utilisent 2 ou 3 étages propulsés par des moteurs employant des ergols toxiques (péroxyde d’azote, diméthyl­hydrazine). Les CZ-3, dont le concept rappelle celui des Ariane 4 européennes, sont équipées d’un étage à propulsion cryogénique (oxygène et hydrogène liquides). Leur exploitation se fait à partir d’infrastructures sous contrôle militaire sur les sites de Jiuquan, de Xichang et de Taiyuan.

Avec la commercialisation des systèmes spatiaux voulue par Deng Xiaoping, la Chine a cherché à mettre un pied sur le marché du transport spatial avec des lanceurs bon marché. Mais les États-Unis l’ont freinée dans son élan en imposant les restrictions Itar (International Traffic in Arms Regulations): pas question que puisse transiter sur le territoire chinois un satellite doté du moindre composant de conception américaine ! Cette interdiction a permis d’empêcher la montée en puissance d’une concurrence sérieuse pour les Delta et Atlas américains, les Ariane d’Europe, les Soyouz et Proton de Russie. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?

Une pléthore de lanceurs

Il y a 10 ans, la CASC pour la CALT (China Academy of Launchers Technology) obtenait le financement d’une nouvelle génération de lanceurs autour de modules propulsifs fonctionnant avec des propergols écologiquement propres (kérozène, oxygène et hydrogène liquides). Le premier objectif est de donner à la Chine des lanceurs lourds, capables de satelliser en orbite basse jusqu’à 13,5 t (avec CZ-7) et 25 t (avec CZ-5). Leur production est réalisée dans une nouvelle usine à Tianjin, non loin de Pékin. Un important ensemble pour leurs lancements était aménagé à Wenchang (Île de Hainan). Inauguré en 2016, ce centre n’a cependant servi qu’à 4 reprises. Le programme fonctionne donc au ralenti alors que les CZ-7 et CZ-5 sont des outils essentiels pour que la Chine soit en mesure de relever les défis spatiaux de demain: la construction et l’exploitation de la ­station spatiale chinoise, la présence permanente de taïkonautes autour de la Terre, l’exploration de la Lune et de Mars avec le retour d’échantillons, la préparation du lanceur lourd CZ-9 en vue d’une base lunaire… Nous aurons l’occasion de revenir sur ces grandes  ambitions dans un prochain numéro.

Depuis son arrivée au pouvoir, le président Xi Jinping encourage les jeunes entrepreneurs à mettre sur pied des sociétés compétitives de technologie spatiale. Ainsi le transport sur orbite fait naître des initiatives concurrentes telles que Expace, i-Space, LandSpace, LinkSpace, OneSpace… La plus ambitieuse étant LandSpace, qui a présenté en octobre 2018 son expertise à ­l’exposition du Congrès international d’astronautique à Brême (Allemagne). Elle propose la famille Zhuque-2 de lanceurs avec des propulseurs lox-méthane et annonce un 1er lancement dès 2020. Il est même question de faire voler des lanceurs depuis un navire ou à partir d’un territoire hors de Chine: une manière de contourner la réglementation américaine Itar… Désormais, il faudra compter sur les lancements chinois et sur la présence de plus en plus performante du «Made in China» au-dessus de nos têtes. Surtout que l’Empire du Milieu est bien décidé de jouer la carte NewSpace de la privatisation de l’espace pour des applications d’envergure globale.

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