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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

YU CHEN/IVPP, Henrietta Lacks by Kadir Nelson,
Rebikoff-Niggeler Foundation, Orangeaurochs/Flickr

Ci-dessus: Eorhynchochelys sinensis dans son environnement aquatique: avec ses membres robustes et ses griffes imposantes, il vivait probablement dans des eaux peu profondes le long du bord de la mer et creusait dans la boue pour se nourrir.

  

L’énigme tortue

Si elle peut paraître banale à force d’être présente un peu partout sur terre et dans l’eau, si elle donne souvent l’impression de sortir tout droit de la nuit des temps, la tortue présente bien des particularités qui la rendent remarquable. Identifiée sous son aspect actuel depuis près de 250 millions d’années, elle est le résultat d’une évolution qui, partant d’un ancêtre aux allures de grand lézard, a mené aux formes que l’on connaît aujourd’hui et qui donnent donc l’impression de n’avoir plus guère évolué depuis longtemps.

C’est peut-être parce que l’animal est doté de structures abouties qui ne connaissent plus que des adaptations à l’environnement, moins visibles aux yeux des profanes. Mais voilà tout de même un reptile qui est doté d’une carapace protectrice renforcée de plaques de kératine dont la partie dorsale est soudée à ce qui reste des vertèbres et dans laquelle peuvent se rétracter tête et pattes. On n’y pense pas en première analyse: pour que la chose soit possible, il a d’abord fallu que la ceinture scapulaire et celle du bassin, sur lesquelles les pattes sont articulées, puisse «basculer» sous les côtes et que celles-ci, au passage, puissent progressivement s’élargir puis fusionner afin de participer à l’élaboration de la carapace. Cela fait beaucoup d’évolutions convergentes en apparence qui résultent, dans le contexte évolutif, d’une succession d’essais tantôt favorables, tantôt non, mais toujours aléatoires.

Jusqu’il y a peu, on n’avait pas réellement eu l’occasion d’identifier de vestiges des stades intermédiaires de cette évolution. Cela pouvait laisser planer un doute sur une sorte de «dessein» évolutif programmé. Mais c’est chose faite depuis peu, depuis qu’on a exhumé du sol de la Chine un fossile vieux de 228 millions d’années. Il a une longue queue encore, mais déjà le bec que l’on connaît toujours chez l’animal d’aujourd’hui. Et surtout, ce spécimen a déjà les côtes élargies, ce qui confère à la cage thoracique l’allure générale de la future carapace. Quant aux ceintures scapulaire et pelvienne, elles sont placées de part et d’autre de cette dernière, à la marge, ce qui a dû favoriser leur intériorisation ensuite.

Cet animal aquatique a reçu le nom peu poétique d’Eorhynchochelys sinensis, dont les amateurs pourront aller découvrir le profil particulier sur internet. Un «chaînon manquant», en quelque sorte; mais qui ne manque donc désormais plus vraiment !

Nature, 2018 ; 560 : 476-479

Squelette d’Eorhynchochelys sinensis. (Glenn Poirier © Canadian Museum of Nature)

Eorhynchochelys sinensis dans son environnement aquatique.


Enfin aux cimaises !

La Smithsonian Institution de Washington est ce qu’on appelle une institution de prestige. Créée par l’administration américaine au milieu du 19e siècle, elle constitue aujourd’hui un des fleurons de la science américaine, dans le domaine de la muséographie et de l’éducation des sciences en particulier.

Elle dispose également d’une galerie de portraits qui regroupe toutes les «têtes américaines pensantes» dans le domaine du savoir. Et cette galerie vient de se voir enrichir d’un tableau supplémentaire, celui qui représente, dans une pose très classique, Henrietta Lacks. Sans doute ce nom-là n’évoque-t-il pas grand chose pour les plus jeunes et, autant le dire, ce n’est pas celui d’une savante de renom non plus. C’est celui d’une américaine très modeste, morte à l’âge de 31 ans – en 1951 – d’un cancer du col utérin. Triste et malheureusement banal; pour l’époque au moins. Mais un jeune stagiaire, Otto Gey, a eu l’idée, animé d’un désir bien légitime de confirmer le diagnostic cancéreux, de prélever à l’époque un peu du tissu malade qu’il a mis en culture. Non seulement ce petit fragment a-t-il proliféré, mais il le fait encore près de 70 ans plus tard, dans un très grand nombre de laboratoires du monde entier. La souche originelle, baptisé HeLa (du nom de la donneuse) a entretemps été utilisé dans un nombre considérable de travaux de recherche, à la faveur de mutations induites ou spontanées, et ce n’est pas fini. Et si on rassemblait aujourd’hui toutes ces cellules, on obtiendrait une masse sans aucune mesure avec celle de la mince jeune femme dont le prélèvement originel est issu.

Henrietta Lacks a donc, de façon bien involontaire, largement contribué à l’évolution des connaissances biomédicales et elle le fait encore. Cela méritait bien un portrait dans une des institutions américaines les plus prestigieuses.

Un dernier mot encore: si pendant des décennies les résultats de tous les travaux portant sur les cellules HeLa ont été largement diffusés dans la presse scientifique spécialisée, ils sont frappés aujourd’hui du sceau de la confidentialité. La raison ? Henrietta Lacks a eu des enfants et tout ce qui a trait en particulier à la génétique des cellules est désormais considéré comme appartenant au patrimoine familial. Cela n’empêche pas les travaux de recherche, mais ça en réduit simplement la diffusion des résultats qui ne sortent plus du cadre fermé des laboratoires. Le respect des droits individuels a également évolué au cours des quelques récentes décennies…

Science, 2018 ; 360 : 838


BIO ZOOM

Ce poisson aux allures effrayantes est un Caulophryne jordani. Cet habitant des eaux profondes (de plus de 100 m jusqu’à 1 500 m) vient d’être photographié, vivant et en activité, dans sa zone naturelle. Outre son faciès repoussant, l’animal dispose de longs filaments bioluminescents utilisés comme leurre pour détourner l’attention de ses proies.

Excellent exemple de dimorphisme sexuel, le mâle, réduit pour l’essentiel à sa seule fonction reproductrice, ne mesure que 1,5 cm contre 20 cm pour la femelle !

Un Caulophryne jordani femelle.


Quelle est la particularité des saxifrages ?

Les amateurs de jardins connaissent cette petite plante qui participe si bien, par ses fleurs abondantes blanches, jaunes, rouges ou mauves aux parterres de rocailles. D’origine montagnarde, elle s’accommode en effet fort bien de conditions difficiles, ce qui lui vaut une étymologie – saxifraga – qui signifie «perce-pierre». Elle sait en effet profiter de la moindre anfractuosité de rocher pour y implanter ses racines, une particularité qui n’a pas manqué d’intéresser les amateurs de jardins de rocailles.

Les particularités des saxifrages – on en dénombre plus de 400 espèces – ne s’arrêtent toutefois pas là. L’étude d’espèces d’altitude a permis de constater que ces plantes peuvent résister à un gel parfois sévère. Elles sont plutôt petites déjà, et la surface de leurs feuilles, dentelées, est enrichie de nombreux hydathodes. De quoi s’agit-il ? D’organes spécialisés dans l’externalisation de l’eau. En cas de gel, la plante peut donc secréter activement une partie de son eau, ce qui réduit le risque de formation intra-tissulaire de glace, dont on sait que les cristaux sont dévastateurs dans les tissus vivants. On a également noté chez des espèces comme Saxifraga scardica, la présence au périmètre des feuilles, d’une marge transparente qui agirait comme un déflecteur de la lumière du jour vers les chloroplastes internes, ce qui augmenterait donc les chances pour la plante d’effectuer la nécessaire photosynthèse, même quand la lumière incidente est réduite.

Voilà donc une petite plante commune de nos jardins, pots et balcons qui recèle bien des particularités intéressantes. Le côté merveilleux des choses est souvent à notre portée. Le tout est d’en déceler la présence.

Science, 2018 ; 360 : 45


  

Du singe à l’homme…

La transition évolutive qui a permis à une lignée de grands singes de donner naissance à l’homme ne cesse d’intriguer depuis presque 2 siècles, notamment par ce qu’elle s’est inscrite dans un délai plutôt court, de l’ordre de 5 à 7 millions d’années. Cette réalité interpelle les anthropologues qui disposent aujourd’hui d’outils leur permettant de comparer, dans le détail, les génomes de grands singes et le nôtre pour y déceler les variations qui pourraient avoir été déterminantes pour justifier l’évolution observée.

Outils performants ou pas, le travail reste titanesque; le génome humain, très proche de celui des grands singes compte tout de même 3 milliards d’éléments qui présentent aussi, outre les différences interspécifiques, des variations individuelles qui nous rendent tous différents. Ce sont donc plusieurs dizaines de génomes appartenant à quelques espèces qu’il faut comparer pour mettre en évidence ce qui pourrait s’avérer signifiant. Des chercheurs ont tenté l’aventure, en tablant sur 2 espèces de singes anthropomorphes actuels (le chimpanzé et l’orang outan) en plus de la nôtre. Au total, ce sont plus de 600 000 variants structurels qui ont été décelés, 17 000 d’entre eux étant spécifiques de l’humain.

Puisque l’évolution la plus importante entre les 2 échelons évolutifs semble être le développement du cerveau, une option a consisté à cibler plus précisément les cellules cérébrales et en particulier celles de la glie, qui constituent l’environnement proximal des neurones. Et il se trouve que 41% des gènes inactivés sont associés à des variations structurelles humaines. Inactivés ? Ce n’est pas surprenant, nombre de gènes ayant une fonction de contrôle: les supprimer ou les inactiver permet donc d’autoriser des réactions et processus. Et c’est peut-être cela (en partie au moins) qui a permis l’évolution observée. On note par exemple la délétion d’une part importante du gène FADS2 qui opère une sélection des acides gras nécessaires au développement cérébral. Or on sait par ailleurs que si les grands singes consomment peu de viande, les Homo l’ont inscrite à leur régime. Ces 2 éléments associés auraient-ils eu un rôle déterminant ? C’est possible mais ils ne sont sans doute pas les seuls à mettre en cause.

Il est clair que l’information se précise mais vu la masse d’informations à traiter, on est loin encore de pouvoir tout décrypter. D’autant que l’évolution reste en marche…

Nature, 2018 ; 559 : 336-336


  

Pesticides: retour vers le futur

L’agriculture a ses raisons – notamment économiques – que la raison ignore de moins en moins, tant les pesticides de synthèse ont aujourd’hui mauvaise presse, pour leurs effets collatéraux si largement débattus. Puisque la nécessité alimentaire reste une priorité, il est temps de découvrir des alternatives qui ont la même efficacité, mais n’en ont pas les défauts.

Il existe des plantes qui, cultivées en parallèle, peuvent réduire la croissance d’indésirables, voire l’interdire. D’autres, en décoction – on pense au purin d’orties – assurent également une couverture protectrice, fut-elle partielle. Il s’agit dans tous les cas de solutions naturelles, «bio» et très bon marché. Sauf que l’efficacité n’est pas forcément celle des produits de synthèse dont on voudrait bannir l’usage.

La solution se trouve peut-être entre les deux et fait aujourd’hui déjà l’objet d’études très circonstanciées. Certaines plantes disposent par exemple tout à fait naturellement de molécules qui peuvent entraver le développement d’autres. Le mécanisme relève d’une biochimie subtile qui s’inscrit dans des processus très élaborés, donc également précis. Puisque ces derniers sont de mieux en mieux connus et maîtrisés, l’idée est de tabler sur des molécules naturelles et d’opérer, d’une certaine façon, des «frappes chirurgicales».

Un exemple ? Le gène astD, dont disposent les plantes, produit une molécule (la N-succinylgolutamate 5-semial­déhyde déhydrogénase) qui protège celles qui en sont porteuses des effets de l’acide aspterrique. Ce dernier est une production – toxique – de champignons comme l’Aspergillus, qui agit sur une enzyme du végétal (le déhydroxyacide déhydratase) indispensable à celui-ci pour synthétiser des acides aminés et donc assurer sa croissance. L’idée est donc d’intervenir de façon très spécifique sur ce gène astD pour le rendre inactif, ce qui a (ou aurait) pour effet de rendre les végétaux traités sensibles au toxique du champignon et donc d’en inhiber la croissance.

Complexe ? En apparence, mais dans le fond, le procédé est simple. Reste à l’appliquer. Et c’est là qu’on risque de retomber dans les ornières d’un traitement chimique, tant par le mode de fonctionnement que par le coût. On aura certes misé sur un processus naturel, en tablant sur des molécules tout aussi naturelles et de façon hautement spécifique. Il reste à voir tout de même si cela va fonctionner en milieu ouvert, sans dégâts collatéraux.

Nature, 2018 ; 559 : 415-418


Du sens maternel de la fourmi

Chez les insectes sociaux comme les termites, les abeilles et les fourmis, une femelle en particulier acquiert le statut envié de reine, ce qui lui confère le droit d’assurer la descendance de la colonie. Les œufs, une fois éclos, sont ensuite pris en charge par les ouvrières qui, devenues nurses, sont chargées d’alimenter cette génération en devenir.

Sur un plan comportemental, ces attitudes bien définies et tranchées peuvent évidemment mobiliser l’intérêt des chercheurs qui ne se font pas prier pour en connaître les origines, lesquelles doivent logiquement trouver aussi leurs bases dans la génétique des espèces concernées. Ce comportement a en effet dû être acquis à un moment donné de leur évolution, à la faveur d’une ou de plusieurs mutations. Partant de ce postulat, des biologistes de l’Institut Rockefeller de New York ont comparé le contenu génétique de cellules cérébrales de fourmis – reines et ouvrières – de 7 espèces. Et ce que leurs travaux ont clairement fait ressortir, c’est qu’un gène – celui qui produit l’équivalent de l’insuline – est significativement plus transcrit chez les reines que chez ses compagnes de colonie.

Afin d’apporter un début de preuve à cette découverte, les chercheurs ont testé cette insuline sur une espèce de fourmis connue pour n’avoir pas de reine (Oocereaea biroi) et où les ouvrières peuvent donc, dans certaines conditions précises, pondre des œufs. Ce qui est arrivé, c’est que les cohortes de femelles traitées ont non seulement toutes pondu, mais ont assuré normalement l’alimentation de leurs rejetons.

La dérégulation d’un seul gène (sous l’effet d’une voie de signalisation biochimique peut-être complexe) semble donc bien être l’élément unique qui a hiérarchisé la fonction «maternelle» chez la fourmi.

Y a-t-il là un message à exploiter pour notre propre espèce ? Cela n’est pas dit, ni même suspecté. Mais allez savoir…

Science, 2018 ; 361 : 398-402

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