Chimie

Quand la science s’égare !

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

© De Agostini/Biblioteca Ambro, Sam LaRussa/wiki,
Science & Society Picture Library

Le radium, après sa découverte par Marie Curie (nobélisée pour cela en 1911), évolua bien vite d’un remède contre le cancer (curiethérapie) vers une panacée universelle, capable de guérir soi-disant n’importe quoi. De là à commercialiser des préparations pharmaceutiques plus que douteuses, il n’y avait qu’un pas. Tel fut le cas de la crème Tho‑Radia !

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire.

  

Au début des années 1930, aucune autorisation particulière n’était requise pour mettre sur le marché des produits de beauté, même si ceux-ci contenaient des substances pharmacologiquement actives, voire radioactives. À l’époque de sa découverte (1898), le radium suscitait un enthousiasme grandissant alors que les scientifiques ne disposaient que de peu d’informations quant à ses effets réels sur les cellules vivantes. Il s’agit d’un métal fascinant, luisant dans l’obscurité, et doté d’une activité radiative un million de fois supérieure à celle de l’uranium.

  

Découverte des effets du radium

Un jour, Henri Becquerel (qui découvrit la radioactivité en 1896 et qui fut nobélisé en 1903 avec Pierre et Marie Curie) transporta un échantillon de radium dans la poche de son veston et eut le désagrément de constater que sa peau présentait à ce niveau une lésion douloureuse. De son côté, Stefan Meyer, le directeur de l’Institut de recherche sur le radium à Vienne cessa de jouer de la viole de gambe parce que ses doigts avaient été endommagés. D’autres scientifiques vécurent des expériences analogues et se demandèrent si ce radium ne pourrait pas détruire des tumeurs. L’idée d’encapsuler du radium et de le positionner à l’endroit précis de ladite tumeur offrait l’avantage de limiter la destruction des tissus sains avoisinants. Ainsi, la curiethérapie, proposée par Pierre Curie et développée tant à Paris qu’à New York, a permis de combattre certaines formes de cancers et cette technique, impliquant aujourd’hui d’autres radioéléments, reste un traitement très ciblé et sûr.

Il semblait par ailleurs probable que de petites doses de radioactivité auraient le pouvoir de stimuler l’état général des gens ‒ par exemple en exaltant l’érythropoïèse (du moins au début), ce qui améliore leur carnation ‒, bref de leur procurer un sentiment de bien-être. Voilà pourquoi cette «thérapie» par le radium allait devenir le leitmotiv des médecins avides et des charlatans.

  

Des applications douteuses visant au bien-être des gens

À cette époque, on vantait la radioactivité de certaines eaux thermales. Des centres de cures, comme Sankt-Joachimsthal en République tchèque (à proximité immédiate des gisements de pechblende d’où provient le radium), Baden­Baden en Allemagne ou Claremore dans l’Oklahoma, devinrent célèbres.

Dans ce contexte, Eben Byers, un riche industriel américain, grand sportif à ses heures (il était champion de golf) en fit les frais ! On lui avait prescrit du Radithor, un élixir radioactif censé être un tonique général (voir photo 1). De 1927 à sa mort en 1931, il but près de 1 500 flacons de cette solution radioactive (à base de radium-226, lequel s’accumule dans les os), parfois jusqu’à 3 par jour. Irradié de l’intérieur, son corps était devenu tellement radioactif qu’il fut enterré dans un cercueil doublé de plomb ! L’affaire fit grand bruit auprès de la FDA qui vota dès 1938 un acte fédéral réglementant tout cela.

Cependant, des gens peu scrupuleux n’hésitèrent pas à profiter de cette réputation curative du radium pour lancer sur le marché des crèmes, savons, voire même des dentifrices à base de cet élément chimique miraculeux, censé être régénérateur et vitalisant.

Ainsi, dans le sillage de marques de produits cosmétiques telles que Activa et Radior, une autre société, dont le parcours mérite d’être relevé, débuta ses activités en 1932. Inspiré par le concept d’une «micro­curiethérapie» imaginée par Alexandre Jaboin, un pharmacien, Alexis Moussalli, également pharmacien de son état, élabora une crème de beauté contenant, en pourcentage, des fractions de microgrammes de chlorure de thorium et de bromure de radium, ce qui le poussa à s’associer avec le docteur Alfred Curie. Ce dernier, sans aucun lien de parenté avec les célèbres Curie, déposa la marque Tho-Radia, en exigeant que figure sur les emballages la mention «Selon la formule du Dr Alfred Curie». Cette publicité équivoque allait leur permettre de faire fortune (voir photo 2) ! Cependant, en 1937, les règlements sur la commercialisation des produits radifères changèrent drastiquement, ce qui amena les dirigeants de Tho-Radia à ôter les 2 radioéléments de leurs formes galéniques jusqu’à l’abandon de la marque en 1968.

1. Bouteille de Radithor.

2. Publicité vantant les mérites de la marque de cosmétiques Tho-Radia.

3. Ouvrières utilisant de la peinture luminescente dans une usine d’horlogerie. L’utilisation du radium-226 pour la luminosité des cadrans de montres ou d’horloges est devenue populaire dans les années 1920 – avant que le risque pour la santé ne soit pleinement établi.

  

Une peinture luminescente dans l’obscurité

Finalement, le dernier usage important du radium sera l’incorporation de cet élément dans les peintures luminescentes pour les montres et réveils (afin de pouvoir lire l’heure pendant la nuit). Et là aussi, on remarquera qu’aux États-Unis, des ouvrières développèrent des nécroses et des cancers au niveau buccal parce qu’elles affinaient les pinceaux avec leurs lèvres avant de peindre les chiffres et les aiguilles (voir photo 3). Après bon nombre de palabres, les responsables durent bien reconnaître le rôle délétère joué par le radium et indemniser leurs victimes ! 

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