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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

© Eraxion/Fotosearch LBRF, Zweer de Bruin/Flickr, © AWPA

De la peau de l’éléphant

Sous l’effet d’une forte chaleur, surtout quand elle est persistante, notre peau se couvre de la sécrétion des glandes sudoripares. Celle-ci permet, après évaporation de l’eau, de maintenir aussi longtemps que possible notre corps à la température optimale. Ce qui est surprenant, c’est que nombre d’animaux supérieurs, et en particulier ceux qui ont une activité diurne en Afrique subsaharienne, n’ont pas ce dispositif, ce qui a dû les forcer à retenir une autre adaptation évolutive.

C’est le cas de l’éléphant Loxodonta africana. Il est grand, vit dans la savane et est donc particulièrement bien exposé aux ardeurs du soleil. Les points d’eau ne sont pas très abondants non plus. L’éléphant, qui est capable de longs déplacements, sait les retrouver et en profite à chaque fois pour s’y immerger et/ou se rouler dans la boue si l’eau est en quantité insuffisante. Chacun a en mémoire ces séquences de bain «grand format» dont les documentaires sont friands. Pour intéressante que la méthode paraisse pour apporter une croûte de boue protectrice et éloigner les parasites, elle n’explique pas tout. Comme l’a démontrée une équipe de l’Université de Genève – dirigée par le belge Michel Milinkovitch – il faut explorer l’épaisseur de la peau de l’animal (le stratum corneum) pour y découvrir le vrai bénéfice de ces bains-là.

Mettant à profit l’analyse fine de biopsies cutanées (par microscope et tomographie adaptée), les chercheurs ont découvert que cette enveloppe, qui ne se desquame pas mais s’épaissit avec l’âge, se micro-fracture localement, créant un réseau de microfissures dans lequel l’eau des bains peut s’infiltrer avant d’être passivement retenue ensuite par la dessiccation de la croûte minérale en périphérie. C’est en quelque sorte une faiblesse de l’extension du tégument qui est passivement mise à profit pour assurer à l’animal une protection temporaire contre les effets d’un soleil omniprésent.

Comme nous le rappelle bien involontairement ici l’éléphant, il faut parfois savoir mettre à profit ses petites faiblesses…  

https://www.nature.com/articles/s41467-018-06257-3

Les profonds sillons de la peau d’un éléphant.


L’intestin qui se courbe

La mise en place progressive des organes d’un embryon part de bourgeons pairs qui, en fusionnant, nous confèrent la symétrie dont notre corps bénéficie, au moins vu de l’extérieur. À l’intérieur, c’est globalement vrai aussi puisque nombre de nos structures restent paires; mais pas toutes. Le tube digestif en fait partie. Après tout, même unique, il peut bien entendu être le résultat de la fusion de 2 entités. Mais pour en manifester une preuve évidente, il devrait être en position centrale et plutôt rectiligne, ce qui est loin d’être le cas. Non seulement est-il particulièrement long – toutes sections confondues – mais il est aussi courbe. Parce qu’il faut bien le caser dans cet espace restreint qu’est l’abdomen ? Sans doute, mais ça c’est un résultat. Encore faut-il qu’un processus génétiquement programmé mène à la formation d’anses qui ne sont pas le fruit du hasard.

On sait depuis un certain temps déjà que de l’acide hyaluronique est présent dans tous les tissus connectifs et de remplissage; on en retrouve donc logiquement un peu dans tous les tissus et notamment, dans le conjonctif. La paroi du tube digestif n’en est pas démunie non plus. Sauf que – et ça, c’est un acquis récent de la recherche – sa concentration n’est pas identique d’un côté et de l’autre de ce conduit, le droit étant plus riche que le gauche en ce composant. Des travaux récemment menés sur des embryons de poulet et de souris ont en outre permis de montrer que la molécule de base de cet acide est enrichie à ces stades précoces de développement de chaînes peptidiques annexes qui en modifient donc à la fois la composition et la fonction. Elles en modifient également la longueur et c’est cette différence qui mènerait le conduit digestif à s’allonger davantage du côté droit le forçant à une courbure progressive. Ce n’est peut-être pas le seul inducteur de cette évolution organique, mais celui-ci semble essentiel: l’inhibition de sa production chez les embryons étudiés mène en effet à une conformation anormale du conduit.

Cela peut paraître anodin rapporté à toute l’organisation du corps, mais c’est tout de même essentiel puisqu’un tube digestif mal constitué est un organe qui fonctionne mal. Or, on attend de lui qu’il le fasse bien. Donc il faut que sa conformation soit judicieusement programmée et pas laissée au simple hasard. Et on sait désormais – pour partie au moins – à quoi cette normalité est due et qu’elle naît, chose surprenante mais nécessaire, d’une asymétrie.

Nature, 2018; 561: 8


Bio zoom

On le croirait tout droit sorti de L’âge de glace, rien d’étonnant vu son épais pelage ! Le manul (Otocolobus manul) vit en Asie centrale, surtout en Mongolie et sur le plateau tibétain, où il chasse des oiseaux, marmottes, lapins et autres petits rongeurs. En dépit des apparences, il a la taille d’un chat domestique, soit 50 à 65 cm. 

Le chat de Pallas (du nom du premier zoologiste à l’avoir décrit) est plutôt court sur pattes et lent, il constitue donc une proie facile pour des carnivores plus gros que lui, raison pour laquelle il préfère les rochers ou les ravins des steppes et établit sa tanière dans les terriers de marmotte abandonnés. Longtemps chassé pour sa fourrure, il ne serait toutefois pas menacé d’extinction.  

Le manul a la taille d’un chat domestique.

Le chat de Pallas a longtemps été chassé pour sa fourrure.


Que devons-nous à Neandertal ?

Rien ? Mais si, 3% environ de notre génome, ce qui signifie que même si nos ancêtres sapiens et leurs cousins Neandertal ont cohabité finalement assez peu de temps, ils n’ont pas échangé que de simples salutations d’usage.

On commence à connaître aujourd’hui ce qui constitue ce matériel transmis et une des révélations récentes tient au fait qu’il s’agit, en particulier (mais pas uniquement), de gènes qui permettent à l’organisme de se défendre contre l’action des virus. Voilà donc un legs de ces lointains cousins qui a favorablement passé le cap de l’hybridation ! Sauf qu’évidemment, les premiers bénéficiaires de ces gènes ont d’abord été ceux qui étaient confrontés aux virus apportés par les Neandertal eux-mêmes et qui étaient nouveaux pour eux. Et comme ces prédispositions acquises apparaissaient d’emblée favorables, l’évolution en a gardé la trace élective jusqu’à nous, des dizaines de milliers d’années plus tard. Cela n’interdit pas de contracter des virus ni même d’en mourir en fonction de sa virulence ou de son propre état de santé, mais c’est mieux que rien, tout de même. Dans ce domaine comme ailleurs, il n’y a pas de petits profits, dussent-ils venir de très loin, voire d’une hybridation peut-être pas toujours consentie !

Cell, 2018; 175: 360-371

Photo: La reconstitution de l’Homme de Spy  par les artistes Adrie et Alfons Kennis est exposée à l’EHoS, à Onoz.


   

La méthylation des demandeurs d’asile

L’afflux de migrants sur le territoire européen a mené les États concernés par cette migration pour le moins massive et nouvelle à prendre les dispositions diverses que l’on sait.

Souvent jeunes et arrivés sans papiers, les hommes qui ont fait un voyage sans retour, long et périlleux, entendent mettre toutes les chances de leur côté pour passer du bon côté du sort qui leur sera réservé. Quitte à tricher un peu. Sur l’âge notamment. Et on sait qu’il peut être difficile d’évaluer l’âge exact d’un jeune homme au point de préciser s’il a oui ou non plus de 18 ans. Il existe bien entendu des tests osseux basés sur la radiographie par rayons X ou par résonance magnétique. Mais ces tests, en plus d’être coûteux, sont assez peu précis, dotés d’une marge d’appréciation de 3 à 4 ans. Des migrants ont par ailleurs refusé de s’y soumettre au nom de la dignité. 

Ce qui est sûr, c’est qu’un mineur jouit de dispositions plus attentives des autorités européennes que les adultes. Il y a donc matière à une évaluation aussi précise que possible pour éviter de trop larges débordements. Et dans ce registre, il semble que l’épigénétique soit en mesure d’apporter une avancée déterminante. On la doit à un scientifique américain, Steve Horvath, qui a décrit une méthode permettant d’établir l’âge d’un individu avec une précision qui serait de l’ordre de 1 an.

Celle-ci repose sur la méthylation de 391 sites de l’ADN, le tout étant compilé par un programme de biostatistique. Le dépôt de radicaux méthyles sur ces sites évolue avec l’âge et semble être en effet un bon critère d’évaluation, comme en témoignent les tests préliminaires de validation qui ont bien entendu été réalisés. Et rien n’interdit de multiplier le nombre de ces sites génomiques pour apporter davantage de précision.

Reste à évaluer l’éthique d’une telle démarche et à en juger par les premiers avis émis, on est tantôt dans une problématique d’exclusion, tantôt dans celle d’entérinement, le tout étant ensuite affaire de politique qu’il ne nous appartient pas de juger ici: la science est amenée à apporter une information de plus en plus précise et fiable; ce qui suit ne lui appartient plus.  

Nature, 2018; 561: 15


Comportement maternel et… matières fécales

L’hétérocéphale (Heterocephalus glaber) est un animal pour le moins étonnant qui habite la corne de l’Afrique, et plus particulièrement son sol, dans lequel il creuse des galeries comme le font ici nos taupes. Outre de surprenantes facultés comme une résistance à la douleur, au cancer et à l’absence temporaire d’oxygène, cet animal frappe par son esthétique disons… particulière. Sa peau est rose, transparente et nue, à l’exception de quelques vibrisses éparses mais sensibles aux vibrations. Ses yeux et ses oreilles sont tout petits. En revanche, il dispose de 2 longues incisives qui lui servent surtout à creuser des galeries. Voilà pour l’aspect général.

Élément extraordinaire et d’ailleurs unique chez les mammifères, le rat-taupe nu (c’est son nom habituel) vit en colonies, un peu à la façon des abeilles, avec une fonction reproductrice dévolue à la seule reine. Et celle-ci y va fort: elle peut avoir 5 portées par an, permettant à chaque fois la naissance de 12 petits, voire beaucoup plus. Et les autres membres de la communauté ? Plusieurs mâles peuvent être les reproducteurs attitrés, les autres vaquant à des tâches diverses au titre de soldats ou d’ouvriers. Quant aux femelles, si elles peuvent partager ces tâches-là aussi, elles ont pour fonction de s’occuper des petits et on a vu à quel point ils peuvent être nombreux.

Ce qui a un temps interpelé, c’est la raison pour laquelle elles n’entrent pas dans un cycle reproducteur, cette fonction étant dévolue à la seule reine. L’explication est essentiellement hormonale, avec toutefois des composantes phéromonale et alimentaire. Les phéromones sont des substances volatiles – perceptibles ou non à l’odeur – à effet hormonal. Elles seraient issues de l’urine de la reine. La composante alimentaire est quand à elle un peu particulière vu le contexte: elle tient à la coprophagie. Même si le fait de consommer des matières fécales – c’est de cela qu’il s’agit – n’est pas rare dans le monde animal, il a ici une fonction toute particulière dans le sens où ce sont les matières fécales de la seule reine qui semblent consommées et ce n’est pas un hasard: elles sont riches en hormones femelles – les estrogènes – ce qui a pour effet de bloquer ou au moins de réduire de façon significative la production de leurs équivalents par l’organisme de celles qui les consomment. Résultat: elles n’atteignent pas un niveau suffisant pour produire des ovules, mais le comportement «femelle» n’est quant à lui pas affecté.

Le tout reste une particularité de l’espèce, sans équivalent connu chez les autres mammifères. Il va de soi que le fait d’habiter en communauté dans l’environnement confiné des galeries favorise à la fois la dissémination des phéromones et la disponibilité des royales déjections. On peut être reine et avoir des faveurs pour le moins particulières pour ses sujets !

Proc. Natl Acad. Sci USA, 2018.  http://doi.org/ctc2

Nature, 2018 ; 561 : 9


Requin végétarien

Tous les requins, en dépit de la méchante publicité qu’on leur fait, ne sont pas mangeurs d’hommes et il s’en faut de beaucoup, ne fût-ce que parce que leur taille ne leur permet pas. Et puis il y a tant d’autres proies plus faciles d’accès.

Il n’empêche que ces vertébrés aquatiques sont tous carnivores. Tous ? Enfin presque; car on a récemment découvert que l’un d’entre eux est en réalité omnivore. Il n’hésite en effet pas, pour la moitié de son régime en tout cas, à faire son ordinaire des algues qui poussent dans son habitat, au large des côtes américaines. Il s’agit d’un petit requin marteau, nommé Sphyrna tiburo. Avec son mètre de long en moyenne (les plus grands individus peuvent atteindre 1,50 m), il n’est certes pas le plus impressionnant; et s’il demeure un prédateur, ce sont les crustacés, crevettes et petits céphalopodes qui ont à souffrir de son appétit.

Ce qui surprend les scientifiques, c’est bien entendu ce changement de régime étonnant, qui semble indiquer que s’il consomme finalement beaucoup de végétaux, c’est surtout parce que ce requin-là dispose des enzymes qui lui permettent de les dégrader, en particulier la cellulose. Est-ce un acquis évolutif récent propre à cette seule espèce, ou bien d’autres requins disposent-ils aussi des mêmes enzymes mais n’en font tout simplement pas usage parce que leurs proies habituelles suffisent à combler leur appétit ? On sait toutefois aussi, pour l’avoir observé chez d’autres espèces de vertébrés prédateurs, qu’ils sont capables de digérer en partie le contenu digestif de leurs proies végétariennes, afin de faire profit de tout…

Les recherches toujours en cours sur cette étonnante exception marine devraient nous permettre d’en savoir un peu plus. Il va de soi que si l’image globale du requin va peu changer, le fait d’en connaître un qui mange de l’herbe rend la bête déjà un peu plus sympathique.  

Nature, 2018; 561: 152

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