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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

Nick Hobgood/wiki, Skolnik Co/Flickr – Biozoom, Mike Weston/Flickr – tortue 

 
Du cerveau de la seiche

A priori, le cerveau n’offre pas de manifestations externes de son fonctionnement. Excepté pour un groupe animal: celui des céphalopodes et en particulier, des seiches, ces animaux marins dotés de 10 bras orientés vers l’avant lui donnant une forme très hydrodynamique. Pour le reste, la seiche est dotée de 2 gros yeux, d’un abdomen aplati de haut en bas et d’une structure unique chez les mollusques: un os (ou sépion) poreux qui lui permet de régler sa flottabilité. Mais l’animal est surtout connu pour son extraordinaire aptitude à se confondre à son environnement, tant par la couleur que par l’aspect physique qu’il donne à son enveloppe externe.

Ce sont ces dernières caractéristiques qui ont amené des neurophysiologistes à étudier ces animaux de plus près. Pour modifier ces 2 paramètres cutanés, la seiche doit d’abord prendre conscience de l’environnement dans lequel elle se trouve puis en dégager à la fois les couleurs et la granulométrie. Et c’est en cela qu’elle devient particulièrement intéressante, puisque les modifications apportées sont la traduction immédiate d’une activité cérébrale d’analyse. Disposant de seiches placées en conditions contrôlées et variables, les scientifiques les ont observées pendant des semaines par le biais de micro-caméras offrant 60 images par seconde et une résolution proche de celle d’une seule cellule. Le tout a ensuite été traité par voie informatique pour comprendre dans quelles conditions et dans quel délai la perception cérébrale de l’environnement était traduite sur l’enveloppe externe.

Les résultats de l’étude sont trop longs à répercuter ici mais on peut en retenir l’essentiel. Le cerveau, particulièrement important chez les céphalopodes, est relié à des neurones spécialisés dans le contrôle de muscles qui, au besoin, contractent ou étendent les taches faites de cellules colorées (ou chromatophores, jaunes, oranges, rouges, bruns et noirs) réparties sur tout le corps. C’est le contrôle «intelligent» de la taille de ces taches qui permet à l’animal de se fondre à son environnement, parfois jusqu’à s’y confondre totalement. Il en va de même pour les granulations du tégument externe dues à la contraction de muscles dédiés – formant des papilles – eux aussi sous contrôle neuronal. Dans le contexte évoqué, il apparait donc que la seiche ne peut rien cacher de son fonctionnement cérébral, puisqu’il devient visible de l’extérieur. C’est déjà intéressant tel quel. Peut-être en usant de moyens adaptés en saura-t-on bientôt davantage aussi sur le cerveau humain.

Nature, 2018 ; 350-351 et 361-366

Une seiche (Sepia latimanus) en habit de camouflage


Le sexe: une affaire précoce

Le sexe d’un futur individu, quelle que soit son espèce, est fixé génétiquement. Mais chez l’embryon en formation, on sait qu’il faut attendre plusieurs semaines parfois – comme chez l’humain – pour voir par échographie les premiers signes morphologiques de l’orientation sexuelle. Mais il y a autre chose que les organes qui permettent cette distinction: ce sont les cellules qui, bien plus tard, permettront la transmission de la vie. Les gamètes, donc: ovules et spermatozoïdes. On pourrait imaginer qu’elles ont tout le temps d’apparaître puisqu’elles n’auront à intervenir que bien plus tard, passé le cap de la maturation pubertaire. Or, c’est tout le contraire qui se passe. Très tôt, les cellules destinées à permettre la conception de la génération suivante se distinguent des autres – les cellules somatiques – appelées à se différencier, au bout du compte, en près de 250 tissus différents.

La précocité de cette distinction est remarquable: elle survient peu de temps après l’implantation embryonnaire dans la muqueuse utérine, soit, dans notre espèce, juste après le 6e jour de développement. Depuis la fécondation fondatrice, l’ovule fécondé se divise progressivement jusqu’à former une petite grappe de cellules sphériques retenues dans l’enveloppe protéique de l’ovule originel. C’est le stade morula (petite mûre). Puis au 5e jour, cette petite grappe se creuse d’une cavité, rejetant en périphérie des cellules aplaties (le futur placenta) et, d’un seul côté, la douzaine de cellules plus grosses appelées à former le futur embryon au sens strict. C’est du côté de ce «bouton embryonnaire» que l’embryon (appelé à ce moment blastocyste) peut s’implanter dans la muqueuse utérine après rupture de l’enveloppe qui le contient encore.

Rapidement, la cavité se scinde alors en 2 loges d’inégale importance, la séparation entre elles étant constituée de 2 assises de cellules. Celles qui se trouvent du côté de l’implantation sont appelées à devenir le mésoderme (les futurs organes internes) et l’autre, est l’épiblaste. Et c’est au contact de ces 2 feuillets primitifs que vont apparaître les futurs gamètes; une nécessité puisque, comme une recherche l’a récemment montré, ils vont devoir bénéficier d’apports spécifiques aux 2 types de cellules adjacentes.

Les cellules épiblastiques produisent en particulier une protéine appelée OTX2. Elle est qualifiée d’«homeobox», car appelée à favoriser le développement harmonieux de quelques-uns des futurs organes. Mais les futurs gamètes, qui n’ont rien à faire de cette protéine dont ils sont naturellement dotés, reçoivent, de l’autre assise cellulaire qui leur est jointive, 3 autres protéines au moins, appelées BLIMP1, PRDM14 et AP2ϒ. Ce sont elles qui ont la charge d’inhiber l’expression d’OTX2, permettant aux futurs gamètes de rester longtemps indifférenciés, aussi longtemps que leur multiplication originelle est requise. Ainsi donc, ovules et spermatozoïdes sont déterminés dès le tout début de la vie embryonnaire; avant même que l’embryon ne prenne, par plissement des 2 feuillets primitifs, l’aspect progressif d’un petit humain. Tout est donc fait «comme si» le futur humain était déjà programmé pour se reproduire… 

Nature, 2018; 562: 497-498 et 595-599


Bio zoom

Cette jolie et grande fleur (20 cm) à la couleur carmin provient de la plante succulente Stapelia grandiflora. Mais mieux vaut la voir en photo car en réalité, elle imite un lambeau de chair et pousse le mimétisme jusqu’à produire une odeur de cadavre censée attirer les mouches chargées, à leur insu, de la féconder. 

C’est ce que l’on appelle une plante charognard. Originaire d’Afrique du Sud, on la trouve dans des climats chauds et tempérés, même si elle résiste jusqu’à 0°C. La floraison de chaque fleur, de l’été à l’automne, est très courte, de l’ordre de 2 à 3 jours. 


D’où viennent les yeux bleus des Huskys ?

Il n’est pas nécessaire d’être un fervent amoureux du monde animal pour être fasciné par le regard intensément bleu des Huskys de Sibérie, ces chiens puissants souvent mis à contribution dans les courses de traineaux. Ce bleu clair sur lequel tranche la pupille noire confère à l’animal un regard souvent glacial, qui n’est évidemment pas le reflet du caractère de cette race plutôt calme et placide.

Mais une telle coloration, si différente du classique brun canin, a interpellé des généticiens qui ont tenté de savoir à quelle particularité génétique pouvait bien tenir ce caractère si particulier. Des prélèvements ont pu être opérés sur un total de 3 600 Huskys pour entreprendre l’étude envisagée.

Il apparaît qu’une séquence d’ADN en particulier se retrouve dupliquée chez 75% des porteurs d’yeux bleus. C’est une première piste, renforcée par une seconde constatation: le gène le plus proche est ALX4, impliqué dans le développement de l’œil. Un test de confirmation mené sur 3 000 chiens additionnels a validé l’observation. Chez le Husky sibérien, la seule duplication de séquence mise en évidence suffit à donner aux yeux la couleur bleu azur; chez d’autres races où cette particularité est également parfois observée, elle ne suffit pas. Un autre facteur doit donc vraisemblablement y être associé. Lequel ? C’est ce qui reste dorénavant à la recherche à identifier…

PLoS Genet, 2018; 14, e1007648


 
Vieux et programmé pour

On sait depuis longtemps que les grands vieillards présentent des caractéristiques génétiques qui en font par avance des centenaires potentiels. Et quand ils meurent, c’est emportés par des maladies qui semblent exclusives à leur âge avancé.

Dans ce registre, il existe des espèces animales connues elles aussi pour leur longévité exceptionnelle. C’est notamment le cas d’une tortue des Galápagos (Chelonoidis abingdonii) qui, faute de population suffisante, s’est éteinte en 2012. Les zoologistes ne se sont évidemment pas limités à ce triste constat; ils ont aussi prélevé de l’ADN afin de l’étudier en détail pour tenter de savoir à quoi l’animal – et au-delà, son espèce – devait sa vie augmentée.

Par comparaison avec l’ADN d’autres tortues moins bien dotées pour ce qui concerne la durée de vie, ils ont mis en lumière quelques particularités qui recoupent d’assez près ce qui a déjà été noté ailleurs. Il apparaît par exemple que la tortue tire son avantage de variants génétiques qui affectent favorablement certains gènes et en particulier, ceux qui sont impliqués dans la réparation de l’ADN, dans le contrôle de l’inflammation et dans la résistance au cancer. Les gènes évoqués, nous en disposons également; mais avec l’âge et l’accumulation des agressions externes, les protéines pour lesquelles ils codent sont sans doute moins aptes à assurer leur fonction, ce qui peut permettre l’émergence de pathologies diverses qui, faute d’une régulation efficace, nous mènent donc au terme de la vie. C’est un stade «sensible» que semblent allègrement passer les espèces (ou les individus) promises à une (très) longue vie. Tant mieux pour eux, jusqu’au moment où ils arrivent tout de même à une usure qui a raison d’eux. Car s’il y a bien une réalité liée à la vie, c’est bien son terme, tôt… ou tard !

N. Engl. J. Med, 2018; 379: 1678-1680

Le 24 juin 2012, «George le Solitaire», dernier représentant connu à cette date, mourait sans laisser de descendance


 
L’autre mal de l’espace ?

Si les voyageurs de l’espace, à l’image du médiatique spationaute français Thomas Pesquet, continuent de faire rêver nombre d’enfants, les rapports médicaux relatifs à ces mêmes voyageurs relèvent des réalités qui témoignent de l’effet de l’apesanteur sur leurs tissus et organes; des effets d’autant plus marqués que les séjours ont été prolongés, ce qui est souvent le cas depuis plusieurs années. De façon parfois anecdotique, la presse rapporte que les femmes et hommes de l’espace reviennent sur terre plus grands que quand ils sont partis, leur corps n’ayant pas eu à subir, pendant tout le temps de leur voyage, les effets de la pesanteur.

Mais la taille n’est pas le seul élément susceptible de subir des modifications de volume. C’est précisément ce qu’a mis en lumière une étude multicentrique belge qui a plus précisément porté son attention sur le cerveau. Les données cérébrales de 10 cosmonautes russes ayant passé en moyenne 189 jours dans l’espace (soit environ 6 mois) ont été passées au crible d’un examen attentif et il en ressort que des différences sont notées à ce niveau-là aussi. 

  

Une semaine après le retour sur Terre, le liquide céphalorachidien qui irrigue le cerveau apparaît plus volumineux qu’avant le départ. En revanche, la matière grise constituée de neurones, voit son volume réduit, le temps nécessaire au retour au volume initial étant de 7 mois environ. Quant à la matière blanche, faite des connexions inter-neuronales, c’est au cours du mois qui suit le retour qu’elle se réduit pour l’essentiel, le retour à la normale étant aussi acquis au terme des 7 mois.

Si le mal de l’espace, bien documenté aujourd’hui, tient, pour ces femmes et hommes surentraînés, à l’adaptation à une apesanteur prolongée, il semble bien qu’il en existe un autre lié cette fois à un retour aux conditions terrestres. Cela n’a a priori rien d’anormal et peut expliquer ce qu’on qualifie aujourd’hui de mal de Terre (nausées, vomissements, chutes de tension, etc.). L’oreille interne est sans doute aussi concernée, mais il n’est donc pas impossible que les modifications notées dans le cerveau puissent avoir une implication, tant sur le plan physique que – pourquoi pas ? – psychique. Voilà qui ouvre la perspective de quelques recherches à venir et de questionnements en préalable aux futurs voyages de touristes de l’espace. 

N. Engl. J. Med, 2018; 379: 1678-1680


 
Et pour Monsieur, caviar aussi ?

On pense souvent qu’il y a quelques milliers d’années, nos ancêtres étaient des individus frustes, mal dégrossis, dénués d’un sens aigu de la sensibilité. C’est vrai que les illustrations qui leur sont réservées sont rarement gratifiantes. Bien sûr, leur confort de vie était-il à cent lieues du nôtre, mais pour le reste, ils n’avaient rien à nous rendre.

Pour preuve, cette découverte récemment faite dans la grotte allemande de Friesack 4, dans le land de Brandebourg, en Allemagne. Ce site a notamment été habité par des ancêtres sapiens il y a 6 000 ans. Ils ont laissé quelques vestiges que les scientifiques se sont empressés d’étudier, mettant en œuvre toutes les méthodes offertes par la science actuelle. En marge des fragments de canoë et de filets de pêche, ils ont également découvert de nombreux éclats de poteries.
À l’intérieur, certains d’entre eux présentaient un dépôt qui ne pouvait, en première analyse, être que de restes alimentaires, cuits ou crus. Des prélèvements ont donc été effectués et soumis à des analyses diverses. Dans l’un d’entre eux, on a identifié des protéines qui se sont avérées être issues de la carpe commune, Cyprinus carpio. Jusque-là, rien de surprenant, sauf que ces protéines-là sont celles que l’on identifie dans… les œufs de poissons. Autrement dit, les humains qui vivaient là consommaient en particulier ce que chez l’esturgeon on appelle le caviar. Il s’agit certes ici de caviar de carpe, ce qui peut nous paraître moins «noble» mais qui au goût, doit à peu près être la même chose que ce qu’offre le lump ou l’esturgeon. On a également découvert d’autres vestiges identifiés comme étant ceux de gibier… mariné. Bref, l’équivalent d’un de nos repas de Noël ou, plus généralement, de fête.

Voilà donc des femmes et des hommes qui savaient se montrer gourmets. Il y a 6 000 ans. Bien loin des clichés souvent véhiculés à leur égard !

PLoS ONE 13, e0206483 (2018)

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