Chimie

Le mouvement brownien et la preuve de l’existence des atomes 

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

Wellcome Library, London, CC BY 4.0

En observant au microscope de petites particules contenues dans des grains de pollen en suspension dans de l’eau, un botaniste écossais remarqua que celles-ci bougeaient sans cesse et en tous sens ! Il venait de découvrir ce qu’on appellera le mouvement brownien ! 

En ce début du 19e siècle, un certain Robert Brown (1773-1838) revenait d’une longue exploration à bord de l’Investigator au large de l’Australie (la Nouvelle-Hollande), ce qui lui permit de ramener des milliers de plantes nouvelles à Londres. Il fut alors chargé par la Linnean Society de gérer l’ensemble des échantillons de ladite institution qu’il s’empressa de transférer avec les siens au British Museum, où il devint conservateur et où les curieux pouvaient ainsi admirer une collection botanique de réputation mondiale.

Passionné par les pollens, il observa un jour de l’été 1827, à l’aide de son microscope, des grains de pollen de Clarkia pulchella en suspension dans de l’eau. Et à son grand étonnement, il remarqua que dans le fluide situé à l’intérieur de ces grains, il y avait de très petites particules (dont le diamètre valait environ 6 à 8 micromètres) qui exécutaient des mouvements erratiques et continuels, comme si elles étaient dotées d’une force vitale ! Toutefois, il dut renoncer à de telles idées de vitalisme en apprenant que Jan Ingenhousz (1730-1799), un médecin et chimiste néerlandais, avait déjà décrit en 1785 le mouvement aléatoire de la poussière de charbon (une substance à coup sûr non vivante !) dispersée à la surface d’une goutte d’alcool.

Cinquante ans plus tard, les physiciens Joseph Delsaux (1828-1891) et Ignace Carbonnelle (1829-1889) suggérèrent que ce mouvement chaotique devait être lié à l’agitation thermique des molécules du fluide environnant et aux chocs exercés par celles-ci sur lesdites particules pour autant que ces dernières ne soient pas trop volumineuses. Cependant, à l’entame du 20e siècle, personne n’avait encore pu entrevoir ces fameuses molécules censées résulter de l’assemblage d’atomes ! Quoi qu’il en soit, toutes les observations de mouvements browniens (1) conforteront la théorie des collisions et en particulier, la théorie cinétique des gaz développée par Ludwig Boltzmann (1844-1906), un physicien autrichien considéré comme le père de la mécanique statistique [avec l’aide de James Clerk Maxwell (1831-1879)]. Cependant, les conceptions atomistiques que Boltzmann invoquait étaient jugées farfelues, de sorte qu’il fut discrédité par ses collègues, ce qui le poussa à se suicider alors qu’il était en vacances au bord de la mer Adriatique à Duino, près de Trieste (2). Par la suite, Albert Einstein (1879-1955) le réhabilita avec sa subtile approche des processus stochastiques, en même temps que Paul Langevin (1872-1946) avec son équation relative à de tels mouvements browniens. Jean Perrin (1870-1942) valida ensuite toutes ces théories grâce à diverses expériences qui permirent de déterminer la valeur de la constante d’Avogadro (3).

Il fut nobélisé en 1926 pour avoir ainsi apporté la preuve décisive de l’existence des atomes. Ceci mit donc un terme définitif aux longues discussions relatives à ce sujet, remontant en fait déjà à l’époque du philosophe grec Leucippe et de son élève Démocrite, c’est-à-dire vers 400 avant J.-C. !

En conclusion, les petites particules contenues dans les grains de pollen bougent de manière imprévisible car elles sont heurtées par des entités invisibles au microscope, en l’occurrence les molécules d’eau dans lesquelles elles baignent, ces dernières étant soumises à l’agitation thermique.

 

(1) On peut observer la réalité de ces chocs en traitant du lait entier homogénéisé par un colorant tel que le Soudan IV (à raison de 0,05 g par 100 ml). L’examen de ce lait au moyen d’un objectif à immersion laisse entrevoir de minuscules globules de matière grasse (comparables à des boules de billard) agités selon des mouvements désordonnés, comme si des joueurs invisibles les poussaient sans relâche en tous sens (ce sont en fait les molécules d’eau qui viennent les heurter !)

(2)  Sur la tombe de ce savant, à Vienne, on peut lire sa célèbre formule, gravée dans la pierre: S = k lnW. L’entropie S d’un système en équilibre macroscopique correspond au logarithme népérien du nombre W de configurations microscopiques équivalentes susceptibles de le réaliser, multiplié par une constante k [dite de Boltzmann, laquelle (1,3806485 × 10-23 J K-1) ne sera rien d’autre que la constante R des gaz parfaits (8,3144627 J mol-1 K-1) divisée par NA, la constante d’Avogadro].

(3)  La constante d’Avogadro correspond au nombre d’entités (atomes, molécules, etc.) constitutives d’une mole. La valeur actuellement admise est de 6,0221367 × 1023 mol-1.

Démocrite développa le concept d’atome en observant une plage déserte qui semblait lisse
et uniforme et qui, en réalité, était composée de minuscules grains de sable. Par analogie, il estimait que si on divise un bloc de matière – telle une pépite d’or – en 2, puis encore en 2, et ainsi de suite, on aboutira toujours à une entité ultime, indivisible, qu’il appela atome.

Visualisation du mouvement brownien d’une particule (le point bleu)

Schéma montrant en (a) une des particules encerclée par des molécules d’eau et
en (b) l’effet occasionné par celles-ci sur ladite particule, avec la résultante des diverses forces aléatoires l’obligeant à se déplacer dans une
direction bien définie, c’est-à-dire à effectuer un «pas» d’une certaine ampleur en fonction de la viscosité du fluide et de sa température (laquelle conditionne la distribution de l’énergie cinétique des molécules)

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