Mathématiques

Septembre :
un mois bien étonnant ! 

Manu houdart • manu.h@verymathtrip.be 

Bauglir/wiki, © Stéphane Kerrad – KB Studios Paris – www.kbstudios.frstephane@kbstudios.net

Septembre, le mois de la rentrée. Enfin, pour moi, dans ce magazine, c’est plutôt le mois de l’entrée. Car c’est la toute première fois que vous me lisez ici. Ne me dites pas que vous n’aviez pas remarqué qu’il y avait comme un manque. Comment ça, quel manque ? Ça saute aux yeux, non ? Dès que vous effeuillez les pages, vous savez dans quoi vous avez mis les pieds. Pourtant, jusqu’à présent, si vous vous fendiez d’une œillade sur le sommaire, une cruelle défaillance se faisait ressentir. Mais ça, c’était avant car désormais – sans crier gare – les mathématiques entrent au sommaire ! 

  

Évidemment qu’elles n’ont jamais été bien loin. Comment voulez-vous sérieusement traiter d’astronomie et de physique sans requérir aux symboles sacrés de leur langage ? Comment la biologie pourrait-elle se passer des puissants leviers statistiques ? Sans même évoquer la cryptographie informatique où les secrets les plus convoités sont protégés par l’armée des nombres premiers. Vous trouvez que j’exagère ? Allez en discuter avec le génial Carl Friedrich Gauss, qui n’hésitait pas à clamer bien fort que les mathématiques sont la reine des sciences. Bien placé pour donner son point de vue sachant qu’il fut à la fois physicien, astronome et… mathématicien.

Mais puisque nombres, graphes, figures et même parfois équations jalonnent déjà les pages de votre magazine adoré, fallait-il absolument (nécessairement ?) leur consacrer une rubrique dédiée ? Vous devinez ma réaction. C’est d’ailleurs peut-être là qu’il faut chercher une réponse au désintérêt massif pour cette grande et belle dame dont je suis amoureux depuis tellement d’années. Puisqu’elles sont partout, elles ne sont nulle part. Tous ceux qui n’aiment pas bricoler fuiront, comme le Covid, l’approche d’un set d’outillage tandis que tous les manuels rêveront déjà à leur prochaine œuvre d’art. Mais qui s’arrêtera pour admirer l’ingéniosité du coffre à outils sans quoi rien ne serait possible ? Alors oui ! Dorénavant, les mathématiques auront voix au chapitre afin de vous faire découvrir ce qu’elles peuvent receler de plus surprenant, d’étonnant ou encore, d’émouvant.

Vous avez bien lu: é-mou-vant. Comment qualifier autrement cette scène tragique du début du 19e siècle où un jeune homme paiera de sa vie son effronterie politique et amoureuse ? Le 30 mai 1832, Évariste Galois meurt dans les bras de son jeune frère, Alfred, avec pour dernières paroles: «Ne pleure pas, j’ai besoin de tout mon courage pour mourir à 20 ans».  Émouvant, mais aussi stupéfiant. La veille de ce duel fatal, appréhendant avec justesse les futurs événements, Évariste rédige, aux bons soins d’un ami, quelques mots accompagnés de son testament mathématique: «Tu prieras publiquement Jacobi et Gauss de donner leur avis, non sur la vérité, mais sur l’importance des théorèmes [que j’ai découverts]». Qui aurait cru que ces quelques feuillets testamentaires griffonnés à la «6-4-2» face à l’urgence de la situation seraient pourtant à l’origine d’un véritable édifice mathématique aux applications variées ? C’est anecdotique mais sa théorie des groupes permettra par exemple de résoudre le casse-tête le plus emblématique des années 80: le Rubik’s Cube !

 
Un choix cornélien 

Mais je m’éloigne, je m’éloigne… Pour cette (r)entrée en mat(h)ière, puisque septembre est à l’honneur dans tous les médias, le sujet de cette chronique m’a paru assez évident ! Attardons-nous un peu sur l’innocence trompeuse de ce mot. Ma main au feu qu’au moins une fois, vous avez compté et recompté pour aboutir, perplexe, à la conclusion que tout ceci n’avait aucun sens: septembre n’est bel et bien pas le 7e mois de l’année. Mais fichtre, difficile d’imaginer pareille coïncidence ! Surtout si vous continuez d’égrener le chapelet: octobre, novembre et décembre. Alors, comment expliquer un tel imbroglio ?

Remontons le temps aux premiers calendriers qui apparaissent comme une succession d’encoches sur des os, témoins d’un décompte rigoureux. Après tout, calendarium ne signifie-t-il pas livre de compte ? Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste celui retrouvé dans l’abri Blanchard, en Dordogne, à 10 km des remarquables grottes de Lascaux. Eh oui, mesurer le temps n’est pas une affaire récente: il y a 30 000 ans, Homo Sapiens s’en inquiétait déjà. Pour y parvenir, grâce à ses brillantes capacités d’observation, il pouvait se fier soit à la Lune, soit au Soleil.

L’avantage du calendrier lunaire, c’est qu’il est toujours en phase avec la Lune. Si la Fête des voisins se produit tous les premiers croissants, il vous suffit de lever la tête – aux bons moments quand même – pour savoir si les ripailles sont proches. Vous avez ainsi une espèce de mémo céleste permanent. Plutôt pratique. En revanche, le calendrier lunaire perd toute synchronisation des saisons puisqu’une année lunaire représente 12 lunaisons, soit environ 354 jours. Et ce désavantage lui sera fatal, du moins, au regard de la société civile. Songez seulement au rôle essentiel que l’agriculture a joué dans le développement de notre société et il vous apparaitra évident – trivial dirait même un mathématicien – que la victoire ne pouvait être que solaire. Un calendrier de 365 jours afin que le Dieu Soleil puisse occuper de nouveau le même fauteuil. Enfin, presque.

Ainsi donc, quand Romulus, cofondateur et premier roi légendaire de Rome, impose un calendrier, celui-ci est solaire afin que chaque année soit bien synchronisée avec les saisons. Mais quand même, la Belgique n’a pas l’apanage du compromis: dans son découpage, le calendrier sera lunaire ! Martius, le 1er mois, est dédié à Mars, le dieu romain de la guerre tandis que le second, Aprilis, est un hommage à la déesse de l’amour, Aphrodite. Le 3e mois de l’année sera consacré à Maia, déesse de la croissance et enfin, Junius célèbrera Junon. Et ensuite ? Je ne crois pas un seul instant que les Romains étaient à court d’idées ou de Dieux mais sans doute n’ont-ils pas voulu compliquer les choses. Il fut décidé que les mois suivants porteraient simplement des numéros. Quintilis et Sextilis pour les 5e et 6e mois tandis que du 7e au 10e mois, nous retrouvons… September, October, November et December. Dans les temps ancestraux, la synchronisation avec notre système ordinal était donc parfaite !

 
La main de Jules

Mais que s’est-il passé alors ? D’abord, l’intervention de Numa Pompilius, successeur de Romulus. Ne lui jetons pas la pierre, il a plutôt bien fait ça. Puisque le découpage était lunaire, chaque mois comportait 30 ou 31 jours. Et après le 30 décembre, dernier jour (!) de l’année de l’époque, on attendait simplement que le Soleil reprenne sa position initiale avant qu’une nouvelle année (re)commence. Pompilius trouve ce flottement stupide et il comble le vide par 2 nouveaux mois: Februarius et Januarius. Dans cet ordre, je vous prie. Après tout, qui de mieux pour clôturer une année que Janus, Dieu à une tête mais 2 visages portant un regard à la fois vers le passé et un autre vers l’avenir ?

Le drame va seulement se produire 600 ans plus tard car entre Pompilius et César, l’unique changement significatif, c’est la permutation des 2 derniers mois de l’année, Februarius et Januarius. Personne ne sait vraiment pourquoi. Quoiqu’il en soit, quand Jules prend le pouvoir, son 1er acte est très constructif (et même nécessaire): il régularise les longueurs de tous les mois de l’année pour un total exact de 365 jours. En effet, malgré les aménagements de Pompilius, une zone d’ombre subsistait puisqu’une année complète totalisait seulement 355 jours. Un mensis intercalaris était pourtant là pour régulariser le décalage à la course du Soleil (et donc aux saisons), mais alors que son usage est pourtant soumis à des règles très précises, les pontifes l’utilisent comme un jouet servant leurs intérêts très personnels. Le dérèglement est tel qu’à l’époque de César, décembre tombe au début de l’automne et avril en plein hiver.

L’intervention du célèbre stratège de la Guerre des Gaules aurait pu s’arrêter là (et cet article n’aurait alors pas eu de raison d’être) mais ce qui rompra à tout jamais la belle harmonie numérale, c’est que Jules décide que dorénavant, le 1er mois de l’année sera Januarius, le mois d’entrée en fonction des consuls, suivi de Februarius. Martius dégringole alors à la 3e place égarant, au passage, la signification étymologique de printemps: le premier temps ! Pour ne rien arranger, à sa mort, le sénat décide de lui rendre un honneur historique en rebaptisant Quintilis en Julius. Et pour ceux qui s’interrogent sur la disparition de Sextilis, souvenez-vous du nom du fils adoptif de César: Auguste. Je sais, c’est à y perdre son latin…

  

Emmanuël Houdart est loin d’être un inconnu dans le domaine de la vulgarisation mathématique. 

Agrégé en mathématiques, il enseigne tout d’abord plus de 10 ans au Collège de la Berlière à Ath. En 2003, il fonde l’association Entr’aide afin de soutenir les
élèves en difficulté et reçoit le prix de l’Innovation Pédagogique des mains de la Reine Paola. 

C’est le début d’une aventure qui le conduira à la création de la Maison des Maths pour laquelle il est nommé «Wallon de l’année» en 2017. 

Aujourd’hui, il sillonne les routes avec son one-math-show qui a déjà séduit plus de 40 000 spectateurs.
Et comme si cela ne suffisait pas, il a écrit un livre sur l’effet Waooh des
mathématiques paru chez Flammarion en novembre 2019 et a lancé une chaine Youtube, qui vaut le détour !

  

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