Mathématiques

MATHÉMATIQUES: un nom bien féminin !

© Zoonar.com/Elnur Amikishiyev – creative.belgaimage.be 

Oui, je suis d’accord: février c’est bien le mois de l’Amour ! Mais celui de l’Amour des femmes pour les sciences. Vous n’avez sans doute pas oublié de fêter la Saint-Valentin avec votre élu(e). Mais avez-vous célébré la journée internationale des femmes et filles de sciences 3 jours plus tôt ? Si oui, tant mieux. Sinon, je vous invite à le faire aujourd’hui ! Il est temps d’enfin révéler au monde entier le visage méconnu de toutes celles qui ont fait progresser magistralement les mathématiques et leur compréhension ! 

Pour commencer, connaissez-vous la plus importante des distinctions mathématiques ? Ah non, ce n’est pas le Prix Nobel des mathématiques. Assez curieusement – contrairement à la Physique, la Chimie, la Médecine, la Littérature, la Paix et plus récemment l’Économie – les mathématiques n’ont pas (eu) droit à cette prestigieuse récompense. Heureusement, la riposte ne s’est pas faite trop longtemps attendre: en 1936, 35 ans après le premier Prix Nobel, les mathématiciens créent leur propre récompense: la médaille Fields. Celle-ci est décernée tous les 4 ans à un maximum de 4 lauréats. Depuis lors, 60 médailles ont déjà été décernées et nous pouvons être fiers puisque figurez-vous que 2 compatriotes sont à épingler au tableau d’honneur de cette glorieuse médaille: Pierre Deligne (1978) et Jean Bourgain (1994). À titre informatif, le podium du plus grand nombre de médailles récoltées par pays est occupé par les États-Unis (14), la France (13) et la Russie (8).

 
Où sont les femmes ? 

Mais revenons-en au sujet même de cet article: les mathématiciennes. À votre avis, dans cette liste de 60 lauréats, combien retrouve-t-on de femmes ? Une dizaine ? Non: une seule ! Et c’est même très récent. Lors de l’avant-dernière cérémonie de remise des médailles à Séoul, en 2014, pour la première fois, une femme iranienne – Maryam Mirzakhani – a enfin reçu la prestigieuse récompense ! Maryam rêvait d’être écrivaine quand son frère aîné lui raconta comment le talentueux mathématicien allemand Carl Gauss avait trouvé de façon ingénieuse la somme des nombres de 1 à 100 à l’âge de 7 ans. Émerveillée, elle se dit alors que les mathématiques devaient être remplies de surprises et de «Waooh». Un cancer du sein stoppa net sa fulgurante ascension mais la veille de sa mort, elle écrit encore ces quelques mots sur son compte Facebook: «Plus je fais des mathématiques, plus je suis heureuse

Une seule femme sur 60 lauréats ? Évidemment qu’il y a de quoi être déçu ! D’autant que de nombreuses figures féminines ont brillé en mathématiques. C’est juste que les hommes ont pris grand soin de les laisser dans l’ombre. Ainsi, on parle beaucoup (à raison) de ce mathématicien si habile qu’était Alan Turing, mais on mentionne rarement (à tort) la pionnière de l’informatique, qui vécut un siècle plus tôt: Ada Lovelace (1815-1852). Fort heureusement, depuis, les mentalités ont bien évolué ! 

 
Présentes à l’appel ! 

La première mathématicienne dont on retrouve la trace est Hypatie. Une histoire au dénouement tragique. Née entre 355 et 370, elle prend rapidement la tête de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, où elle enseigne la philosophie, l’astronomie et commente plusieurs œuvres mathématiques, notamment celui des Arithmétiques de Diophante. C’est une professeure de renom et une sage conseillère. Une exception ? Certes, mais n’oublions pas qu’elle est fille de Théon, un érudit spécialiste des… mathématiques. Malheureusement, Hypatie se retrouvera au sein d’un conflit entre l’évêque Cyrille et le préfet Oreste, qu’elle aurait ensorcelé afin qu’il cesse de se rendre à l’église. La rumeur enflera tant et si bien qu’elle provoquera les hommes de main de Cyrille, jusqu’à les pousser à son exécution atroce en l’an 415.

Avec Théano, une des premières disciples de Pythagore (peut-être même sa femme ?), ce sont les 2 seules mathématiciennes reconnues avant le 17e siècle ! Vous lisez bien. Et l’unique mathématicienne connue de ce même siècle répond au doux nom de Marie-Charlotte de Romilley de la Chesnelaye. Elle est française et souhaitons que ce n’est pas grâce à son illustre mari – le marquis de L’Hospital, mathématicien lui aussi – que l’histoire a retenu son nom. Au siècle suivant, seules 3 femmes oseront défier les usages. D’abord, Émilie du Châtelet (1706-1749), qui a notamment traduit et annoté (sous les encouragements de son amant Voltaire) l’œuvre principale de Newton. Ensuite l’italienne Maria Agnesi (1718-1799) et enfin, celle dont je vais vous conter l’histoire: Sophie Germain (1776-1831). 

1. Hypatie

2. Émilie du Châtelet

3. Maria Agnesi

4. Sophie Germain

 
Agent double

Sophie Germain se prend de passion pour les mathématiques à l’âge de 13 ans, après avoir déniché dans la bibliothèque familiale le récit de la mort d’Archimède. Alors que la ville de Syracuse est attaquée par les Romains en 212 avant notre ère, un soldat somme un vieillard de le suivre. Absorbé par un problème de géométrie et occupé à tracer des figures par terre, Archimède ne daigne même pas lever les yeux vers l’opportun et lui répond: «Ne dérange pas mes cercles». Ni une, ni deux, le soldat – ignorant son identité (?) – le transperce d’un coup de glaive.

Ainsi donc, les mathématiques seraient passionnantes au point d’en oublier sa propre vie ? De quoi émouvoir et piquer la curiosité de la jeune Sophie Germain… Évidemment, son drapier de père tente d’abord de la dissuader de cette passion naissante: il confisque les chandelles qu’elle utilise la nuit pour apprendre en cette année 1789 ! Mais il en faut bien plus pour l’empêcher de percer les secrets des mathématiques. C’est ainsi qu’elle réussit à suivre les cours de l’École polytechnique nouvellement créée. Une école pourtant réservée aux hommes (et qui le restera jusqu’en 1972 !). Comment ? En usurpant l’identité d’un ancien élève: Antoine Auguste Leblanc. Mais quel culot !

Durant 14 ans, elle évoluera au sein de la communauté mathématique sur le terrain glissant d’une double identité. Elle entretiendra d’ailleurs une correspondance avec le génial Gauss qui ne découvrira son identité réelle que bien plus tard. Le 20 février 1807, moment historique, Sophie prend sa plume pour écrire une nouvelle lettre à Gauss qu’elle signera – pour la première fois – sous sa véritable identité. Bouleversé par cette découverte, il lui répondra: «Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement, en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé Antoine Auguste Leblanc en cet illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire

Pourtant, malgré son talent – elle sera la première femme admise à l’Académie des Sciences – la reconnaissance de ses pairs ne lui sera pas acquise pour autant. Elle a parfaitement compris que le monde scientifique appartient aux hommes et qu’il est hors de question qu’il en soit autrement. En 1826, elle exprime son désarroi dans un échange épistolaire avec un ami «Vous ne croiriez peut-être pas qu’étant au milieu de Paris je ne puisse réussir à voir un Monsieur Savart qui a fait mille expériences curieuses. Il les montre à des gens qui n’en peuvent tirer aucun parti. Ces faits sont de mon domaine et c’est à moi seule qu’ils restent cachés. Voilà le privilège des dames, elles obtiennent des compliments et aucun avantage réel».

Alors que ce sera pourtant grâce à ses recherches sur les mouvements vibratoires qu’un certain Gustave Eiffel érigera sa Tour, le nom de Sophie Germain ne figurera même pas parmi les 72 savants gravés le long des 4 faces de la Dame de Fer ! Ni son nom, ni celui d’aucune femme d’ailleurs. Sophie décédera d’un cancer du sein le 27 juin 1831. Sur son certificat de décès, elle y est présentée comme rentière, ce qui devait sembler bien plus honorable que mathématicienne. C’était pourtant il y a à peine de 200 ans. Et vous vous étonnez encore des rumeurs subsistantes qui prétendent que les filles seraient moins douées en mathématiques que les garçons ? Comme le disait si bien Ada Yonath, prix Nobel de Chimie en 2009, pourquoi se priver de l’intelligence de la moitié de l’humanité ?

  

SAVIEZ-VOUS QUE…

Ce n’est qu’en 1972 que l’École Polytechnique française (formation des ingénieurs) autorise enfin les femmes à présenter leur célèbre concours d’entrée. Et alors qu’aucune autorité ne les pense capable de réussir cette épreuve, c’est l’une des huit candidates – Anne Chopinet – qui obtient la première place à l’épreuve de mathématiques ! Une réussite éblouissante et une entrée fracassante. Et ce n’est pas tout : selon le règlement interne, c’est le major de promotion qui doit porter l’étendard de la Polytechnique au défilé du 14 juillet. On a tout fait pour l’en dissuader mais rien n’y fit : Anne Chopinet défila fièrement ce jour-là !

  

Share This