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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

Enis Yavuz/Unsplash, Jeremie Barnier/Pixabay, © Natural England/Allan L. Drewitt 2010, © WENN.com, Rayabhari/wiki

  
Foutus gobelets

Il est devenu très tendance aujourd’hui pour une frange branchée de la population de se balader en rue avec son godet en carton duquel, tout en marchant, on aspire à la paille le contenu: soda ou café en général. Pas sûr que ce soit la meilleure façon de se désaltérer mais cela se fait depuis longtemps dans les rues de New York ou San Francisco et ça a valeur de référence culturelle. 

Les choses seraient finalement simples si ces contenants retrouvaient une poubelle après usage et qu’ils étaient facilement recyclables. Mais la cellulose dont ils sont faits est couverte de matière plastique pour en assurer l’étanchéité et le tout est bien entendu largement couvert d’inscriptions colorées et donc d’autant d’encre. Au final, cela rend le recyclage plus complexe. Or on estime à 250-300 milliards le nombre de ces gobelets qui seraient à recycler, si toutefois on envisage de les recycler vraiment et si les utilisateurs ne les jettent pas simplement n’importe où. Le recyclage reste en effet problématique et l’incinération demeure souvent la première intention.

Des chercheurs ont récemment voulu savoir quel pouvait être l’impact carbone de la «vie» (life cycle) de ces sous-produits de la consommation immédiate pour le seul Royaume-Uni. Et le résultat est sans appel: il correspond à celui de la production de 11 500 voitures de taille moyenne ou de l’activité de 1,5 million de résidents européens. Les mêmes auteurs ont estimé qu’un recyclage bien mené pourrait réduire de 40% cet impact; encore faudrait-il mettre en place les filières pour le faire et rendre le tout rentable.

Ce n’est sans doute qu’une goutte d’eau dans l’univers de la consommation actuelle dans les pays occidentaux. Mais on se rend compte à quel point un élément aussi marginal que celui-là peut avoir un impact non négligeable sur l’environnement. On objectera que son usage permet de faire l’économie de lave-vaisselles ou de la main d’œuvre pour s’en occuper. Mais cette économie-là ne profite qu’aux seuls producteurs et distributeurs, on l’aura compris.

Ne serait-il tout de même pas plus sain et plus recommandable de consommer une boisson – quelle qu’elle soit – en prenant le temps de la savourer, sans en même temps vouloir à tout prix se balader ? 

   Science, 2020. 368: 383

Quelle est la particularité du wombat ?

Le wombat (Vombatus ursinus) est un animal qui sait se montrer très discret, y compris dans sa région d’origine: le sud-est australien et la Tasmanie. D’abord, il est de mœurs nocturnes, ensuite il s’agit d’un mammifère dont la densité de population est malheureusement engagée sur une courbe descendante due au morcellement de l’habitat, à la chasse, etc. Cette sorte de «gros nounours» est un rongeur strict qui se distingue par une taille importante: 1 m de long et une trentaine de kilos à l’âge adulte tout de même !

Mais un autre caractère quelque peu particulier et pour tout dire intime, le distingue de tous les autres mammifères: il produit des crottes… carrées ! Cette réalité taraude les biologistes depuis longtemps, mais jusqu’ici personne n’avait pu s’y intéresser de près. Le faire était prendre le risque de se voir railler par des collègues. Cela n’a d’ailleurs pas failli puisque les scientifiques qui ont pris le risque ont reçu le prix IgNobel, version humoristique et décalée du prestigieux prix suédois. L’espèce étant menacée d’extinction, il était d’autre part délicat de sacrifier fût-ce un seul de ces rongeurs pour se prêter à une analyse anatomique et fonctionnelle en bonne et due forme. Mais là, c’est le destin qui a servi la science, puisqu’un de ces wombats a été retrouvé mort en bord de route, percuté par un véhicule. Et c’est grâce à lui que la clé du mystère a été trouvée. 

Dans une partie de l’intestin, et plus précisément dans les 17% terminaux de ce conduit de 10 m de long, les chercheurs ont identifié au sein des parois souples et élastiques, 2 bandes longitudinales plus épaisses et donc aussi plus dures. Partant de cette observation, ils ont opéré une modélisation informatique du transit intestinal et sont arrivés à la conclusion que c’est bien cette alternance de bandes rigides et souples qui rend aux déjections leur forme si caractéristique. La suite du transit ? Une résorption hydrique importante (plus intense que chez l’humain) d’abord, l’excrétion ensuite. Mais le dépôt n’est pas fait n’importe où: parce que ces matières servent de marquage social, elles sont de préférence déposées en surplomb, sur des rochers, pour favoriser la dispersion des odeurs. L’évolution aurait donc permis qu’au hasard des mutations, les crottes, plutôt qu’être sphériques – avec le risque de rouler en contrebas – soient plutôt carrées.

On jugera l’explication convaincante ou pas mais le fait est là: le wombat fait des crottes de section carrée et son sphincter anal, normalement circulaire, n’y est pour rien. Il reste maintenant aux poules à prendre connaissance de cette adaptation opportune d’un très lointain cousin vertébré et de la prendre utilement en compte: des
œufs cubiques seraient tellement plus faciles à gérer en cuisine ! 

   Soft Matter, 17(29), 2021 DOI: 10.1039/D0SM01230K

Un mignon petit wombat…

… et ses déjections carrées

  

Très rare en Belgique, cette aeschne printanière (Brachytron pratense) est évaluée en danger critique en Wallonie – https://bit.ly/3cY6v1J

© Natural England/Allan Drewitt

Insectes à la dérive ? 

Depuis de nombreuses années – sinon dizaines d’années – des voix s’élèvent pour s’émouvoir de la raréfaction des populations d’insectes. La réalité semble évidente pour les automobilistes qui, au fil des ans, peuvent attester qu’il y a moins d’insectes écrasés sur leur pare-brise. Des études britanniques ont du reste été publiées à ce propos il y a quelques années. Il en a été fait rapport dans cette chronique. Dans le même temps, d’autres études, souvent séquentielles ne mettent aucune réduction en évidence.

Afin de tenter d’y voir plus clair, une équipe de chercheurs s’est livrée à une méta-analyse portant sur 166 études publiées. Ces dernières concernent 1 676 sites répartis sur 41 pays un peu partout sur le globe et portent sur les différentes parties du biotope colonisées par ces arthropodes: air, sol et eaux douces. Il apparaît que les densités de populations aériennes ont bien diminué, la réduction étant de l’ordre de 9% par tranche de 10 ans. C’est en Europe et aux États-Unis surtout que cette réduction a été notée. En revanche, et dans le même temps, on a observé une augmentation des populations des eaux douces, celle-ci étant en moyenne de l’ordre de 11% pour le même nombre d’années. Pour ces populations-là, les augmentations les plus significatives ont été notées dans l’ouest américain, au Canada et dans le nord de l’Europe.

Aussi intéressante que soit cette étude, qui recadre un peu l’idée d’un «Armageddon (1) pour insectes» souvent avancé, elle reste obligatoirement séquentielle. Si elle donne une bonne évaluation de la dynamique globale, elle n’offre pas le détail des effets collatéraux. Les espèces volantes les plus affectées sont-elles butineuses ? Leur niche écologique est-elle occupée par des envahisseurs ? Qu’en est-il des populations de prédateurs ? Les espèces dont les populations sont en croissance sont-elles indicatrices d’une amélioration des paramètres du milieu occupé ou au contraire d’une résistance à une pollution croissante ?

La recherche rapportée ne peut désormais que s’affiner de ces différents corollaires, qui seront à leur tour à évaluer. En n’oubliant jamais que le vivant est dynamique et sait le plus souvent s’adapter à des conditions nouvelles qui lui sont imposées.  

   Science, 2020; 368: 368-369 et 417-419

(1) Armageddon est le site biblique où devrait avoir lieu le combat final entre le bien et le mal, à la fin du monde (Apocalypse)

  

Messages au ras du sol

Les habitués de cette chronique ont déjà entendu parler de l’animal dont il va être question ici. Il s’appelle Caenorhabditis elegans. Pour les autres, un petit mot de présentation s’impose. Il s’agit d’un animal aux dimensions plus que modestes puisqu’à l’âge adulte, il n’excède pas 1 mm. Il appartient à l’embranchement des Nématodes; des vers ronds qui ne sont pas segmentés comme l’est le ver de terre bien plus connu. Pour modeste qu’il soit, ce ver est aujourd’hui un des plus connus des spécialistes de la biologie moléculaire. Outre qu’il est très petit, il est transparent (ce qui aide à l’observation microscopique), il est composé de moins de mille cellules, et sa période de développement embryonnaire est de l’ordre d’une quinzaine d’heures, ce qui permet au besoin de la suivre intégralement au cours d’une seule journée. Mais il s’agit donc aussi d’un organisme pluricellulaire. À cet égard et bien qu’il soit très éloigné de nous sur un plan évolutif, il présente une organisation qui ressemble à la nôtre. Du reste, la plupart des processus cellulaires encore présents chez nous le sont déjà chez lui, ce qui témoigne à la fois d’une bonne conservation évolutive, mais aussi que les mécanismes fondamentaux de la cellule sont d’acquisition ancienne.

Ceci étant posé, revenons-en à ce qui vaut d’en reparler ici. Des chercheurs se sont penchés sur les mécanismes qui permettent la transmission de messages entre les individus isolés d’une population de C. elegans qui ne disposent bien entendu ni d’yeux ni d’oreilles pour communiquer. Dans un tel cas de figure, le vecteur ne peut tenir qu’à des molécules libérées dans l’environnement proche: des phéromones. Une équipe a plus particulièrement jeté son dévolu sur une famille d’entre elles, les ascarosides. Et les chercheurs ont découvert que quelques-unes parmi les 34 enzymes homologues actives chez ces porteuses de messages sont capables d’y attacher des groupements chimiques qui en changent la nature. Le composé final est alors soumis à une dégradation métabolique classique – la bêta-oxydation – dès que le message spécifique a été intégré dans les cellules et donc reçu. C’est un mode de «lecture» qui subsiste toujours très activement au sein de nos propres cellules mais qui ne fait plus nécessairement intervenir des composés venant du dehors.

Privé d’organes des sens tels que les nôtres, C. elegans, notre très très lointain parent évolutif, a donc résolu à sa façon le besoin de communiquer. Il n’est évidemment pas le seul à le faire, comme on a pu le démontrer avec de nombreux organismes aquatiques simples. Mais ce petit ver rond, star des laboratoires de recherche, ne pouvait demeurer en reste en cette matière. On en sait donc un peu plus aujourd’hui à son sujet !  

   J. Amer. Chem. Soc., 2020. 142: 13645 et suiv.

Le développement embryonnaire comme si on y était

Depuis un peu plus d’un siècle, la souris a acquis le statut de modèle expérimental de choix dans l’étude des mécanismes divers qui président au bon et moins bon fonctionnement des mammifères en général et,  au-delà, de l’humain. 

Le développement embryonnaire et fœtal n’a pas été oublié, même si jusqu’ici, les méthodes d’investigation
étaient soit statiques, soit dynamiques mais avec une résolution réduite. On peut en effet interrompre des gestations à tous âges, extraire les embryons et fœtus et les soumettre à un examen aussi détaillé que nécessaire. On peut par ailleurs recourir à une échographie adaptée, mais on imagine qu’à ce niveau de taille, la résolution des images risque d’être limitée. On a enfin tenté de maintenir vivants in vitro des fœtus en espérant les voir croître suffisamment longtemps. Dans ce cas, ce sont les rapports trophiques fœto-maternels qui font défaut et qui font rapidement tourner court les cultures entreprises.

L’idéal serait d’opérer une fenêtre dans la paroi abdominale et utérine de femelles gestantes et de regarder ce qui se passe à l’intérieur. Science fiction ? Non. L’opération a été menée en Chine et a permis qu’une étude internationale soit ensuite menée pour observer ce qui se passe au-delà du 9e jour de gestation jusqu’au terme, soit au 20e jour chez la souris domestique.

Le tour de force a été d’adapter une fenêtre d’1 cm de diamètre ou une autre, longue, de 15 mm, à l’abdomen de souris, sans hypothéquer la suite de la gestation en cours. Il a également fallu ensuite user de moyens d’exploration optique appropriés pour percevoir, le plus finement possible, l’évolution des différents tissus. Les hublots mis en place étaient également susceptibles d’être ouverts pour manipuler les fœtus ou effectuer quelques prélèvements. Afin de pouvoir suivre plus aisément l’évolution de plusieurs types cellulaires, ce sont des souches de souris transgéniques qui ont été utilisées, ce qui signifie que de tous jeunes embryons ont dû être injectés, en amont, du gène d’intérêt.

Au total, ce sont des équipes entières de spécialistes de tous bords qui ont été mobilisés avec un résultat qui n’a jamais pu être obtenu avec les méthodes traditionnelles et une survie embryonnaire, après pose  des fenêtres, de plus de 65%. Cela augure-t-il de réalisations équivalentes un jour chez l’humain ? Avant longtemps, probablement non. Mais qui peut prétendre que cela ne sera jamais le cas ?

   Science 2020: Vol. 368, Issue 6487, pp. 181-186 DOI:
10.1126/science

BIO ZOOM

Il suffirait de lui ajouter une tête et 2 bras pour ressembler à une jolie ballerine… ou à une mariée ! Le Phallus indusiatus, aussi appelé Satyre voilé, Dame voilée ou Tisseur de soie, est un champignon commun dans les régions tropicales. Hormis sa robe de dentelle, il a toutes les caractéristiques de son cousin, le Satyre puant (Phallus impudicus). Il naît d’un œuf entouré d’une substance gélatineuse. Lorsque le pied pousse dessous, la membrane se déchire pour laisser apparaître le chapeau et grandir le champignon, qui atteindra une vingtaine de centimètres. Seul le champignon à l’état d’œuf est comestible. Très apprécié dans les pays asiatiques, il est cependant très discret et ne vit en tout que de 2 à 3 jours…  

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