Chimie

Les batteries à ions lithium

Paul Depovere • depovere@voo.be

Chao-Yang Wang Lab, Penn State, Marshall Brain/HowStuffWorks.com

Le prix Nobel de chimie 2019 a été attribué à John B. Goodenough, M. Stanley Whittingham et Akira Yoshino pour la mise au point des accumulateurs à ions lithium. Grâce à ces dispositifs électrochimiques relativement légers qui permettent de stocker et de transporter une densité élevée d’énergie chimique afin de la restituer sous forme d’électricité, il est à présent possible de faire fonctionner divers appareils nomades et autres  véhicules automobiles respectueux de l’environnement (1)

Alessandro Volta présenta sa pile à courant continu en 1800: il s’agissait d’un «empilement» comprenant une vingtaine de disques de zinc et de cuivre alternés et séparés par une rondelle de feutrine imprégnée de saumure. L’idée fut perfectionnée 36 ans plus tard par le physicien britannique John Frederic Daniell qui fit intervenir 2 vases de Berlin (demi-cellules séparées où un métal, zinc ou cuivre, plonge dans une solution de son nitrate). La perte d’électrons, c’est-à-dire leur libération spontanée, a lieu à l’anode en zinc (négative, demi-cellule d’oxydation). Ces électrons sont canalisés à l’extérieur par un fil métallique conducteur vers la cathode en cuivre (positive, demi-cellule de réduction) où se produit une absorption d’électrons par les ions cuivriques y faisant ainsi apparaître un dépôt de cuivre. En outre, afin d’assurer la neutralité électrique dans les 2 compartiments de la pile, il est nécessaire de placer un pont salin (de NaNO3 par exemple) reliant ceux-ci. Cette production d’électricité peut continuer tant que la lame de zinc n’a pas été totalement consommée. 

Une pile Volta

Principe de fonctionnement d’une pile Daniell

 

Nouveau progrès: en 1866, Georges Leclanché inventa sa célèbre pile sèche cylindrique zinc-carbone qui délivrait 1,5 V et était jetable. Par ailleurs, en ce qui concerne les batteries rechargeables, celles-ci furent initialement constituées d’un ensemble d’accumulateurs au plomb-acide sulfurique raccordés en série afin d’obtenir la tension désirée (typiquement 6 éléments de 2 V, ce qui correspond à une tension électrique globale de 12 V). Inventé par Gaston Planté en 1859, ce dispositif pesant (2) est encore universellement adopté de nos jours pour faire démarrer les véhicules conventionnels. Leur densité d’énergie est de l’ordre de 40 wattheures par kilogramme (Wh kg‒1). Lors de son fonctionnement (décharge), l’anode négative en plomb s’oxyde spontanément en ions plomb(II), tandis que la cathode positive de PbO2, c’est-à-dire de plomb(IV), se réduit en plomb(II). Lors de la recharge, c’est la réaction inverse, à savoir la dismutation forcée de Pb(II) en Pb(0) et Pb(IV) qui se produit et ce, grâce à une source externe d’électricité.

 
L’avènement du lithium

Vinrent ensuite, grâce notamment au célèbre inventeur américain Thomas Edison, des batteries nickel-fer (Ni-Fe) et nickel-cadmium (Ni-Cd), bref des piles alcalines rechargeables qui précédèrent les batteries nickel-hydrure métallique, lesquelles affichent une densité d’énergie pouvant atteindre 60 Wh kg‒1, voire un peu plus. À cette même époque, l’attention des chimistes fut attirée par le métal le plus électropositif du tableau périodique des éléments, tout en étant le plus léger (0,53 g cm‒3). Il s’agit en l’occurrence du lithium (Li), qui va peu à peu s’imposer dans la conception des accumulateurs les plus performants. Seul problème: il est extrêmement réactif, de sorte qu’il faut éviter tout contact avec de l’eau ou de l’air. L’idée de génie consistera à renoncer à l’emploi de cet élément à l’état de métal (qui fut à l’origine d’incendies en raison de l’apparition de courts-circuits). Seuls des ions Li+ interviendront, dissous dans un électrolyte aprotique polaire, par exemple du carbonate de propylène assurant une conductivité élevée. Et cela fonctionna ! Nous étions chez Sony en 1991 et la densité d’énergie atteignait à présent 80 Wh kg‒1 (3) pour une tension nominale de 3,6 V.

Représentation schématique d’un élément galvanique à ions lithium fonctionnant en tant que pourvoyeur de courant électrique (en mode décharge) grâce à des réactions redox  spontanées. Lors de la recharge, un apport externe de courant électrique oblige le processus spontané de s’inverser. 

 

On y distingue 2 électrodes – une anode et une cathode – plongées dans un électrolyte (une substance conductrice non aqueuse riche en ions lithium), lesquelles sont reliées à l’extérieur par un fil conducteur. Lorsque ces cellules se déchargent (en modalité galvanique c’est-à-dire en tant que pile fournissant du courant électrique), l’anode négative libère spontanément des électrons qui transitent par le fil pour être absorbés par la cathode positive. Cette circulation d’électrons constitue un courant électrique qui peut faire fonctionner un appareil ou un moteur. Pour respecter l’électro-neutralité de ce transfert d’électrons, une diffusion d’ions positifs Li+, insérés entre les feuillets de graphite qui les retient avec moins d’affinité, s’effectue via l’électrolyte en direction de la cathode qui, en fait, leur sert préférentiellement d’hôte par intercalation.

Ainsi, à l’anode (borne négative, en graphite lithié), on assiste à la demi-réaction d’oxydation [6C(s) représentant le graphite]:

LinC6(s) → nLi+(solv) + ne + 6C(s)

Complémentairement, voici la demi-réaction de réduction qui se produit à la cathode (borne positive, où s’effectue l’intercalation des ions Li+):

CoO2(s) + nLi+(solv) + ne → LinCoO2(s)

Par ailleurs, quand la batterie est en phase de recharge (en modalité électrolytique), un apport extérieur d’électricité oblige le dispositif à fonctionner à l’envers, à savoir dans la direction non spontanée, ce qui se traduit globalement par la réaction redox suivante (4):

6C(s) + LinCoO2(s) → LinC6(s) + CoO2(s)

Les diverses cellules d’une telle batterie – montées par centaines ou milliers afin d’alimenter les véhicules électriques – peuvent stocker et ainsi accumuler l’énergie électrique en vue de la restituer quand on le souhaite. Elles peuvent donc se charger et se décharger selon des processus redox réversibles, caractérisés par des mouvements d’électrons en sens inverses.

  

 
Le futur

D’autres recherches visent notamment à remplacer le graphite par du graphène, un matériau excellent conducteur de l’électricité et de la chaleur qui valut le prix Nobel de physique à Andre Geim et Konstantin Novoselov en 2010. Il s’agit d’un feuillet bidimensionnel issu du graphite et composé d’une simple couche d’atomes de carbone disposés en nid d’abeilles. Ce matériau miracle, ultraléger, permettra d’assurer un chargement meilleur et 20 fois plus rapide des batteries à ions lithium. Une autre approche permettrait, grâce à une technologie SALD (Spatial Atom Layer Deposition), de tripler la puissance des batteries à ions lithium, conférant ainsi à des voitures une autonomie de 1 000 km, voire davantage, avant toute recharge, laquelle ne nécessiterait qu’une dizaine de minutes. Tout ceci contribuera à persuader les automobilistes d’abandonner progressivement les carburants fossiles. Une telle attitude ne pourra que favoriser la durabilité de notre planète ! 

 

(1) D’un point de vue écologique, ces batteries sont censées être alimentées par de l’énergie en provenance d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques ou de centrales hydroélectriques.

(2) Ces accumulateurs au plomb servaient notamment à stocker l’énergie produite par une dynamo mise au point en 1871 par l’inventeur wallon Zénobe Gramme. Celui-ci, démontrera en outre la possibilité inverse, à savoir celle d’actionner un moteur grâce à de l’énergie électrique.

(3) Avec les progrès actuels, la densité d’énergie des batteries à ions Li+ peut s’élever jusqu’à 270 Wh kg-1.

(4) Il est à noter que la borne négative en modalité galvanique (décharge), c’est-à-dire l’anode, reste négative mais devient une cathode en modalité électrolytique (recharge) et il s’y produit une réduction. De même, en passant de la décharge à la recharge, la borne positive (cathode) reste positive mais devient une anode où se produit une oxydation.

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