Espace

Oumuamua : signe d’une vie extraterrestre évoluée ?

FLEUR OLAGNIER • fleur.olagnier@gmail.com 

ESO/M.Kornmesser – vue d’artiste, Nasa/JPL/Caltech 

Détecté pour la première fois en octobre 2017, c’est un cigare, ou un pancake, flottant dans l’Espace. Oumuamua nous vient de l’extérieur du Système solaire et détient le statut de tout premier objet interstellaire jamais repéré par l’Homme. Ce visiteur céleste fait couler beaucoup d’encre, notamment en raison d’un réputé professeur d’Harvard, qui soutient avec ferveur que l’astre serait le vestige d’une civilisation extraterrestre «évoluée»… 

L’objet céleste Oumuamua ne provient pas des réservoirs d’astéroïdes classiques de notre Système solaire
(vue d’artiste)

«Oumuamua pourrait être une sonde pleinement opérationnelle envoyée intentionnellement à proximité de la Terre par une civilisation extraterrestre», assure Avi Loeb, 59 ans, directeur du département d’astronomie de l’Université de Harvard de 2011 à 2020, actuellement à la tête de l’Institute for Theory and Computation du prestigieux établissement américain. Physicien de formation, Avi Loeb a sorti fin janvier un livre intitulé Extraterrestrial: The First Sign of Intelligent Life beyond Earth (1), dans lequel il défend l’hypothèse qu’Oumuamua a été conçu, construit et lancé par une intelligence venue d’ailleurs. Une théorie qui interpelle. Comment un professeur de sciences dures peut-il avancer une idée si extravagante ? Que sait-on vraiment d’Oumuamua ?

  

Deux mois et demi d’observations intensives

Notre visiteur a été détecté pour la première fois par le programme de relevé astronomique de l’Université de Hawaï Pan-STARRS, le 19 octobre 2017. Après avoir frôlé le Soleil au mois de septembre, il passe alors au plus proche de la Terre et entame déjà le voyage de retour vers de lointaines contrées. «Les calculs montrent que ce corps a une trajectoire ouverte, ou hyperbolique, c’est-à-dire non gravitationnellement liée au Soleil», détaille Yaël Nazé, Maître de recherches FNRS à l’Université de Liège spécialiste des étoiles massives et auteure de l’ouvrage Astronomie de l’étrange. «Oumuamua ne provient donc pas des réservoirs classiques de notre Système solaire, comme le nuage d’Oort et la ceinture de Kuiper, d’où arrivent les comètes, ou la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, complète Emmanuël Jehin, Maître de conférences FNRS à l’ULiège et spécialiste des petits corps du Système solaire. Il arrive nécessairement du milieu interstellaire, l’espace entre les étoiles !».

Oumuamua est ainsi le tout premier corps extrasolaire à être détecté par l’Homme. Une nouvelle nomenclature est créée spécialement pour lui. L’astre se nomme désormais 1I/Oumuamua, avec un «I» pour «Interstellar». Pendant 2 mois et demi, avant qu’il ne soit trop éloigné, tous les télescopes sont braqués sur lui. De ses variations de luminosité, les astrophysiciens déduisent que l’astre possède une dimension beaucoup plus grande que l’autre, donc soit une forme de «cigare», soit une forme de «pancake». «On sait aussi que le télescope spatial Spitzer de la Nasa n’a pas pu détecter Oumuamua dans l’infrarouge, ce qui veut dire que le corps ne radie que très peu de chaleur. Cela implique une taille très petite, inférieure à une estimation initiale de 300 m de diamètre, et une surface assez réfléchissante», décrypte Emmanuël Jehin.

Toutefois, ce n’est pas sa forme ni sa brillance qui ont orienté Avi Loeb vers une théorie excentrique, c’est son accélération. La reconstitution de la trajectoire d’Oumuamua montre en effet que la vitesse du «cigare-pancake» continuait d’augmenter même lorsqu’il s’éloignait du Soleil. «D’après la gravitation classique de Newton, nous aurions dû voir l’objet ralentir et non pas accélérer en s’éloignant du Soleil, la masse censée l’attirer», partage Yaël Nazé. En revanche, pour le professeur d’Harvard qui se confiait à Télérama: «Lorsqu’il a rencontré notre Soleil, Oumuamua est passé d’une immobilité relative à un mouvement de fuite. Cela m’a conduit à l’hypothèse que non seulement Oumuamua était un objet artificiel, mais qu’il avait été conçu spécialement pour se trouver au repos dans notre galaxie. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de balise, comme une station relais posée là pour transmettre des informations de station en station, ou un panneau de signalisation placé à cet endroit pour aider les vaisseaux spatiaux dans leur navigation.»

La trajectoire hyperbolique de Oumuamua dans notre système solaire
(Et ici en animation par la NASA)

 

Voile solaire ou objet cométaire

Too much ? Intéressons-nous à présent à des hypothèses plus scientifiques. Il en existe 2 principales pour expliquer le comportement d’Oumuamua. D’un côté, l’astre se comporte comme une voile solaire. «La lumière exerce une pression; même si quand on allume sa lampe, on n’est pas éjecté bien sûr !, plaisante Yaël Nazé. Mais quand les photons du rayonnement solaire touchent un corps, celui-ci accumule de l’énergie sous forme de pression de radiation, une pression qui peut alors faire augmenter la vitesse». Dans cette hypothèse, l’astre doit être très léger et très grand. Pancake géant ?

D’un autre côté, la modification de trajectoire d’Oumuamua peut être due à un dégazage. Tout comme une comète, si le corps contient de la glace, à l’approche du Soleil la glace sublime (passage de l’état solide à l’état gazeux, NdlR), ce qui éjecte du gaz et crée une poussée, comme pour une fusée. Or, aucune «chevelure» de gaz n’a été observée autour de 1I/Oumuamua. «Le dégazage à l’origine de l’accélération d’Oumuamua aurait pu avoir lieu lorsqu’il est passé au plus près du Soleil avant qu’on ne le découvre, ou alors était trop faible pour être observé,» précise Emmanuël Jehin.

En outre, le spécialiste des petits corps ajoute que le visiteur est de couleur plutôt rougeâtre, un indice «vague»: «Nous ne connaissons presque rien de sa composition chimique. Certains ont imaginé qu’il contient de la glace de dihydrogène mais cela n’a jamais été observé dans le Système solaire. La couleur rouge peut aussi bien indiquer la présence d’oxyde de fer – rouille comme sur Mars -, de tholins – substance organique comme sur Pluton – ou des glaces transformées par une exposition prolongée dans le milieu interstellaire».

Hélas, vraisemblablement, le mystère d’Oumuamua ne sera pas élucidé. Car seules de nouvelles observations, qui n’auront pas lieu puisque l’astre est déjà bien loin – aux alentours de Jupiter en février 2021 – pourraient débloquer la situation. 

  

Vers un nouveau pan de l’astrophysique

Cependant, tout espoir pour l’étude des objets interstellaires n’est pas perdu. En août 2019, un deuxième astre en provenance de l’au-delà a été détecté: 2I/Borisov. Également sur une trajectoire hyperbolique, sa chevelure indique qu’il s’agit cette fois clairement d’une comète, de 2 à 3 km d’envergure. Un deuxième astre. Cela faisait pourtant des années que l’on s’attendait à observer des corps extrasolaires. Le processus de formation des systèmes planétaires inclut en effet une phase de migration de certaines planètes vers leur étoile, planètes qui éjectent sur leur passage une quantité incroyable de petits corps hors du système. De gros corps parfois, comme des planètes orphelines ou «free floating planets»… Tous ces astres se retrouvent alors dans l’espace interstellaire, où leur voyage continue jusqu’à croiser, peut-être, des millions d’années plus tard, la route d’autres systèmes stellaires comme le nôtre.

Alors pourquoi n’a-t-on, à ce jour, observé que 2 de ces objets et seulement récemment en provenance du cosmos ? Tout simplement parce que les projets de surveillance du ciel sont toujours plus nombreux et plus performants, notamment dans le but de prévenir d’éventuelles collisions d’astéroïdes avec la Terre. Et comme on n’arrête pas le progrès, un observatoire spatial de toute dernière génération dédié à la surveillance du ciel, le Vera C. Rubin Observatory, doit être mis en service l’année prochaine. «Ce télescope révolutionnaire de 8 m de diamètre sera capable de faire une image de tout le ciel de l’hémisphère sud… tous les 3 jours avec une précision inégalée !, s’enthousiasme Emmanuël Jehin. Cela devrait permettre de détecter bien plus d’objets interstellaires qui pour la plupart sont petits et faiblement lumineux».  La probabilité de détection sera alors d’un objet tous les 2 ans !

Ainsi, si les découvertes de visiteurs extrasolaires se multiplient, c’est à la naissance d’un tout nouveau pan de l’astrophysique que nous sommes en train d’assister, au même titre que l’étude des exoplanètes lors de la décennie précédente. Une perspective également appuyée par la mission Comet Interceptor de l’Esa, acceptée l’année dernière et au lancement prévu en 2028. «Le but est d’aller placer une sonde spatiale au point de Lagrange L2 (au-delà de la Terre sur l’axe Terre-Soleil, NdlR), attendre de repérer une comète intéressante en approche, et la rejoindre pour la survoler et l’analyser. Mais si l’objet n’était pas une comète en provenance du nuage d’Oort mais une comète interstellaire ? Imaginez la somme d’informations nouvelles si nous pouvions étudier de près un astre venu d’un autre système planétaire…», rêve Emmanuël Jehin. Des paroles qui contredisent bien celles d’Avi Loeb, qui avançait récemment que la communauté scientifique «manquait d’imagination»… 

 

(1) Avi Loeb, Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre, Seuil, 2021.


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Mais encore…

Théo PIRARD • theopirard@yahoo.fr

 

Présence belge sur orbite avec des Cubesats triples

Le 3 septembre dernier, un lanceur Vega d’Arianespace a placé autour de la Terre 2 nano-satellites à vocation scientifique. Il s’agit de démontrer que de très petits instruments peuvent fournir des données de grande qualité sur l’environnement qui conditionne la vie sur Terre. Picasso (Pico-Satellite for Atmospheric & Space Science Observations), démonstrateur conçu par l’Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique, est chargé de mesurer la distribution de l’ozone dans la stratosphère au moyen d’un spectromètre imageur miniaturisé. Il prépare le mini-satellite Altius (Atmospheric Limb Tracker for Investigation of the Upcoming Stratosphere) de 130 kg. Cet observatoire, qui sera lancé en 2023, est basé sur la plateforme Proba «made in Belgium». Simba (Sun-earth Imbalance), qui a vu le jour à l’Institut Royal Météorologique, doit établir le bilan radiatif de notre planète. Cette sorte de thermomètre spatial établit la différence entre le rayonnement reçu de notre étoile et celui qui est réémis par le globe terrestre.

Picasso, Cubesat scientifique
(Crédit : IASB)

Simba au service de la météorologie
(Crédit : IRM)


Ariane 6 et New Glenn: attendre jusqu’en 2022… 

Elon Musk, fondateur et patron de SpaceX, se frotte les mains: ses lanceurs Falcon 9, dont le 1er étage est réutilisable (jusqu’à 10 fois), accumulent les succès au Cap Canaveral. Le transporteur privé est devenu le point de référence pour des mises en orbite économiques. Ses 2 principaux concurrents accumulent les retards dans le développement de leurs nouveaux systèmes de lancement. Arianespace, au sein d’Airbus, mise sur 2 modèles Ariane 6 pour offrir des services compétitifs depuis le Centre Spatial guyanais de Kourou. L’emploi d’étages standardisés (3 au total) et les préparatifs à l’horizontale dans un nouvel Ela-4 (Ensemble de Lancements Ariane) doivent réduire les coûts d’exploitation. Blue Origin, grâce aux plantureux revenus d’Amazon, commercialise le puissant lanceur New Glenn au 1er étage réutilisable, avec ses propulseurs qui fonctionnent au méthane et à l’oxygène. La société de Jeff Bezos a modifié le site LC-36 (Launch Complex) du Cap Canaveral avec une importante infrastructure pour la production, l’assemblage, les essais, les préparatifs, les lancements.  

Le puissant New Glenn à la fin 2022 
(Crédit: Blue Origin)

 

Perseverance sur Mars: nouvel exploit de la NASA (National Aeronautics & Space Administration)

Le rover martien de 1 025 kg qui fut déposé sur le sol martien ce 18 février avec beaucoup de publicité – une bonne nouvelle en ce temps de pandémie – ne doit pas faire perdre de vue son frère aîné, Curiosity. D’une masse de 899 kg, cet automate qui tire son énergie d’un générateur thermoélectrique à radioisotope (grâce à du plutonium) quitta la Terre le 26 novembre 2011 pour arriver à destination le 6 août 2012. Il a parcouru près de 25 km, faisant découvrir un paysage des plus accidentés. Il est chargé de déterminer si des conditions propices à la vie ont pu exister sur la Planète Rouge. Ses observations donnent déjà une moisson spectaculaire de vues panoramiques et gros plans qu’on peut télécharger sur le site  https://mars.nasa.gov/msl/home/ . Avec le nouveau Perseverance (Mars 2020), sont prévues des «premières»: la mise en œuvre du drone Ingenuity ou nano-hélicoptère de reconnaissance (d’une masse de 1,8 kg) ainsi que la collecte de carottes du sol martien dans la perspective d’un retour d’échantillons à la fin de la décennie.

L’informatique a permis de réaliser ce selfie de Curiosity sur Mars (Crédit: NASA)

Traces de roues avec Curiosity sur une dune martienne (Crédit: NASA)

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