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Quand la NASA stimule nos intuitions

NASA/JPL, © M. HOUDART

Plus encore que d’habitude, j’espère que cette chronique vous mettra des étoiles plein les yeux. Au sens propre comme au sens figuré. Il faut bien avouer que ce n’est pas si souvent que la NASA lance un défi simultané au monde entier. Or, c’est pourtant ce qui s’est produit en direct le 22 février dernier

Vous savez certainement que depuis le 18 février, on a de nouveau mis un pied sur Mars. Enfin, plutôt une nouvelle roue. Cinquante ans après Mars 3, le tout premier engin à avoir réussi à se poser en douceur sur la Planète Rouge, le rover Perseverance a donc atterri. Enfin, atterrir, c’est sur Terre; alunir, sur la lune; je suppose que je devrai donc plutôt écrire «amarsir». Ne rigolez pas, le Figaro s’est sérieusement penché sur la question. Bon, je ne vais pas m’étendre dans ce billet sur les prouesses bluffantes nécessaires à l’envoi d’un robot sur Mars. Vous imaginez combien il aura fallu de savants calculs pour atteindre cette planète. D’autant plus que même si Mars était située à «seulement» 105 000 000 de kilomètres le 30 juillet 2020 (date d’expédition du rover Perseverance), sachez qu’en réalité, pour obéir aux lois de la mécanique spatiale, la sonde en aura parcouru presque 5 fois plus: 500 millions de kilomètres en seulement 7 mois. Waooh ! 

 
Un parachute crypté

Certes, l’amarsissage du 18 février n’a pas été retransmis en direct mais 4 jours plus tard, la Nasa diffusait une conférence de présentation avec des images exceptionnelles sur sa chaîne YouTube. On y a appris par exemple qu’un défi majeur pour un amarsissage sans casse était de passer de la vitesse de 21 000 km/h à 0 km/h en seulement 7 minutes. Je ne crois pas qu’on puisse parvenir à s’imaginer la décélération. Pour y arriver, la Nasa a conçu un parachute d’exception, qui m’a incité à vous écrire ce billet. Lors de la présentation des images, Allen Chen, un des hauts responsables de la mission, a dévoilé… un gag: «Parfois, on laisse des messages dans nos travaux dans l’espoir que d’autres les trouvent. Donc, on vous invite tous à tenter votre chance et à nous soumettre vos propositions». Non seulement, la Nasa avait conçu un incroyable parachute mais en plus, leurs équipes avaient pris le temps de lancer un défi mondial à la population ! Qui sera capable de décrypter le message caché dans sa toile ?

Inutile de vous dire que l’hameçon a bien fonctionné. Instantanément, des milliers de gens ont commencé à explorer leurs intuitions. Un seul indice: la toile de parachute. Et aussi dingue que ça paraisse, il aura fallu à peine 2 h à un internaute – un étudiant français – pour tweeter le message secret: «Dare Mighty Things» (Osez des choses grandioses). Un étudiant en quoi ? En technologie de l’information. Pour le coup, on ne peut pas dire qu’il se soit trompé de formation !

Mais comment Maxence Abela a-t-il fait pour décoder ce message à l’aide de cette seule image ? C’est souvent ce qu’on appelle le génie de l’intuition. Alors que sur cette photo, certains voient un joli parachute fantaisiste, le jeune homme, lui, détecte 4 cercles concentriques, chacun composé de 80 cases rouges ou blanches. Bon, sans doute que sa formation n’est pas étrangère à cette dissection très rigoureuse. Des cases rouges ou blanches… Deux états ! Un peu comme «ON-OFF», «1 ou 0»… ça ne vous rappelle rien ? Bien sûr, s’est dit Maxence, c’est sans doute un code binaire, comme celui qui était utilisé à la naissance des ordinateurs. Avec des machines, c’est assez simple: le courant passe (état 1) ou ne passe pas (état 0). Sur le parachute, les cases rouges correspondent au chiffre 1 et les blanches au chiffre 0. Maxence venait de faire un grand pas mais maintenant comment savoir par où commencer ?

 
Trouver la case «DÉPART»

Observez bien le premier cercle intérieur. Le plus petit. On y distingue clairement 2 parties. Une première où tout est rougi et une seconde où se mélangent des zones blanches et rouges. Pour Maxence, c’est clair. C’est par cette 2e partie qu’il faut commencer. Et après plusieurs suppositions et tentatives, il parvient à découvrir un motif: des blocs de 7 cases séparés à chaque fois de blocs de 3 cases. Le bloc de 3 cases est toujours entièrement blanc. Il représente une séparation, un espace. Et sur les blocs de 7 cases, Maxence imagine que la Nasa a codé à chaque fois une lettre.  

Premier cercle intérieur, analyse du 1er bloc gris composé de 7 cases

Une lettre avec des couleurs ? Ben oui, souvenez-vous du code binaire. Ce n’est pas tout à fait des couleurs qu’il faut voir mais bien une succession de 1 et de 0. Prenez le premier bloc par exemple: blanc, blanc, blanc, blanc, rouge, blanc, blanc. Ou plutôt 0000100. Et puisqu’en binaire, chaque case représente une puissance de 2, ce nombre peut se traduire par 0 . 26 + 0 . 25 + 0 . 24 + 0 . 23 + 1 . 22 + 0 . 21 + 0 . 20. Ainsi, le nombre binaire 0000100 représente en réalité le nombre 4. Et quelle est la 4e lettre de l’alphabet ? Le D.

Deuxième bloc: blanc, blanc, blanc, blanc, blanc, blanc, rouge. C’est-à-dire 0000001. Ici, c’est encore plus facile. La valeur du bloc, c’est 1, ce qui correspond donc à la lettre A. Si vous continuez, vous trouverez le nombre binaire 0010010 qui représente 18, soit la lettre R et enfin, le dernier bloc 0000101 = 5, pour la lettre E. Voici donc le premier mot du code secret: «DARE», OSEZ en anglais. J’ose à peine imaginer l’état de jubilation de Maxence quand il a compris qu’il tenait une bonne piste. Comment a-t-il su que le mot était terminé ? C’est simple, si vous avancez encore, vous constatez que cette fois, tout est hachuré. Il faut comprendre ce hachurage comme un «enter»: un retour à la ligne. Il est donc temps de passer au 2e cercle. Et c’est reparti ! Le nouveau bloc 0001101 fournit 13, c’est la lettre M. Il n’y a plus qu’à poursuivre… Les 3 premiers cercles vous permettront ainsi de décrypter l’entièreté du message «DARE MIGHTY THINGS». Et là évidemment, ça ne pouvait pas être une coïncidence puisque ce slogan, c’est celui du laboratoire JPL (Jet Propulsion Laboratory), le centre de recherche spatiale de la Nasa qui a développé cette mission sur Mars !

Échec et mat(h)

Mais alors, si le message est terminé, à quoi peut bien correspondre la zone du 4e et dernier cercle ? L’analyse du 1er bloc binaire 0100010 se traduit par la valeur 34. Fâcheux car jusqu’ici, tous les blocs fournissaient un nombre inférieur à 26. Logique puisqu’il n’y a que 26 lettres dans l’alphabet… En décryptant les 8 blocs du cercle extérieur, vous allez ainsi trouver la séquence [34, 11, 58, 14, 118, 10, 31, 23]. J’imagine que Maxence est resté perplexe quelques instants: il y a seulement 4 valeurs inférieures à 26. Autrement dit, 4 valeurs qui peuvent être remplacées par des lettres: [34, K, 58, N, 118, J, 31, W].

Là, nouvelle intuition géniale: et si le N et le W étaient en réalité des marques de coordonnées GPS ? Oui mais alors dans ce cas, les 2e et 4e bloc n’auraient pas dû être convertis en lettres. Maxence s’empresse de rectifier et trouve les coordonnées suivantes: [34 11 58 N 118 10 31 W]. Et au moment où il regarde à quoi correspond ce signal GPS, un large sourire a dû apparaître sur son visage: c’est l’emplacement du laboratoire JPL aux États-Unis, en Californie. Deux heures s’étaient à peine écoulées depuis l’allusion de Allen Chen que Maxence Abela tweetait déjà le message secret. Waooh !

   Si vous voulez défier votre entourage, sachez qu’il existe plusieurs applications qui peuvent coder votre message façon parachute. Très ludique et particulièrement bien réussie, je vous conseille celle de Nicolas Desmarets dont voici le lien: https://www.desmaths.fr/nasacode/

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