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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

©BELGAIMAGE, © Fotostudio De Grove, CC BY-SA 4.0 Igor Cristino Silva Cruz/Wiki

 
Quelle température ?

Le sexe d’un animal, comme de tout être vivant en général, est génétiquement fixé. Chez les animaux supérieurs, il existe même une différence perceptible au niveau des chromosomes, comme on le sait, pour notre espèce au moins. Ce qu’il y a de plus dans le cas des reptiles et amphibiens, c’est l’interférence d’un paramètre environnemental: la température. Pour le dire autrement, c’est qu’une régulation épigénétique intervient. L’épigénétique, faut-il le rappeler est l’ensemble des mécanismes qui contrôlent et modulent l’expression des gènes. Ces derniers sont présents dans tous les génomes. Mais ils peuvent ne pas être exprimés ou l’être très fortement, tous les intermédiaires étant possibles, en intensité ou en fonction d’une chronologie précise. La température, dans le cas des reptiles, agit donc sur l’expression des gènes qui codent pour l’orientation sexuelle, avec une valeur en-dessous de laquelle on observe préférentiellement un sexe et au-delà, l’autre. Cette valeur de cut-off n’est pas précise; elle tient à une plage de valeurs qui peuvent donner des mâles et des femelles, éventuellement des intersexués aussi.

Une équipe de chercheurs a récemment mis en lumière les mécanismes responsables. Le gène visé par le contrôle épigénétique est un de ceux qui codent pour le développement testiculaire et qui répond au doux nom de Kdm6b. Jusqu’il y a peu, on ignorait quel facteur agissait sur ce gène. C’est désormais chose faite. Il s’agit d’un régulateur nommé STAT3 (pour activateur de transcription et traducteur de signal 3). Après qu’un influx d’ions calcium (Ca2+) ait été produit à des températures plus élevées qui favorisent la naissance de femelles, STAT3 est chimiquement modifié par adjonction d’un groupement phosphoryle (PO32-), ce qui lui permet de bloquer l’expression du gène Kdm6b et donc, aussi, le développement testiculaire.

Chez les reptiles au moins, l’orientation sexuelle tient à la température d’incubation et à un peu de chimie. La température mise à part, c’est la même chose chez les mammifères supérieurs et chez l’homme. Cela enlève certes un peu de poésie à la chose, mais permet d’y voir plus clair et d’expliquer, au besoin, l’un ou l’autre défaut dans la mise en œuvre du processus de différenciation sexuelle. Le plus épatant c’est qu’en dépit de sa complexité, la «mécanique» biologique connaît au final bien peu de ratés !

http://acces.ens-lyon.fr/biotic/procreat/determin/html/detsexereptiles.htm

   Science, 2020; 368: 278 et 303-306

  

 

EXISTE-T-IL
UN GÈNE DE LA DOULEUR ?

L’accouchement est pour la plupart des femmes une étape importante qui scelle leur fonction maternelle. Pour autant, il ne s’agit pas d’un moment forcément agréable sauf pour celles qui ont pu opter pour un traitement analgésique préalable. Mais la douleur ressentie n’est pas d’égale intensité pour toutes les femmes. Le rang de l’accouchement y est déjà pour quelque chose; l’anatomie de la femme aussi, ainsi que le contexte culturel. Toutes n’ont par ailleurs pas la même résistance à la douleur. Et dans ce registre, on vient d’identifier que la mutation d’un gène peut changer beaucoup de choses.

Après examen du génome de 72 primipares, on s’est rendu compte que certaines femmes, qui n’avaient pas eu recours à un analgésique, présentaient une mutation d’un gène KCNG4 porté, dans l’espèce humaine, par le chromosome 16. À l’état normal, ce gène code pour une protéine qui modifie le conduit membranaire sous contrôle du potassium. En clair, et dans un registre fonctionnel, elle contrôle l’activation des neurones impliqués dans la transmission des sensations périphériques et en particulier de la douleur. 

Or, dans le cas des femmes porteuses de la très rare mutation mise en évidence, cette transmission se fait plutôt mal, ce qui fait que la douleur bien réelle est plus faiblement ressentie. Il s’agit donc d’une anomalie à effet bénéfique, au moins dans le cadre de l’accouchement. Elle est donc encore rare aujourd’hui (du moins dans la cohorte réduite testée) mais va peut-être être utilement conservée ensuite dans un registre évolutif.

Dans l’immédiat, il serait déjà intéressant de rechercher sa prévalence dans des populations d’origines diverses et sur plus large échelle. Mais plus rapidement encore, il est plus que vraisemblable que la recherche pharmaceutique va tenter d’identifier le moyen de réduire l’action de la protéine impliquée dans la transmission de la douleur chez les futures accouchées qui disposent du gène normal. Une manière d’assurer un moyen terme entre la péridurale et l’accouchement sans analgésie…

   Cell. Rep, 2020; 32: 107941

 
Manger le jour, dormir la nuit…

Comme tous les autres mammifères, les êtres humains sont tributaires d’un rythme nycthéméral. Ils sont normalement actifs pendant la journée et situent leur sommeil la nuit. Ça, c’est la règle générale et la vie sociale a pour l’essentiel été construite sur cette réalité-là. Sauf qu’il existe des humains qui ont inversé le rythme et ont choisi – ou non – d’assumer leur activité professionnelle la nuit: personnel soignant, conducteurs de trains ou chauffeurs de taxi, etc. D’autres aiment tout simplement l’ambiance de la nuit, trouvent l’option plus en accord avec la gestion familiale ou y trouvent une compensation par des congés de récupération plus importants. Le travail de nuit peut également être choisi parce que le rythme de travail est plus souple et moins stressant, tous paramètres confondus. Il laisse du coup le loisir, pour certains, de grignoter pendant les heures creuses.

Or, les espèces diurnes comme la nôtre s’alimentent aussi le jour, ce qui correspond de façon étroite au rythme nycthéméral évoqué. Et ce n’est pas sans implication physiologique. Une étude qui vient d’être publiée montre que ce qui est consommé tard le soir mène à une oxydation des matières grasses plus réduite que ce qui est consommé, à quantité égale, pendant la journée; au petit déjeuner par exemple. En d’autres termes, ce qui est mangé la nuit a davantage de chance (mais une chance toute relative) d’être stocké dans le tissu adipeux. Ce n’est pas la première fois qu’une observation de ce genre est faite; il a notamment été rapporté, il y a plusieurs années, que le gain de poids des infirmières de nuit est plus rapide et significativement plus élevé que celui de leurs collègues œuvrant de jour.

Cette observation vaut aussi, bien entendu, pour ceux qui ont le «petit creux» de 22 ou 23 h; un petit creux qui a souvent tendance à devenir systématique et qui s’ajoute à ce qui a été consommé au repas du soir. L’idéal, dans ce cas, c’est de remplacer cette collation tardive par un grand verre d’eau ou une tasse de tisane. Mais on conviendra aisément, tout de même, que pour ceux qui ont des tendances hédonistes affirmées, ce n’est pas tout à fait la même chose que faire une visite gourmande et compulsive au réfrigérateur !

   PLOSBiol, 2020; e3000622

Commensalisme
de masse

Outre qu’ils sont les plus gros mammifères terrestres, les éléphants jouent aussi les superlatifs dans d’autres domaines. Il a déjà été rappelé que grands consommateurs de graminées, ils sont capables d’en disséminer les graines, enrichies de matières fécales, dans un rayon de 80 km. Mais ce n’est pas tout: par leur simple présence massive, ils peuvent aussi améliorer la nature du sol de la savane où ils passent le plus clair de leur temps. C’est ce qu’a démontré une étude menée depuis 1995 au Kenya. L’amélioration des sols commence le plus simplement du monde par le dépôt des matières fécales dont la dimension est en rapport avec ceux qui les déposent. Celles-ci contiennent, on vient de le rappeler, des graines de graminées qui peuvent profiter de cet abondant viatique pour germer et s’installer à demeure. Les pachydermes n’hésitent pas non plus à aller tout droit là où d’autres, de taille plus modeste, contourneraient les massifs d’arbustes. Résultat: ces végétaux sont écrasés, puis rendus progressivement au sol qui sait en profiter. Ils ne sont pas les seuls: les détritiphages y trouvent leur compte également, ce qui ne fait qu’enrichir tout un réseau trophique riche en espèces diverses. Bref, les éléphants broutent, écrasent, défèquent et tout le monde en profite ce qui, in fine, revient aussi de façon positive à la savane.

Or, la savane est aussi le milieu où les élevages extensifs de bovins peuvent prendre place. Ceux-ci font la même chose que leurs imposants voisins mais en plus petit et surtout, en plus grand nombre. Conséquence: leur impact sur la flore locale peut s’avérer plus négative que positive. C’est du reste ce qui est observé dans les corrals où ils sont enfermés la nuit. Et c’est à ce niveau que l’étude évoquée devient intéressante; elle démontre en effet que la présence des pachydermes permet à la savane de se reconstituer plus rapidement et donc aux élevages de pouvoir s’implanter voir de s’accroître; le tout sans nuire, pourvu que ce soit dans des proportions raisonnables. Éléphant – bovin: 1 partout ! En écologie, ce bénéfice mutuel porte un nom: le commensalisme. Dans ce cas, les bovidés ne sont pas des dangers pour les pachydermes qui peuvent poursuivre leur cheminement en toute tranquillité tout en accroissant le retour au sol des nutriments nécessaires à la croissance végétale. Les éleveurs kenyans ont bien compris le message et participent donc à la protection des éléphants. Dans d’autres pays africains, le message n’est malheureusement pas encore passé et les massifs porteurs de défense continuent à faire l’objet d’un braconnage intense.  

   Science, 2020. 368: 12

Photo aérienne des mangroves et des plages de sable sur la côte ouest de la baie de Tampa

Fertilisation par ouragan

On ne retient d’habitude des ouragans que les images effrayantes; et il est vrai que les plus importants laissent généralement derrière eux un cortège de destructions. Les constructions les plus légères sont arrachées, démantelées, déchiquetées et se retrouvent lamentablement au sol quand les vents violents ont cessé. Ces déchaînements du climat ne nous atteignent la plupart du temps que par médias interposés, ce qui nous laisse peu l’occasion de voir l’«après». La dynamique humaine sait ce qu’il faut faire pour réparer ce qui semble être un irréparable outrage et avec le temps, la physionomie des lieux reprend son aspect coutumier. Cela n’enlève rien à l’importance des dégâts matériels et humains. Mais la dynamique évoquée sait aussi voir ce qu’il y a de positif à ce que ce qui nous apparaît, à nous, uniquement sous le jour d’une catastrophe.

C’est précisément le parti qu’a pris une équipe de biologistes après le passage de l’ouragan Irma, particulièrement dévastateur, il y a quelques années. Plutôt que se limiter à l’observation classique des dégâts immédiats provoqués, ils ont cherché à savoir si l’érosion littorale (ils ont focalisé leur recherche sur les côtes de la Floride) n’avait pas pu avoir des effets bénéfiques sur l’intérieur des terres. Et c’est précisément ce qu’ils ont observé à la faveur de prélèvements multiples effectués. Ils ont pu quantifier l’enrichissement – en phosphore notamment – des terres intérieures sur une profondeur de 10 km. La mangrove littorale s’en est également trouvée renforcée, ce qui laisse supposer que la bande littorale sera plus à même de résister aux ouragans à venir. C’est incontestablement une forme de résilience naturelle.

   Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A., 2020. 117: 4831

Neandertal
à la plage

Il est difficile de ne pas évoquer Neandertal, ce lointain cousin de l’homme moderne qui a tiré définitivement sa révérence du plancher des mortels il y a 39 000 ans environ. Pourquoi en parler ? Parce que cet homme-là était très européen et peut-être plus encore wallon. Sait-on que le premier vestige découvert l’a été à Engis (Province de Liège) ? Puis ce fut Spy et bien d’autres sites comme ceux qui ont été explorés sur les rives de la basse Lesse à Anseremme, à Spienne en Hainaut, à Sclayn, etc. Bref, celui qui a aussi laissé un peu de ses gènes parmi les nôtres (3% de l’ensemble environ) mérite bien une évocation de temps à autre. 

Une publication parue cette année nous fait savoir qu’avant son petit cousin sapiens, Neandertal a aussi colonisé les bords océaniques. Il l’a peu fait apparemment. Par crainte de l’élément auquel il attribuait des pouvoirs particuliers ? Peut-être. Ou parce que l’approche d’un élément aussi puissant demandait toute une stratégie qu’il n’a pas pris le temps de mettre en place. Il est également nécessaire de rappeler que pendant la période au cours de laquelle il a occupé nos régions, Neandertal était confronté à un climat particulièrement rigoureux; les hivers étaient très froids, les rivages étaient souvent gelés et la calotte glaciaire descendait bas en latitude au cours des 2 dernières glaciations qu’il a connues, celle de Riss et de Würm. Ses besoins caloriques étant élevés, ce chasseur a donc donné préférence à ce qu’il trouvait sur la terre ferme et froide qu’il maîtrisait plutôt bien.

La reconstitution de l’Homme de Spy (Spyrou) est exposée à l’EHoS à Onoz

Si Neandertal a fréquenté le littoral, il l’a fait là où les conditions étaient plus propices; en l’occurrence sur les plages de la péninsule arabique, sur les côtes les plus australes, au sud de l’actuel Portugal. La publication évoquée, qui rapporte le résultat de fouilles réalisées dans la grotte de Figuera brava, en bordure littorale océanique, ne laisse planer aucun doute sur la présence de notre lointain cousin. On a en effet retrouvé des vestiges de produits de la mer dans une strate relative à son époque. C’est une première. Jusque-là, les sites d’occupation littorale les plus anciens dataient d’environ 160 000 ans, identifiés en Afrique du sud et attribués à l’Homme moderne. 

Que Neandertal ait consommé des produits de la mer peut paraître anecdotique. Mais cela prend une résonance particulière en matière d’évolution puisque cette nourriture est souvent riche en acides gras particuliers (oméga 3), dont on pense qu’ils ont pu avoir eu un effet sur le développement cérébral de nos ancêtres. Il a pu prendre un bon bol d’iode au passage, ce qui n’a pas pu lui faire de tort non plus.

Ce premier Européen (1) auquel on trouve de plus en plus d’aptitudes de tous genres aurait donc aussi été l’initiateur de l’exploitation des ressources maritimes sur notre continent. Ce parent dont on faisait il y a quelques décennies encore une sorte de demi-monstre poilu apparaît de plus en plus comme un humain plutôt bien évolué. Il ne dépare en tout cas pas le panthéon de nos précurseurs !

   Science 2020; 367 1422-1423 et 1443 

(1) L’Institut du Patrimoine wallon a édité en 2011 Neandertal l’Européen, de S. Pirson et M. Toussaint, un ouvrage de référence
richement illustré.

BIO ZOOM

Si en pleine nature, nous ne manquons pas de fermer notre tente et nous emballons dans un sac de couchage bien douillet pour se protéger des rigueurs de la nuit, le poisson-perroquet (Scaridae), lui, produit son propre cocon lors de ses temps de repos. Ce mucus produit par des glandes operculaires en 30 minutes environ lui permettrait de camoufler son odeur et d’ainsi devenir imperceptible pour ses prédateurs… Multi-fonction, cette enveloppe de super-héros aurait des vertus anti-oxydantes réparatrices, lui servirait de système d’alarme en cas de tentative d’intrusion et de bouclier antiparasites et rayons ultra-violet. Au moins aussi efficace que le bouclier de Captain America !

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