Physique

Un
cyclotron monument

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

©Faulhaber, EmDee/Wik

Le cyclotron de Louvain-la-Neuve a été déclaré «site historique» par la Société Européenne de Physique. Pour une première mondiale réalisée voici plus de 30 ans

Il y aurait bien des raisons d’honorer le cyclotron de l’UCLouvain. Premier bâtiment érigé sur le campus de Louvain-la-Neuve, il a accueilli en février 1971 la cérémonie de la pose de la première pierre de la nouvelle Université avant d’être, un an plus tard, inauguré en tant que centre de recherche. Des cinquantenaires qui mériteraient à eux seuls une attention. Mais c’est surtout la Société Européenne de Physique qui a braqué les feux sur lui. Celle-ci a en effet l’habitude, depuis quelques années, de décerner un titre à un lieu, un bâtiment qui a marqué l’histoire de la physique: cet automne, c’est le cyclotron de l’UCLouvain (ou plus précisément le grand hall des cibles) qui a été distingué. La raison ? Avoir permis la réalisation, en 1990, d’une expérience d’astrophysique nucléaire en première mondiale.

Le cœur du premier cyclotron belge est devenu un monument à l’UCLouvain

Avant d’expliquer celle-ci, un petit retour en arrière s’impose. En 1947, sous l’impulsion du Professeur louvaniste Marc de Hemptinne, la Belgique se dote d’un premier cyclotron. Il est installé au centre de physique nucléaire à Heverlee, dans ce qui est encore l’Université catholique de Louvain bilingue. Bien plus tard, lorsqu’elle aura construit son propre cyclotron au début des années 1970, la toute jeune UCL francophone récupérera d’ailleurs le cœur de cet ancêtre, sans doute comme un lien avec son lieu d’origine, et l’exposera sur le Boulevard Baudouin 1er où il est toujours visible !

Le Professeur de Hemptinne est un physicien nucléaire expérimental. Pour étudier des réactions nucléaires, il faut les provoquer. Et pour cela, il faut disposer d’accélérateurs de particules, d’où la construction de ces premiers cyclotrons (dont les performances sont bien moindres que les géants du CERN aujourd’hui). En résumé, un cyclotron est une machine qui utilise l’action combinée d’un champ électrique et d’un champ magnétique pour accélérer des particules (souvent des ions, atomes privés d’un ou plusieurs de leurs électrons) dans un espace restreint. Un dispositif émet tout d’abord ces particules chargées puis les injecte dans le cyclotron proprement dit, ensemble de 2 cavités sous vide (les «dés») de forme semi-cylindrique, soumises aux champs précités, le magnétique courbant la trajectoire des particules tandis que l’électrique les accélère. Lorsqu’elles ont atteint la vitesse choisie (mais on est ici loin de la vitesse de la lumière !), les particules accélérées sont projetées sur des cibles. Il reste alors à voir puis analyser le résultat de ces chocs très violents. Le cyclotron, ou plutôt le Centre de Recherches du Cyclotron (CRC), néo-louvaniste va s’équiper tout d’abord (en 1972) d’un premier appareil appelé CYCLONE (CYClotron de LOuvain-la-NEuve). Deux autres (les CYCLONE 30 et 44) suivront dans les 25 ans. Dès le départ, ces appareils ont été conçus pour une utilisation interdisciplinaire: la médecine, la chimie et les sciences appliquées ont également utilisé les faisceaux produits. Les applications médicales (radiothérapie contre les cancers et utilisation d’isotopes radioactifs pour le diagnostic de certaines maladies) ont été particulièrement développées dès le début, ce qui a notamment permis l’éclosion de l’une des plus belles spin-off du monde universitaire belge, à savoir IBA, dont le siège est toujours à Louvain-la-Neuve, devenue leader mondial en protonthérapie et qui occupe aujourd’hui plus de 1 500 personnes dans le monde.

L’expérience de 1990: faire en laboratoire ce qui se passe dans les étoiles

C’est cependant le domaine de la physique nucléaire qui retient principalement l’attention des chercheurs néo-louvanistes et leurs collègues de la KUL, de l’ULB et la VUB (le CRC est interuniversitaire). C’est d’ailleurs le Professeur Arnould, astrophysicien à l’ULB qui, en 1985, émet l’idée d’une expérience nouvelle: produire et accélérer des ions radioactifs de courte durée de vie pour observer une réaction nucléaire qui se déroule au sein des étoiles. Chercheurs de l’ULB, UCL et KUL vont tout d’abord produire un faisceau d’azote 13 (13N), un isotope radioactif (instable) de l’azote (14N), dont la durée de vie est d’environ 10 minutes. Ils l’obtiennent en juin 1989 en couplant les 2 premiers cyclotrons du CRC avec une source d’ions. Une technologie nouvelle qui demande bien des réglages. Mais en décembre 1990, l’énergie, l’intensité et la pureté du faisceau permettent d’étudier une réaction nucléaire clé qui se produit au sein des étoiles, la réaction 

13N + 1H     14O + g(gamma)

importante dans le cycle Carbone-Azote-Oxygène (CNO) chaud (une des voies de transformation de l’hydrogène en hélium dans les étoiles) lors des explosions stellaires (novae). Un phénomène pas si rare: il s’en produit plusieurs par an dans notre galaxie, dont certaines visibles à l’œil nu. Le terme «nova» est un peu malheureux mais il date de l’époque où le phénomène était seulement perçu à l’œil nu: nos ancêtres avaient donc l’impression qu’une nouvelle (nova) étoile apparaissait brusquement dans le ciel ! Il n’en est rien, c’est une étoile existante qui devient brutalement très brillante, le temps d’un instant souvent très bref avant de revenir à son état initial (le phénomène n’est donc pas destructeur et est récurrent même si la période d’apparition peut être très longue). Il se produit toujours au sein d’un couple d’étoiles composé par exemple d’une étoile de la séquence principale (naine rouge) et d’une naine blanche (comme le soleil), la «naine» rouge étant bien plus grande que la blanche. Au cours de son évolution, la rouge grandit et finit par échanger de la matière avec la blanche qui s’entoure alors d’un disque d’accrétion. L’explosion nova (dit sursaut) se produit lorsqu’il y a suffisamment de matière autour de la blanche; pression et température augmentent alors jusqu’à déclencher le cycle CNO de combustion de l’hydrogène. Lequel s’emballe jusqu’au flash thermonucléaire: la matière acquise par la naine blanche est alors éjectée. Un nouveau cycle peut recommencer.

Comme on le voit, le cycle CNO joue ici un rôle important puisque c’est l’énergie qu’il libère qui provoque l’accroissement de température de l’enveloppe d’hydrogène accrétée autour de la naine blanche jusqu’à la rupture de cette enveloppe dans le sursaut nova. Mais il y a 2 cycles CNO (froid et chaud) selon la température du milieu, qui libèrent de l’énergie à des rythmes différents. Si l’on veut prédire correctement le phénomène nova, il faut donc en savoir plus sur les caractéristiques de ces 2 modes. Or c’est le comportement de notre isotope 13N (se désintégrer avec une demi-vie de 10 minutes ou capturer un proton) qui va conduire à l’un ou l’autre mode, respectivement froid et chaud. En mesurant, pour la première fois en laboratoire, la durée caractéristique (nombre de réactions par unité de temps) de la réaction 13N + p, l’expérience de 1990 a permis de mieux comprendre et prévoir le passage d’un cycle CNO à un autre. 

DEUX AUTRES SITES HISTORIQUES

Avant le cyclotron de l’UCLouvain, la Société Européenne de Physique avait déjà décerné le titre de «Bâtiment historique» à 2 sites situés dans notre pays.

1) Le premier est l’Hôtel Métropole à Bruxelles qui, en 1911 a accueilli le premier Congrès Solvay de physique rassemblant autour d’Albert Einstein une brochette de Nobel et futurs Nobel de physique sur le thème de la «théorie de la radiation et des quanta».

2) Le second est le Heilige Geestcollege à Leuven où a résidé le chanoine Georges Lemaître lorsqu’il a développé sa théorie du Big Bang.

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