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Les Américains à la (re)conquête de la Lune

Fleur OLAGNIER • fleur.olagnier@gmail.com

NASA

En 2025 «au plus tôt», une équipe d’astronautes devrait de nouveau fouler le sol lunaire dans le cadre de la mission américaine Artemis III, troisième du programme éponyme. Après 10 ans de développement, l’ambitieux projet de la Nasa n’a jamais été aussi concret, puisque l’un de ses principaux éléments, le lanceur-lourd SLS, doit être inauguré en février prochain. Cerise sur le gâteau, la Belgique apporte sa contribution au programme !

Plateforme orbitale lunaire Lunar Gateway avec le vaisseau spatial Orion en approche

 

C’est en 1972 que les hommes ont dit au revoir à la Lune. Depuis la dernière mission Apollo, dix-septième du nom, nous ne faisons que l’admirer de loin. Mais c’était sans compter sur l’ambition des Américains qui sont sur le point de réitérer l’exploit. En développement depuis 2012 et avec déjà près de 50 milliards de dollars dépensés, le programme Artemis de l’agence spatiale américaine (Nasa) prévoit le retour de l’homme sur notre satellite naturel en 2025 «au plus tôt». Et malgré divers retards et déboires financiers, le projet est bien avancé.

Les Américains ont imaginé Artemis autour de 4 éléments principaux: la fusée Space Launch System (SLS) doit propulser le vaisseau spatial Orion, dans lequel se trouvera l’équipage, sur une trajectoire en direction de la Lune. Arrivé à destination, Orion pourra s’amarrer à une station orbitale lunaire appelée Lunar Gateway. Les astronautes les plus chanceux embarqueront ensuite dans l’alunisseur HLS Starship, qui les emmènera jusqu’au sol de notre satellite naturel.

Parmi tous ces éléments, le super-lanceur lourd SLS, qui sera la fusée la plus puissante jamais construite, est presque prêt. Construit par Boeing, le «Mega-Moon rocket» de 2 875 t pour 98 m de hauteur s’envolera pour la première fois en février 2022. Cette étape correspond à la première mission du programme Artemis, Artemis I, qui n’emportera pas de passagers. De son côté, le vaisseau spatial Orion est inspiré de l’architecture de celui de la mission Apollo. Il va transporter des astronautes pour un tour de la Lune dans le cadre d’Artemis II en mai 2024. Les astronautes seront installés dans un module de commande en forme de cône. Un module de service, financé par l’Agence spatiale européenne (Esa) et dans lequel sera rassemblé tout ce qui n’est pas nécessaire au retour sur Terre, viendra compléter l’ensemble. «Artemis II ira plus loin que n’importe quel humain ne s’est jamais rendu, probablement près de 65 000 km au-delà de la Lune avant de revenir sur Terre», soulignait en novembre 2021 Bill Nelson, le patron de la Nasa

La fusée Space Launch System (SLS) doit propulser vers la Lune le vaisseau spatial Orion dans lequel se trouvera l’équipage

 
La Belgique participe

L’architecture du programme américain Artemis repose également sur la future station spatiale Lunar Gateway, dont certains modules sont fabriqués en Europe. Placée en orbite autour de notre satellite naturel, la station spatiale servira d’intermédiaire entre la Terre et la surface de la Lune, en accueillant des équipages pour une durée allant jusqu’à 42 jours. Thales Alenia Space (TAS) Belgium est le seul industriel belge à être impliqué dans le ce programme, et c’est justement pour la station lunaire ainsi que le vaisseau Orion qu’il fournit des équipements. TAS est en  charge de plusieurs modules: l’European Service Module du vaisseau Orion, et pour la station Lunar Gateway I-HAB  (espaces d’habitation pour les astronautes et points d’ancrage), HALO (Habitation and Logistics Outpost) et ESPRIT  (module de communication et de ravitaillement). C’est pour ce dernier module que les équipes d’ingénierie des sites  de Louvain et Charleroi travaillent. Elles conçoivent et fabriquent des Traveling Wave Tube Amplifiers, c’est-à-dire des  équipements destinés à amplifier les signaux qui permettront la communication entre la station Lunar Gateway et la surface de notre satellite naturel. De plus, TAS Belgium développe à Louvain et fabrique à Charleroi un équipement  critique pour la communication de HALO et l’alimentation de moteurs pour les antennes sur ESPRIT: le Remote Interface and Distribution Unit. «L’exploration planétaire est plutôt une activité de niche pour Thales Alenia Space Belgium, mais nous avons le savoir-faire, la force de frappe et la volonté pour développer ce segment», contextualise Ina Maller, CEO de TAS Belgium.

Un alunisseur signé SpaceX

Enfin, l’alunisseur est un élément très important puisqu’il doit permettre de transporter les astronautes depuis la station orbitale lunaire jusqu’à la surface de la Lune. En avril 2021, le développement de ce Human Landing  System (HLS) a été confié à l’entreprise privée SpaceX et les premiers essais auront lieu en 2022. Dans les exigences de  la Nasa, SpaceX doit notamment réussir un alunissage sans équipage. Une opération périlleuse dont la date n’est  pas encore fixée… Si tous les résultats sont concluants, le HLS Starship emmènera 2 astronautes parmi les 4 de la  mission Artemis III – dont la première femme – depuis la station Lunar Gateway jusqu’au sol lunaire pour une petite  semaine.

À noter que pour mener à bien le programme Artemis, la Nasa investit également beaucoup dans la modernisation de  ses installations au sol, qui permettront de communiquer depuis la Terre avec les engins spatiaux de  l’environnement lunaire. Le complexe de lancement 39 du centre spatial Kennedy (Floride), d’où doit décoller la fusée  SLS, a été modernisé, tout comme le réseau d’antennes Deep Space Network (Californie, Espagne, Australie).  Un nouveau réseau, le Lunar Ground Station, devrait aussi être créé. De plus, 2 nouvelles combinaisons spatiales sont  en cours de développement. La première baptisée Exploration Extravehicular Mobility Unit (xEMU), optimisée pour  marcher sur la surface lunaire, est en cours de tests dans la Station spatiale internationale et en milieu aquatique sur  Terre. Sa particularité ? Elle peut s’adapter à différents types de morphologies d’hommes… et de femmes. Le  deuxième attirail est une mise à jour de l’emblématique combinaison orange «citrouille» que les astronautes de la  Nasa ont portée de 1981 à 2011. Appelée Orion Crew Survival System, elle servira lors du lancement dans l’espace et  du retour sur Terre. 

Ambitions sino-russes

Parallèlement au programme américain de (re)conquête de la Lune, d’autres nations s’intéressent à notre satellite naturel. «Côté russe, beaucoup se dit, mais peu se fait» commente d’emblée Christian Barbier, chef de projet au  Centre spatial de Liège. En effet, les Russes ont un projet de remplaçant du vaisseau spatial Soyouz, et d’un  nouveau lanceur Angara, mais le manque de moyens laisse ces 2 idées quasiment au point mort. «La Russie s’est  donc tournée vers la Chine pour un partenariat assez naturel, en raison notamment de leurs relations respectives  avec les États-Unis. La nature de cette collaboration n’est toutefois pas encore fixée», complète Christian Barbier. Au  printemps dernier, les agences spatiales chinoise et russe ont ainsi lancé un projet de base lunaire (orbitale ou au sol),  et l’organisation de vols touristiques autour de notre satellite est aussi dans les cartons. La construction de  la base lunaire sino-russe pourrait débuter entre 2026 et 2030, afin d’être habitée de façon permanente d’ici 2040.

Alors que le premier astronaute chinois atteignait à peine l’espace en 2005, l’Empire du milieu possède déjà une  station spatiale autour de la Terre: la China Space Station (CSS). Pékin prévoit aussi un lanceur lourd pour la fin de la  décennie, et développe déjà son équivalent du vaisseau Orion pour desservir la CSS et être utilisé dans le cadre de  missions habitées vers la Lune. «Tout se met en place pour les vols lunaires chinois, et cette concurrence devrait  inciter les Américains à maintenir voire accélérer sur le programme Artemis, analyse Christian Barbier. Par contre, je  parierais plutôt sur un alunissage en 2028 au lieu de 2025, en raison du trop faible budget attribué à la Nasa». 

À noter que l’Europe a, quant à elle, décidé de ne pas développer de système de vol habité, préférant miser sur la  collaboration dans le cadre de l’exploration humaine, et se consacrer à d’ambitieuses missions scientifiques  robotisées. Toutefois, paradoxalement, l’Esa réfléchit déjà à l’après-Artemis, et imagine en détails les installations  lunaires d’après-demain.

Pour conclure, d’après un audit du Bureau de l’inspection générale de la Nasa paru fin novembre, le coût total du  programme américain Artemis est estimé à 93 milliards de dollars… au moins. Un investissement pharaonique qui,  on l’espère pour les États-Unis, en vaudra la chandelle. 


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Mais encore…

Théo PIRARD • theopirard@yahoo.fr

 

Robots chinois sur la Lune et sur Mars

Pékin marque discrètement de son empreinte l’exploration spatiale grâce à des automates performants. La Chine est la seule nation à manœuvrer des rovers sur le sol lunaire (face cachée) et martien. Depuis le 3 janvier 2019, le Yutu-2 de 140 kg a parcouru plus d’1 km, transmettant des images et analyses de notre satellite naturel. De son côté, le Zhurong de 240 kg manœuvre à la surface martienne sur laquelle il est descendu le 22 mai 2021.

L’Empire du Milieu entend devenir le n°1 dans l’espace avec de grandes ambitions pour cette décennie. C’est ce qu’il annonce – en anglais – dans un Livre Blanc qui a été publié en janvier. Outre l’exploitation autour de la Terre d’un complexe habité qui continuera à s’agrandir avec des modules supplémentaires, il est question de préparer les technologies qui serviront à l’arrivée de taïkonautes sur la surface lunaire. 

Le rover Zhurong est bien arrivé sur la Planète Rouge, transmettant un selfie inédit. (Doc CNSA)

C’est la capsule (avec son parachute) qui a déposé la sonde chinoise sur Mars. (Doc CNSA)

L’Inde spatiale, victime de la pandémie du coronavirus

L’Isro (Indian Space Research Organisation) a en 2021 dû reporter ses campagnes d’essais et de lancements. L’activité la plus affectée concerne l’ambitieux programme Gaganyaan de vols spatiaux habités. Un vaisseau de 8,2 t, destiné à emmener un trio de gaganautes ou vyomanautes, ne pourra être testé en mode inhabité que l’année prochaine. Ce qui repousse à l’horizon 2024 la perspective d’un vol orbital avec équipage. Gaganyaan qui consiste en une capsule conique avec un module de service sera satellisé par le puissant lanceur indien Gslv (Geosynchronous Satellite Launch Vehicle) Mark III. À la fin de cette décennie, Delhi voudrait se doter d’une station spatiale où se relaieront des équipes d’astronautes indiens. 

Vue d’artiste du vaisseau indien Gaganyaan 
(Doc ISRO)

Jusqu’où accepter la prolifération de satellites ?

Lors d’une récente émission de la Rtbf, Benoît Deper, le directeur général et fondateur d’Aerospacelab, annonçait que sa société, établie à Mont-Saint-Guibert, pouvait produire jusqu’à 2 microsatellites par jour ! Or, en 20 ans, la Belgique a réalisé et mis en orbite 4 satellites d’au moins 20 kg: Proba-1 (lancé en 2001), Proba-2 (2009), Proba-V (2013), Arthur-1 (2021). Aerospacelab a le projet de mettre en œuvre une constellation pour des applications de télédétection spatiale. L’entreprise belge devra affronter la concurrence d’autres systèmes d’observation qui, sous l’impulsion d’investisseurs privés, prennent forme dans le monde. Si toutes les initiatives se concrétisent, on devra faire face à un sérieux problème d’embouteillage au-dessus de nos têtes. 

Jusqu’où peut-on polluer l’espace proche de notre planète ? (Doc ESA)

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