Physique

Du soleil liquide

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

©Chalmers University of Technology, Per Erséus, Språng kommunikation, ©Yen Strandqvist/Chalmers University

Le recours à l’énergie solaire est sans doute la solution la plus durable à nos problèmes énergétiques. Elle est propre, infinie, facile à capter… mais hélas intermittente. Depuis une dizaine d’années, des chercheurs tentent donc de la stocker sous forme d’un liquide. D’intéressants progrès viennent d’être réalisés dans ce domaine

C’est bien une infime part de l’énergie du soleil que ce chercheur tient dans sa main !

Un matin comme un autre à l’Université Jiao Tong de Shangaï. Des chercheurs découvrent dans leur courrier une petite fiole remplie d’un liquide brunâtre. Leur mission ? Transformer ce liquide en électricité. Car cette fiole contient de l’énergie solaire captée il y a longtemps et loin de la ville chinoise, en Suède. Pour en arriver là, il y a une décennie de recherches et l’obstination d’un homme qui méritent d’être contées.

Les auteurs de l’article qui vient de paraître dans Cell Reports Physical Science (1) ont d’ailleurs eu la bonne idée de rappeler le contexte de leur recherche en introduction de leur publication. Ils soulignent ainsi que la consommation totale d’énergie devrait atteindre 21 TWan (2) d’ici 2040 (c’est demain), soit une croissance de 130% par rapport à 2019 (c’était hier). Mais, nous le savons, la toute grande majorité de cette énergie est d’origine fossile. Ils font également remarquer que l’énergie solaire est la ressource énergétique la plus abondante sur Terre: 2,3.104 TW atteignent la Terre chaque année. Le calcul est simple: 7 h d’ensoleillement suffisent théoriquement pour couvrir nos besoins annuels en énergie !

Comment captons-nous actuellement cette énergie ? Essentiellement grâce à l’utilisation de cellules photovoltaïques mais les meilleures n’ont qu’un rendement de 30% et, faut-il le rappeler, l’intensité du rayonnement solaire varie selon le temps (rien la nuit) et le lieu (le Sahara n’est pas l’Irlande). Sans parler des problèmes de son stockage, pratiquement anecdotique, que ce soit sous forme de chaleur ou d’électricité. Depuis des décennies, nous sommes donc à la recherche de technologies qui permettent d’utiliser l’énergie solaire de manière plus continue et maniable. Une technologie envisagée a, par exemple, été celle des centrales solaires thermiques à sels fondus ce qui permet de produire de l’électricité quelques heures encore après le coucher du soleil. Mais ces centrales sont gigantesques, nécessitant de grands concentrateurs solaires. On retombe là dans le gigantisme longtemps reproché au nucléaire. Peu de progrès intéressants donc. 

Un liquide qui retient l’énergie

C’était sans compter avec l’obstination d’un chercheur suédois, Kasper Moth-Poulsen, de l’Université polytechnique Chalmers de Göteborg. Début des années 2010, celui-ci et son équipe se mettent à chercher un système qui permet de capter et surtout stocker l’énergie solaire afin de pouvoir la réutiliser même quand les rayons solaires qui en sont l’origine ont disparu depuis longtemps. Ils arrivent à un premier résultat en 2013: un composé chimique liquide à base de ruthénium semble pouvoir remplir ce rôle. Mais le ruthénium est cher et le rendement de conversion de l’énergie solaire ne dépasse guère 0,01% ! 

Le capteur solaire (1) se présente comme un réflecteur concave où les rayons du soleil sont concentrés sur le tuyau central où circule le liquide stockeur d’énergie; pour cela, il suit les mouvements du soleil comme une antenne parabolique. Le liquide (qui est  froid) contenant l’énergie est ensuite soit stocké à température ambiante pour un usage différé, soit envoyé ailleurs (2). Au  moment et à l’endroit où l’on veut l’utiliser, un catalyseur est mélangé au liquide (3). L’énergie solaire est alors libérée sous forme  de chaleur (4) ou même aujourd’hui, sous forme d’électricité.

L’équipe ne renonce pas et 4 ans plus tard, un bond en avant a été réalisé. Le «stockeur» d’énergie utilisé est cette fois une molécule plus banale, le norbornadiène, un hydrocarbure composé de carbone, hydrogène et d’azote qui a la propriété de changer de géométrie quand il est exposé aux rayons solaires, l’énergie des photons étant stockée dans les liaisons chimiques, les liaisons doubles se transformant en liaisons simples lors de l’exposition. Dans la suite, il «suffit» d’injecter un catalyseur pour que les molécules reprennent leur forme initiale en libérant l’énergie qu’elles ont emmagasinée. Et cela peut se faire très longtemps après, jusqu’à 18 ans plus tard selon les chercheurs. L’énergie est alors restituée sous forme de chaleur. Quant au liquide qui a précieusement gardé l’énergie en son sein, une fois celle-ci libérée, il peut être réutilisé un grand nombre de fois (environ 140 fois maximum d’après les tests menés) puisque ses molécules ont repris leur forme initiale. Autre caractéristique du système: son caractère compact. Il peut en effet contenir 250 wattheures d’énergie par kilo de liquide. C’est la technologie du MOST (MOlecular Solar Thermal energy storage systems), système de stockage d’énergie thermique solaire moléculaire.

Produire de l’électricité

À cette époque cependant, si le rendement s’est fortement amélioré (1,1% au lieu du 0,01% précédent), l’énergie n’est restituée que sous forme de chaleur. Pas la forme la plus simple à utiliser (un échange thermique avec de l’eau par exemple) d’autant que les températures atteintes ne permettent que difficilement de transformer cette eau en vapeur, donc pas de quoi envisager d’entraîner une turbine pour produire de l’électricité.

C’est à cette quête que vont s’atteler les chercheurs. Ils savent en effet que notre société est branchée au tout électrique et que les sources primaires (soleil, vent, eau, biomasse…) ne serviront plus qu’à cela: produire du courant. C’est ici qu’intervient l’équipe de Shanghai qui a imaginé un très petit microgénérateur – environ 1 micron d’épaisseur – qui convertit la chaleur libérée en courant électrique. La puissance atteinte reste très faible, moins d’1 nW (nanoWatt). Cependant, on peut envisager l’utilisation d’un tel dispositif dans les GSM, des montres connectées, etc. Même s’il reste de très nombreux développements pour rendre ces dispositifs utilisables quotidiennement, il faut souligner cette performance: l’énergie du soleil captée à un moment «t» en un lieu «l» pourra à l’avenir être utilisée en un tout autre endroit en un temps bien postérieur. Sans câble, sans batterie de stockage, sans émissions polluantes.

(1) Chip-scale solar thermal electrical power generation, Zhihang Wang et al., Cell Report Physical Science, Volume 3, Issue 3, March 2022.

(2) Le terawattan est l’équivalent de 8 766 terawattheures (nombre d’heures moyen dans une année).
Le wattheure correspond à l’énergie consommée par un appareil d’une puissance d’1 watt pendant une heure.
Le térawatt correspond à 1012 watts, soit 1 000 milliards de watts.

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