Espace

Grand-Duché,
n°1 du spatial en Europe

Théo PIRARD • theopirard@yahoo.fr

Thales Group, SES, O3b mPOWER, ESA

Savez-vous que le Grand-Duché de Luxembourg, qui compte 0,6 million d’habitants, est bien présent au-dessus de nos têtes ? Avec 61 satellites GEO (Geostationary Earth Orbit) – 49 en activité – et 20 satellites MEO (Medium Earth Orbit) pour les télécommunications, la télévision et les connexions haut débit, l’entreprise luxembourgeoise SES propose un service d’envergure globale. C’est le plus important opérateur de satellites mondial, ayant réalisé en 2019 un chiffre d’affaires de près de 2 milliards d’euros. SES projette la mise sur orbite d’une quinzaine de satellites au cours des 3 années à venir 

  
  

Grâce aux revenus de SES, le Luxembourg est devenu en 2005 membre de l’Esa (European Space Agency). Il contribue à son fonctionnement et ses programmes avec un budget de près de 30 millions d’euros. Soit quelque 50 euros par habitant ! À l’heure du phénomène New Space qui fait la part belle à l’initiative privée, il fait en sorte avec son initiative SpaceResources.lu et via le fonds d’investissement LuxImpulse que l’Europe renforce son entrepreneuriat dans l’espace. En accueillant des start‑ups innovantes pour des applications spatiales, en mettant des satellites nationaux au service de la sécurité européenne. En septembre 2018, le gouvernement grand-ducal mettait sur pied la Lsa (Luxembourg Space Agency), pour financer un plan d’action national pour un montant d’environ 200 millions d’euros durant la période 2020-2024. Ainsi l’incroyable réussite de SES a fait éclore des emplois et études à la mode spatiale. Le Luxembourg accueille d’ores et déjà des Pme intéressées par le développement de nouvelles technologies et applications sur orbite. 

  

1. Nombreux sont les bouquets numériques de chaînes Tv qui transitent par les satellites de SES.

2. SES exploite la constellation O3b pour des services haut débit avec les mobiles.

 

Le cœur de SES au Château de Betzdorf

En 1985, quand le Grand-Duché créa SES (abréviation de Société Européenne des Satellites), personne n’eût osé parier un franc (c’était encore l’ère des devises nationales) sur le succès de l’entreprise luxembourgeoise pour des satellites Tv en Europe. Aujourd’hui, depuis une infrastructure ultra-moderne près du Château de Betzdorf à une vingtaine de km de Luxembourg, SES gère une «flotte» de satellites géostationnaires de télécommunications et de télévision qui couvrent désormais l’ensemble du globe (voir photo 1)

Cette affaire risquée dans un pays d’affaires pourrait se conter comme une belle histoire. En pleine campagne, dans le domaine princier qui vit naître le Grand-Duc Henri il y a 65 ans, se mirent à fleurir des dizaines de corolles blanches. Visibles de loin dans le paysage rural, ces antennes paraboliques sont tournées vers le ciel jusqu’à des relais positionnés à quelque 35 800 km au-dessus de l’équateur. Misant sur un audiovisuel sans frontières, l’opérateur grand-ducal de satellites s’est doté de satellites de plus en plus performants pour diffuser des programmes Tv et radio à partir d’une trentaine de positions sur l’anneau géostationnaire. Depuis, il a déployé la constellation O3b (Other 3 billion) sur une orbite circulaire à plus de 8 000 km (voir photo 2).

SES, qui emploie à temps plein quelque 2 100 personnes de 80 nationalités différentes, diffuse 8 300 chaînes Tv à quelque 367 millions d’usagers, jusque sur les bateaux et les avions. Il a surtout compris très vite l’intérêt stratégique du numérique pour les médias, avec la compression des signaux pour les bouquets Tv, la télévision HD et 3D, l’échange de données à haut débit… Il a su faire preuve d’originalité et d’audace dans le choix tant de ses plates-formes de satellites que dans les systèmes pour leur mise en orbite. 

  

Le centre «back-up» à Redu-Libin

Ainsi, le 11 décembre 1988, le drapeau du Luxembourg flottait à l’entrée du Centre Spatial Guyanais à Kourou pour l’envol, à bord de la deuxième fusée Ariane 4, du satellite Tv Astra-1A, le premier d’une longue série pour l’opérateur grand-ducal. S’il est d’abord resté fidèle à Arianespace, SES joue la carte de la concurrence en étant le premier client des rivales d’Ariane. Le 9 avril 1996, pour Astra-1F, il faisait confiance au lanceur russe Proton, via la compagnie Ils (International Launch Service). Le 3 décembre 2003, avec le lancement de Ses‑8, il devenait le premier client commercial de SpaceX et fait régulièrement appel aux services de son Falcon 9, avec 1er étage réutilisable, à partir du Cap Canaveral.

La grande originalité de SES est d’avoir développé, au sein d’une équipe d’ingénieurs et de techniciens de haut niveau, sa propre expertise pour la définition, l’acquisition et la préparation des satellites, pour le choix et le suivi des services de lancement, pour l’élaboration et l’exécution des manœuvres de mise et de maintien à poste, pour les méthodes de gestion et les opérations de contrôle sur orbite… C’est sur le site de la station Esa de Redu (commune de Libin, province de Luxembourg), à présent rebaptisée Esec (European Space Security & Education Centre), que se trouve implanté le centre «back-up», dit de sauvegarde, pour les satellites de SES (voir photo ci-contre). Sa maintenance est assurée par Rss (Redu Space Services), une entreprise conjointe de SES Techcom et QinetiQ Space.

Bientôt, un satellite-espion luxembourgeois

Il est question de mettre en œuvre à l’Esec de Redu une partie essentielle du segment sol pour le système militaire LuxeoSys du Grand-Duché. Les autorités grand-ducales ont décidé d’acquérir un satellite d’observation haute résolution pour la production d’images stratégiques, qui répondront aux besoins de défense et sécurité européennes en montrant des détails du demi-mètre. Ce satellite de 645 kg, appelé Naos (National advanced optical system), a été commandé à la société italienne OHB-I pour un lancement en 2022. Il sera placé par une fusée Vega sur une orbite héliosynchrone à 450 km d’altitude. La Belgique est appelée à jouer un rôle clef dans l’exploitation de Naos avec son centre de traitement de l’imagerie spatiale à Evere, près de Bruxelles. Grâce à l’Esec de Redu, pour la programme de Naos et la réception des images: l’Esa se sert de son centre d’opérations en province de Luxembourg pour «piloter» les petits observatoires Proba.

Par ailleurs, depuis 2018, le Grand-Duché met en œuvre un satellite militaire de communications pour des services en Europe: le GovSat-1 made in Usa était placé sur orbite par un lanceur Falcon 9 de SpaceX. Il est exploité par la société luxembourgeoise GovSat dont les actionnaires sont le gouvernement grand-ducal et SES. Le système Govsat démontre que souplesse et réactivité constituent les atouts de l’esprit d’entreprise du Luxembourg dans l’espace. 

  

Mais encore…

Constellations belges pour la télédétection

De plus en plus, les activités humaines sont évaluées à la loupe depuis l’espace. Des satellites dotés d’une optique performante peuvent les observer dans les moindres détails et de façon régulière. Ce qui donne lieu à une avalanche d’infos qu’il faut traiter rapidement de manière efficace. Ce qui représente un marché de produits à valeur ajoutée.

Deux firmes en Wallonie, spécialisées dans le traitement des données spatiales, l’ont bien compris en investissant dans la mise en œuvre de groupes d’observatoires sur orbite. Spacebel (Liège), qui a contribué à l’intelligence des satellites Proba made in Belgium, met sur pied la filiale ScanWorld pour déployer dès 2023 plusieurs microsats équipés notamment de senseurs hyperspectraux. De son côté, Aerospacelab (Mont-Saint-Guibert), start-up pour développer des processus d’analyse géo-spatiale, s’est lancée dans le développement de systèmes spatiaux en vue d’une constellation d’une dizaine de petits satellites.

Nouvelles sentinelles pour le système Copernicus

L’Europe met à la disposition du monde scientifique ses satellites Sentinel pour la surveillance de l’environnement terrestre confronté au changement global. Les politiques du monde entier auront-elles le courage de tenir compte compte du caractère dramatique de leurs données ?

L’Esa vient de décider une flotte d’observatoires spécialisés dans l’analyse fine des composants et facteurs qui caractérisent l’effet de serre et modifient le milieu terrestre: le CO2M (Sentinel-7) concernant le gaz carbonique, le LSTM/Land Surface Temperature Monitoring (Sentinel-8) pour la mesure du réchauffement, CRISTAL/Copernicus Polar Ice & Snow Topography Altimeter (Sentinel-9) pour le suivi de la couverture glaciaire et neigeuse, CHIME/Copernicus Hyperspectral Imaging Mission for the Environment (Sentinel-10) pour des observations hyperspectrales du globe, CIMR/Copernicus Imaging Microwave Radiometer (Sentinel-11) pour la connaissance permanente du niveau des océans, mers et glaces, ROSE-L/Radar Observing System for Europe L-band (Sentinel-12) pour dresser l’état des éléments naturels. L’industrie wallonne est concernée par la réalisation d’instruments et équipements pour ces sentinelles qui seront lancés au cours de la décennie: le CSL (Centre Spatial de Liège), Thales Alenia Space, Amos, Spacebel, EHP (Euro Heat Pipes). 

Vols commerciaux avec le Crew Dragon

Alors que le transport aéronautique subit une crise sans précédent avec l’actuelle pandémie, l’accès à l’espace pour des privés (fortunés) prend forme grâce à SpaceX. Avec son vaisseau Crew Dragon lancé le 30 mai par sa fusée Falcon 9, l’entreprise commerciale de transport spatial a permis à 2 astronautes de la Nasa de séjourner 2 mois dans l’Iss (International Space Station). Le 2 août, on pouvait assister en live au splashdown, puis à la récupération de la capsule Endeavour. Celle-ci devrait servir à nouveau au printemps 2021 pour emmener un équipage de 4 astronautes, parmi lesquels le Français Thomas Pesquet pour l’Esa.

Ainsi les États-Unis qui, depuis l’arrêt des vols du Space Shuttle (navette) à la mi-2011, dépendaient du Soyouz russe, ont pu retrouver leur autonomie pour les missions habitées dans l’espace. Un autre Crew Dragon doit assurer la desserte de l’Iss fin octobre. La grande originalité tant du Crew Dragon que du Falcon est qu’ils sont partiellement réutilisables. Ce qui réduit leur coût de mise en œuvre. D’ores et déjà, SpaceX a annoncé la commercialisation de périples sur orbite, sans préciser leur prix…

  

Le petit satellite Proba-V permet tous les 2 jours de réaliser une image d’ensemble de la végétation. (Doc. ESA/VITO)

Testé près de Munich, l’observatoire Sentinel-6, à qui on a donné le nom du chercheur américain Michael Freilich (1954-2020), servira à mesurer le niveau marin sur l’ensemble de la Terre. (Photo ESA)

  

Vue d’artiste du satellite Sentinel-7 qui sera réalisé par OHB et Thales Alenia Space pour mesurer avec précision le dioxyde de carbone d’origine humaine dans l’atmosphère. (Photo ESA)

L’actuelle famille des observatoires Sentinel du système Copernicus mis en œuvre par l’ESA pour l’Union Européenne. (Doc. ESA)

  

Le vaisseau Crew Dragon de SpaceX ouvre bel et bien la voie aux vols privés dans l’espace. (…)

(…) Le voici lors de ses préparatifs au Cap Canaveral, puis après son retour dans le Golfe du Mexique. (Photos NASA/SpaceX)

Share This