Jessica Vanhaebost

J’ai tout de suite été passionnée en découvrant les romans de Patricia Cornwell, dans lesquels le personnage principal, Kay Scarpetta est médecin légiste. Je devais avoir 15 ans quand j’ai commencé à me renseigner sur les études qu’il fallait faire, après avoir écouté les récits captivants d’une amie de la famille, greffière au palais de Justice, qui avait assisté à des autopsies. Puis, lors de 2 journées professionnelles en rétho, j’ai pu suivre l’équipe de Professeur Boxho à L’Université de Liège, qui m’a confortée dans mon choix.

Il faut d’abord faire la médecine, à l’époque en 7 ans. Avoir suivi un cursus en sciences fortes en humanité est un avantage mais ce n’est pas indispensable. Il faut ensuite faire un master complémentaire de 5 ans de spécialisation en médecine légale, dont 1 an et demi en anatomie patho­logique (étude macroscopique et microscopique des pièces de résection chirurgicales en hôpital) et 3 ans et demi à temps plein en ­médecine légale. 

Il n’en existe pas en médecine légale. La plupart du temps, je suis à mon bureau à rédiger mes ­rapports ou en train d’analyser des dossiers médicaux (pour déceler les éventuelles erreurs du ­personnel ­soignant lorsqu’une personne porte plainte pour mauvais soins par exemple). Le mercredi, j’organise mes consultations «patients vivants», que je dois examiner, à la demande d’un magistrat, suite à une agression, un accident de voiture ou tout ­examen médical requis pour la Justice. Ces patients sont souvent étonnés de rencontrer un médecin légiste car ils ont la fausse croyance que nous ne nous occupons que des morts. Lorsque je suis de garde (une semaine par mois, 24h/24, 7j/7), je suis amenée à examiner une personne vivante, victime ou auteur d’une agression par exemple, ou encore de me rendre sur les lieux d’un décès suspect ou de nature indéterminée. Dans ce cas, c’est soit parce que le médecin ayant constaté le décès a des doutes sur sa nature ou que l’enquête de police révèle des circonstances nécessitant mon intervention. Cette «descente» est toujours réalisée en collaboration avec le laboratoire de police technique et scientifique.

Il s’agit d’un cadeau reçu à Saint-Nicolas: un «bonhomme» anatomique à reconstituer. Une sorte de maquette humaine en somme. Je ne devais pas avoir plus de 10 ans à l’époque mais j’étais déjà fascinée par l’anatomie du corps humain. Par la suite, c’est surtout le côté enquête, et peut-être un peu de curiosité morbide, qui m’ont poussée encore un peu plus dans cette voie.

Les semaines de garde sont très variables. ­Parfois, sur la semaine, les nuits sont courtes et les ­journées longues, car nous sommes appelés très ­souvent. Il est ensuite très difficile de se ­reposer ou de se concentrer par la suite. Le plus difficile pour moi reste les catastrophes de masse, comme l’accident de car de Sierre ou, plus récemment, les attentats de Bruxelles, où la charge émotionnelle et le désir de bien et vite faire étaient omniprésents.

Je me suis formée 2 ans en Suisse, plus préci­sément au Centre Universitaire Romand de ­Médecine Légale à Lausanne, où j’ai pu faire une mini-spécia­lisation en imagerie forensique, c’est tout ce qui concerne les examens radiologiques des ­personnes décédées. Dans ce cadre, j’ai pu apprendre énormément et ramener mes connaissances aux Cliniques Universitaires Saint-Luc, où plusieurs projets de recherche vont être mis en route dans les mois qui viennent. À l’époque, j’ai participé à la rédaction de plusieurs articles scientifiques et d’un chapitre de livre pour un musée: «Anatomies – De Vésale au virtuel», aux Éditions BHMS. Une autre petite fierté… 

Être médecin légiste, c’est avant tout une vocation. Ce n’est pas un métier facile ni exercé par défaut car il faut avoir le cœur bien accroché et ne pas avoir peur de faire des heures supplémentaires. Tous les patients sont différents, toutes les ­histoires aussi, ce qui en fait vraiment une profession très variée. Malgré tout, beaucoup de frustrations ­émanent du financement de la justice pour les ­différents frais que la médecine légale génère. Bien qu’elle soit indispensable, ce métier ne rapporte pas beaucoup d’argent. On est loin du mythe du médecin riche !

J’hésite entre écrivain et inspecteur de police. En effet, j’adore lire, j’adore les enquêtes et je suis très curieuse. Je ne pourrais pas m’éloigner de la justice car c’est un monde fascinant, autant que la médecine et le corps humain.

La téléportation, tellement les trajets à Bruxelles deviennent compliqués. Je mets parfois 1h40 pour aller examiner un défunt à Uccle si je suis appelée pendant l’heure de pointe. C’est un peu terre à terre comme superpouvoir, mais j’en profiterais également pour aller me relaxer de temps à autre sous les tropiques évidemment.

J’aimerais éveiller les étudiants en médecine sur les droits des patients et sur l’utilité de réaliser des autopsies en milieu hospitalier. En effet, les médecins demandent eux aussi, à l’instar de la Justice, de moins en moins d’autopsies. Probablement pour ne pas perturber le deuil de la famille; mais il serait nécessaire de mieux comprendre la mort pour mieux soigner le vivant.

Sans hésiter, l’imagerie forensique ou ce qu’on appelle aussi, l’autopsie virtuelle. C’est un domaine en plein essor qui apporte beaucoup à l’autopsie conventionnelle mais qui reste encore très peu développé en Belgique. Mon objectif est de développer, à Saint-Luc, une méthode d’angio­graphie fœtale post-mortem afin de mettre en évidence les malformations vasculaires, mieux comprendre les causes de décès intra-utérin et in fine, mieux préparer les prochaines grossesses.

J’attends qu’on invente les «lunettes-scanner», qui permettraient de faire un premier examen radiologique du corps, rapidement, avant l’autopsie. On gagnerait du temps.Je vous offre un billet d’avion…

Pour le boulot, je me rends au Mexique, il paraît qu’ils ont une criminalité au plafond (jusqu’à 30 meurtres par jour). Mais j’aimerais aussi découvrir d’autres cultures, et pour cela, l’Australie et le Japon me semblent des pays enrichissants.

Je voudrais rencontrer William Bass. C’est un anthropologue américain qui a fondé la «ferme des corps» (Patricia Cornwell a d’ailleurs écrit un roman portant ce titre). Cette ferme a permis des avancées sur l’étude des stades de putréfaction des corps humains et de leur identification.

Pas du tout ! On a besoin de beaucoup de lumière pour voir ce qu’on fait, et on passe clairement plus de temps avec des personnes vivantes. Malgré tout, dans les séries télé, les légistes sont beaucoup plus impliqués dans l’enquête et ça fait un peu rêver…