Biologie

Bio News

Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

© Ravindra Joisa – stock.adobe.com, © yodiyim – stock.adobe.com, © hhelene – stock.adobe.com, Human  Rights Watch, © Pcess609 – stock.adobe.com, © Oleg Znamenskiy – stock.adobe.com

 
Clôtures problématiques

On ne peut en aucun cas imaginer, dans notre pays et assez largement en Europe, le maintien de troupeaux sans enceindre leur zone de pâturage d’une clôture. L’objet n’est pas tant de s’assurer que le bétail est bien à l’abri que de l’empêcher d’aller empiéter sur le territoire des autres. Sauf qu’il existe de nombreux endroits dans le monde où les espaces sont tels que les troupeaux, généralement de grande taille, peuvent brouter l’herbe au gré d’une avancée simplement coordonnée par des gardiens, humains et canins. Les plateaux asiatiques, comme ceux du Tibet, en font partie, même si l’usage des clôtures a tout de même commencé à se répandre depuis une trentaine d’années. Le problème est que la taille des troupeaux et les températures qui y règnent ne sont pas favorables à une conservation en suffisance du végétal nutritif, ni à son renouvellement rapide. Résultat: un appauvrissement de la steppe.

Une prise en charge est donc envisagée pour éviter d’atteindre un point de non-retour dans ce surpâturage. Des scientifiques ont par conséquent établi une cartographie des clôtures, en prévision de leur durée de mise en place. Ils ont ensuite établi l’état de conservation et de reconstitution de la végétation au gré de la limitation des zones pâturées. Ils ont également mesuré les effets de ces barrières artificielles sur la faune sauvage de cet environnement: les gazelles tibétaines, les yaks et les ânes, pour l’essentiel. Enfin, ils ont interrogé les habitants pour évaluer l’impact des clôtures sur les habitudes de vie surtout nomades. Ce qui en ressort, c’est que l’effet bénéfique – tous critères confondus – est inversement proportionnel à la durée d’implantation de la clôture. Plus souvent on les déplace, plus l’effet sur la vigueur de la végétation est significatif et moins les effets secondaires indésirables sont marqués. Cela tombe après coup un peu sous le sens; encore fallait-il le valider scientifiquement, chiffres à l’appui. C’est désormais fait.

Cette technique du pâturage temporaire n’est pas rare. Dans le Beaufortin par exemple (région de Beaufort connue pour son fromage à pâte dure), les vaches de races Abondance et Tarine (ou tarentaise) ne peuvent séjourner que pendant une durée réduite dans les prairies qui leur sont réservées, l’intention étant de leur faire profiter d’une herbe toujours fraîche; une imposition reprise d’ailleurs dans le cahier des charges de l’appellation Beaufort. On n’en est pas là au Tibet, mais l’intention est sans conteste apparentée.

   Sci. Bull. 10.1016/j.scib.2020.04.035 et Science 368: 963

Lequel de nos organes est capable de se renouveler durant toute notre vie ?

Le foie ! S’il est plutôt à renouvellement lent, il  peut tout de même se renouveler tout au long  de notre vie. Rappelons que de manière  générale, tous nos tissus vieillissent en même  temps que nous, sauf les organes. L’épithélium  (couche cellulaire interne) du  tube digestif par exemple se renouvelle tous  les 5 jours, les cardiomyocytes (cellules  cardiaques) au rythme de 1% par an  seulement.

À quoi tient l’étrange singularité du foie ? Sa  partie active repose sur des lobules,  ensembles structurés de forme globalement  hexagonale avec une veine centrale, des  veines portes aux 6 angles et entre les 2,  3 types de cellules actives, les hépatocytes.  Globalement, chez l’adulte, le temps de  renouvellement de celles-ci est de 3 ans. Sauf  qu’avec l’âge, une partie croissante d’entre  elles gagne en ploïdie. Plutôt que de posséder,  comme la plupart des cellules  humaines, l’équivalent de 46 chromosomes,  elles en acquièrent le double, sinon plus. Ce  signe de «vieillissement» est-il un handicap  pour la fonction hépatique ? Bien que les  résultats des études soient parfois  contradictoires, il semble bien que non: qu’il y  ait l’équivalent d’1, de 2 ou 3 noyaux (= la  polyploïdie) ne change rien à la faculté  proliférative. Et c’est tant mieux parce que  chez l’homme adulte, les cellules polyploïdes  constitueraient 60 à 70% de l’ensemble; soit  une majorité.

Si le foie vieillit tout de même, c’est donc par  ses autres constituants. Le réseau circulatoire  en fait partie, permettant la sortie des produits  de dégradation opérée par l’organe.  Eh bien, là non plus, apparemment pas de  vieillissement accéléré avec l’âge ! Les cellules  endothéliales (ou internes) des vaisseaux du  foie, comme partout ailleurs, sont en  permanence jeunes. L’adage «on a l’âge de ses  artères» est donc à revoir; pour le foie en  tout cas. Une étude reposant sur l’usage  d’isotopes, a montré que l’ensemble de  l’organe, quel que soit le compartiment  concerné, n’a pas plus de 3 ans en moyenne.  Cela n’empêche tout de même pas un  infléchissement de la courbe de  renouvellement cellulaire avec l’âge; si le  remplacement annuel des cellules hépatiques  est de 19% chez un homme sain de 25 ans, il  est encore de 17% de 50 à 75 ans.

Cela ne signifie en aucun cas que l’exagération  soit de mise. S’il est capable de  se renouveler à un rythme moyen de 3 ans, le  mener à une surcapacité finit par l’user  complètement. Une seule solution: la  modération ! 

   Médecine/sciences 2022,11: 864-866

Un tueur sournois

Tous les amateurs de romans noirs et d’histoire connaissent l’arsenic, et plus exactement ses effets. Sous plusieurs formes chimiques (le trioxyde – As2O3 – étant la plus populaire chez les empoisonneurs), il était réputé pour être un puissant accélérateur de mort prématurée à tel point que la presse populaire l’a un temps appelé «la poudre de succession»; certains héritiers potentiels trouvant le temps un peu long. Quelques procès d’assise en ont également fait le centre des débats, de même que certaines pratiques douteuses mises en œuvre chez les Romains (on se souvient d’Agrippine, mère de Néron) et chez les Borgia, plus près de nous, à la Renaissance.

Avec ce produit minéral naturel gris et sans saveur, tout est affaire de dosage. Depuis l’Antiquité, l’arsenic est utilisé dans la pharmacopée où on a donc pu se le procurer sans grande difficulté pour les usages requis et parfois d’autres moins avouables. Et s’il en est encore question aujourd’hui, c’est que dans certaines régions du monde, il contamine l’eau des puits. C’est sans objet réel en Europe, mais c’est un problème majeur dans plusieurs pays asiatiques comme le Bangladesh. Il faut savoir que plus on puise, plus on accélère la dissolution de la roche qui libère ses différents constituants solubles, dont l’arsenic.

La problématique est bien connue mais le besoin vital étant ce qu’il est, cette eau reste la seule solution pour toutes les populations pauvres qui n’ont accès à aucune autre source. On considère généralement qu’une concentration de 10 microgrammes par litre est un maximum autorisé pour éviter le surdosage et les effets néfastes. En Europe, la norme a été diminuée de moitié par sécurité, voire au dixième (Pays-Bas). Or, dans plusieurs pays asiatiques, la concentration permanente peut être supérieure à 50 microgrammes par litre, voire plus. Or, si à très faible dose l’arsenic peut s’avérer tonique, il a tous les défauts d’un toxique à long terme à des concentrations supérieures, toutes les fonctions vitales pouvant en faire les frais, à tous les âges, dès la conception. En résultent une mortalité infantile, des altérations de l’ADN et du système nerveux et, plus tard, des atteintes progressives des différentes fonctions essentielles, notamment immunitaires, ainsi qu’un développement de cancers touchant la plupart des organes.

Connaître le problème ne suffit évidemment pas: il attend une solution. Le premier pas est une cartographie planétaire des zones à risque. Elle a intégré 11 paramètres géospatiaux et 50 000 points de prélèvements sur toute la planète habitée, ce qui a permis d’établir un premier cadastre. C’est en Asie (94%) que se trouvent les puits dont les eaux sont les plus contaminées. Cela donne 94 à 220 millions d’habitants directement concernés. Le relevé étant dorénavant effectué, il reste à avertir les personnes à risque, les aider à effectuer des prélèvements de contrôle et au besoin, à trouver des alternatives. Là, ça devient une affaire politique. Et c’est souvent là que naissent les problèmes et les retards de mise en œuvre.

   Science 368: 818-819 et 845-850

Les bourdons ont du mordant

Sujet qui revient régulièrement dans les médias: y aura-t-il encore assez d’insectes pollinisateurs pour aider les végétaux à produire ce que l’on attend d’eux, légumes et fruits ? La question, bien qu’annuellement itérative, a des bases objectives à en juger au nombre d’insectes qui semble effectivement diminuer. Les causes sont suffisamment évoquées que pour y revenir en détail. Ce que le discours oublie, c’est que si les plantes ont besoin de l’intervention des insectes pour être fécondées, les insectes ont besoin du pollen pour alimenter leur colonie, l’opération étant à bénéfice mutuel. Et si on veut que les pollinisateurs déjà en réduction numérique subsistent, il faut qu’ils trouvent une alimentation à hauteur de leurs besoins trophiques. Et s’ils ne la trouvent pas, se résolvent-ils à se laisser mourir de faim ? C’est mal les connaître. Parce que tout insectes qu’ils sont, ils ont trouvé le moyen d’activer le métabolisme végétal pour que la floraison soit un peu plus rapide. Ce sont des chercheurs suisses qui ont trouvé l’astuce, dont il n’est pas dit que les agriculteurs, horticulteurs et floriculteurs ne vont pas retirer quelques enseignements utiles.

Faute de fleurs à butiner, on a remarqué en effet que les bourdons s’attaquaient aux feuilles, alors qu’ils ne sont pas réputés phytophages. Punition ? Pas vraiment, et on va voir l’utilité. Les bourdons étudiés tant en laboratoire qu’en espace ouvert se contentent, à l’aide de leurs mandibules, de faire 10 à 20 petits trous élargis d’une tout aussi petite découpe dans les feuilles tendres sans en emporter le moindre morceau. Ce faisant, ils créent un stress pour la plante qui ne trouve qu’une parade à offrir: accroître sa croissance pour, sans doute, se rendre plus forte et mieux résister à l’attaque. Résultat: elle accélère l’apparition des fleurs qui peut être anticipée d’une vingtaine de jours ! Sacrément malin, ce bourdon ! Et que l’on n’imagine pas que les plantes «activées» sont de banales adventices. Ce que les scientifiques ont observé, c’est la réaction de 4 plantes parmi les plus fréquentes de nos potagers et jardins, dont la tomate et le chou.

Difficile de ne pas voir dans l’attitude du bourdon quelque chose qui ressemble à un acte réfléchi. Pourtant, ce qu’il fait résulte d’une succession d’actions du genre essai/erreur, l’une d’entre elles ayant donc mené à une anticipation de la floraison attendue et donc aussi, à une probable synchronisation de l’apparition florale et du moment où elle a le plus d’impact, tant pour la plante elle-même que pour les colonies d’insectes sociaux. La plante y a gagné en vigueur, le bourdon en alimentation. Je ne doute pas un instant que quelques jardiniers avisés vont y trouver une bonne idée à exploiter !

   Science 368: 881-884 

Un cycle d’un nouveau genre

Ceux qui ont fait ne fût-ce qu’un peu d’écologie pendant leurs études ont immanquablement abordé le cycle de l’azote et du carbone. Ils participent l’un et l’autre au cycle global de la vie participant au passage et avec le temps, à l’élaboration d’une foule d’intermédiaires, qu’ils soient inertes, végétaux, animaux et bien entendu humains. On ne peut plus aujourd’hui ignorer un autre cycle, lié cette fois à l’activité humaine: celui des microplastiques. En marge des déchets en tous genres (bouteilles, barquettes, etc.) auxquels ils participent, les plastiques peuvent aussi se montrer plus discrets dans l’environnement en raison de leur taille. Une particule appartient au groupe des microplastiques dès que sa taille et inférieure à 5 mm. C’est dire qu’à certains niveaux (de l’ordre du micron, soit du millième de millimètre) elle n’apparaît plus du tout à l’observation directe, ce qui ne l’empêche pas d’exister, et même massivement. En cause, leur poids très faible qui en fait un polluant emporté plus loin que les grains de limon ou de sable (du Sahara ou d’ailleurs). N’en retrouve-t-on pas aujourd’hui dans les carottages opérés dans la calotte glaciaire des pôles ? Par temps humide, ces particules s’écartent en revanche assez peu de leurs zones d’émission préférentielle: soit des villes et de leur périphérie.

Ce qui interpelle les biologistes, c’est que ces particules parmi les plus petites participent dorénavant à des cycles comme ceux de l’azote et du carbone évoqués plus haut. Nous y avons notre part, au titre d’intermédiaires; parce que nous les avalons (avec une nourriture qui en contient) ou parce que nous les respirons. Il est vraisemblable que nous en éliminons par nos voies d’excrétion habituelles, mais qu’une partie finit par rester durablement dans nos tissus et même dans nos cellules. C’est forcément la même chose pour les végétaux et les animaux. Et quand ceux-ci participent à notre alimentation, ils constituent des fournisseurs privilégiés.

Que l’on n’imagine pas que les quantités sont dérisoires; puisque les plastiques sont pour la plupart non biodégradables, ils ont tendance à s’accumuler, quitte à se fragmenter tout de même avec le temps, le rayonnement solaire, les alternances de température et le lessivage par les précipitations. Résultat: on estime par exemple à 122 t la quantité de microplastiques qui se retrouvent, chaque année, dans les zones protégées de l’ouest américain. Cela représente, pour les mêmes zones un dépôt journalier moyen de 132 particules par mètre carré. Cela commence non seulement à faire beaucoup, mais comme on en retrouve désormais partout, ces matières finissent par participer à la vie elle-même. Un comble !

Imaginer que l’on va pouvoir s’en débarrasser définitivement semble désormais appartenir à la science-fiction, ce qui ne signifie pas pour autant que la vie soit menacée. Il est important de limiter au plus tôt la production de la part des plastiques non dégradables, mais il est plus que probable que l’on en trouve des microfragments dans les parois cellulaires des bactéries et, pourquoi pas, de nos propres cellules. S’ils ne déclenchent pas d’altérations cellulaires ou biochimiques (on pense bien entendu à l’ADN), il n’y a pas trop lieu de s’en inquiéter. Dans l’alternative, on saura assez tôt à quoi s’attendre. Et, avant longtemps, on voit mal comment s’en débarrasser…

   Science 368: 1184-1185 et 1257-1260 
 
 

BIOZOOM

Digne d’un paysage lunaire de film de science-fiction, le désert blanc et sa montagne de cristal est un trésor bien méconnu caché au cœur du Sahara, en Égypte. Dans cette région de la dépression de Farafra, les températures grimpent à plus de 45 °C où le vent souffle, sculptant les roches en formes étranges et balayant les dunes immaculées. L’on pourrait croire à s’y méprendre qu’il s’agit de neige mais la sable blanc doit sa couleur à sa composition: le calcaire. Ce parc national de plus de 3 000 km2 vaut tout autant le détour les géométriques et célèbres grandes pyramides !

Share This