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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

© aurorecar – stock.adobe.com, © Michal – stock.adobe.com, © Pee Paew – stock.adobe.com, © troyanphoto – stock.adobe.com, © Biozoom/PNAS –    https://doi.org/10.1073/pnas.1118386109

 
Des cultures, entre potes

Des associations salutaires entre plantes sont connues depuis longtemps et on se demande bien pourquoi les plus vastes cultures sont toujours monospécifiques aujourd’hui. Question de rendement d’abord par unité de surface, de tri sélectif à opérer ensuite entre la plante d’intérêt économique et celle qui lui donne juste un «coup de main» pour booster sa croissance. Pour le jardinier, la mise en application est sans doute plus facile et cette mixité mène à une gestion qui est nettement plus à dimension humaine.

Une des associations, peut-être la plus visible, est celle qui met en présence, en été, le blé et le coquelicot (Papaver rhoeas); elle est de nature à émouvoir le photographe en quête de couleurs contrastées quand, sous un ciel du bleu le plus pur, les corolles rouge-sang se détachent à merveille sur l’or des blés mûrs. Reste après à l’agriculteur à séparer ce qui s’apparente au bon grain d’une part, à l’ivraie de l’autre. Mais à y regarder de plus près, il peut apparaître que cette association qui peut sembler au novice contre nature, soit tout de même bénéfique.

Pour les 2 plantes évoquées – le blé et le coquelicot – des chercheurs ont pu mettre en évidence un réel bénéfice au niveau racinaire. Si rien n’est modifié fondamentalement dans la composition microbienne du sol on note, au niveau racinaire des blés, une densité nettement plus élevée de champignons (des hyphes) dont on sait qu’ils peuvent favoriser une meilleure assimilation des éléments nutritifs par la plante; d’où une croissance potentiellement accrue.

Ce qui est vrai pour le coquelicot ne l’est pas nécessairement pour toutes les adventices, communément qualifiées de «mauvaises herbes». Mais, exemple à la clé, il semble qu’elles ne soient pas toutes si mauvaises que cela. Les jardiniers un peu documentés ou observateurs savent en effet que certaines associations, en rangs alternés par exemple, permettent non seulement une croissance meilleure, mais aussi des attaques moins fréquentes par des parasites divers. Le tout est de connaître le bon compromis. Pour le jardinier, c’est affaire d’expériences dans le registre de l’essai/erreur. Pour l’exploitant agricole, c’est plutôt un changement de paradigme dans la pratique professionnelle. Et ça, pour que ça change, il faudra encore du temps, si toutefois cela arrive un jour !

   J. Ecol. 10.1111/1365-2745.14073 (2023)

Peut-on vacciner des abeilles ?

La loque évoque le plus souvent, pour un  Belge, le nettoyage. Mais celle dont il est  question ici est d’un tout autre genre. La  loque, c’est également le nom (étrange !)  donné à un parasite de l’abeille. Il en existe en  réalité plusieurs espèces dont la virulence  peut faire des ravages dans les ruches et dont  la présence doit donc être débusquée aussi  vite que possible. Dans les pays européens,  cette loque-là s’appelle Melisococcus  plutonius. C’est une bactérie gram positive qui  s’attaque aux couvains dès leur  émergence et les fait mourir en général  quelques jours plus tard. Les larves d’abeille  peuvent cependant y résister et devenir des  adultes porteurs qui entretiennent la présence  du pathogène. À l’exception de  quelques régions où la contamination pose de  réels problèmes aux ruches et, par effet  immédiat, aux apiculteurs, seule une faible  partie des larves est concernée, ce qui ne  compromet pas, a priori la survie des colonies.

La loque américaine est non seulement une  espèce différente (Paenibacillus larvae), mais  elle semble surtout beaucoup plus  contagieuse. À un point tel qu’en fonction des  dégâts causés par cet indésirable, une firme  pharmaceutique a mis au point un vaccin  pour en éradiquer l’extension. Il a été élaboré  à partir d’extraits de la bactérie elle-même. On  en est actuellement au stade des premiers  essais dans le milieu naturel. Il revient aux  éleveurs de pulvériser ce traitement à  l’intérieur des ruches et sur leurs habitants et  de l’ajouter à la gelée royale qui sert d’aliment  de base aux couvains. Et ce n’est pas tout: pour s’assurer que les bactéries sont bien  éliminées, il reste à brûler les ruches  infectées, même si elles contiennent encore  leurs habitants résiduels. La guerre engagée  est donc totale, mais l’éradication de la  maladie semble être à ce prix. Ce vaccin est le  premier à être réservé aux abeilles. On verra, le temps aidant, s’il s’avère aussi efficace  qu’espéré.

   Science, 2023, 379 : 122

Du ventre au cerveau

La maladie d’Alzheimer est une des maladies  neurodégénératives les plus fréquentes. Elle concernerait pour l’essentiel 6% des plus  de 65 ans, même si un faible pourcentage  d’incidence concerne également des  personnes plus jeunes. On en connaît  suffisamment les symptômes que pour ne pas  les détailler encore une fois ici. La cause de  l’altération des fonctions neuronales tient à l’accumulation sur et entre les neurones de  plaques bêta-amyloïdes associées à la  protéine fibrillaire Tau, ainsi que de  l’apolipoprotéine E (APOE), l’ensemble  menant à la mort progressive des neurones  concernés. À ce jour, la maladie reste sans  traitement efficace, mais des pistes se  dessinent, qui prennent parfois une allure  pour le moins particulière. Pour preuve la recherche récemment menée chez la souris  qui a porté sur… la microflore intestinale.  Encore elle ! Pour tout anatomiste même  débutant, il semble a priori difficile d’établir  un lien entre l’un et l’autre. Et pourtant… 

Sans entrer dans le détail des arcanes  biochimiques, on a remarqué qu’un lien existe  bien, pour autant que la souris  concernée possède une des isoformes  particulières de l’APOE: APOE4. En revanche,  des essais menés chez les porteuses de la forme 3 ne paraissent que peu, voire pas  concernées par la dégénérescence neuronale.  Des chaînes courtes d’acides gras produites  par la microflore intestinale semblent activer  des cellules du système immunitaire  périphérique qui répondent en produisant des  substances (des cytokines, vectrices de  signaux intercellulaires) qui passent dans le  sang puis, via le réseau circulatoire, dans le  cerveau où l’atteinte des neurones, médiée  par la protéine Tau modifiée, commence. Cela  ne fonctionne, je l’ai dit, que si une isoforme précise de l’APOE est présente.  L’atteinte concernerait aussi préférentiellement les souris femelles, ce  qui semble indiquer une médiation  hormonale ou celle de cellules sous dépendance oestrogénique.

Ce premier constat est double: il cible un point  de départ (la microflore intestinale) jusqu’ici peu exploré dans ce  contexte pathologique et une prédisposition à  la maladie chez les souris porteuses de  l’APO de forme 4. Une prévention par  identification de cette dernière est déjà  envisageable. Reste, la microflore. Les  chercheurs ont eu l’idée de la supprimer  anticipativement par un traitement  antibiotique ciblé. Et là: rien; plus de  symptômes ! Est-ce à dire que LA solution a été trouvée ? C’est évidemment aller un peu  vite. D’abord il s’agit d’expériences menées sur  un modèle murin et pas chez la femme ou  l’homme. Il existe un gouffre dans le mode de  vie de l’un et des autres, ainsi que dans leur  développement cérébral. Ensuite, comme  tend à le monter l’incidence différentielle  entre le 2 sexes, d’autres facteurs  biochimiques sont vraisemblablement à  incriminer et à explorer. Faut-il le rappeler,  l’évocation faite ici est un raccourci pour éviter  d’entrer dans des détails complexes qui  rendraient la lecture trop ardue. Cette maladie  de l’âge qu’est l’Alzheimer reste une  source d’angoisse pour nombre de personnes  vieillissantes, chez 6% desquelles, donc, elle  provoque une lente érosion des aptitudes  cognitives et de mémorisation. La simple  usure du temps n’est pas neutre à ces niveaux  et n’implique pas nécessairement la pathologie évoquée. Il n’y a pas de lien  avéré entre la seule perte progressive de  mémoire à court terme liée à l’âge et  l’émergence de l’Alzheimer… 

   Science, 2023; 379: 142-143 et 155

La chasse au sommeil

Une de maladies endémiques de l’Afrique sub-saharienne est la maladie du sommeil. Si la  seule évocation du nom peut faire sourire ou  rêver en première intention les insomniaques,  elle est beaucoup moins drôle dans la réalité.  Il s’agit en réalité d’une trypanosomiase (voir  photo), le vecteur (un trypanosome, donc)  étant transmis aux humains et aux bovins  surtout par des mouches piqueuses, les  glossines (Glossina morsitans et fuscipes,  principalement). Si pour les humains des  traitements existent, ce sont les bovins qui  paient le plus lourd tribut. On estime à  3 millions le nombre de ceux qui meurent de la maladie chaque année – parfois après  une seule piqûre – menant la perte à un  montant estimé à l’équivalent de 1,2 milliard  d’euros. Comme souvent en pareil cas, l’idée  est de faire en sorte que mâles et femelles de  glossines soient leurrés et ne puissent se  rencontrer et donc se reproduire. Cette stratégie n’est pas absolue mais,  plusieurs expériences l’ont montré, peut mener à une réduction significative des  populations.

Pour cela, il faut commencer par identifier, si  elles existent, les phéromones, ces substances  attractives produites par les  femelles pour attirer les mâles. C’est ce qu’a  fait une équipe de biologistes. Ils en ont  identifié trois, la plus active étant le méthyl  palmitoléate (MPO). En imprégner un leurre  suffit à attirer un mâle en 0,15 +/- 0,02 minute  soit, en clair, quelques secondes. C’est dire  l’efficacité de cet attractif pourtant libéré en  très faible quantité. L’identification étant faite,  l’idée est ensuite de produire la molécule en  grande quantité et d’en «parfumer» des pièges  dans lesquels les mâles abusés viendront se  faire prendre. Moins de mâles, moins  d’accouplement et donc moins d’œufs et de  jeunes. Si l’efficacité a peu de chance d’être absolue, on peut espérer sa réduction,  ce qui permet au passage de faire l’économie d’insecticides à large spectre qui  sont toujours d’usage aujourd’hui encore. En marge de leur recherche, les scientifiques  ont également noté qu’une femelle infectée  de trypanosomes produit moins d’attractif;  comme si cette production devenait  secondaire. On a enfin noté, sur les antennes  où se trouvent les récepteurs aux odeurs chez  la glossine (comme chez la plupart des  insectes), des neurones hautement spécifiques et sensibles à  2 substances émises par les bovins (le 1-octen- 3-ol et le 4-méthylphénol); ce qui explique la  très haute spécificité dans la recherche des cibles.

La suite appartient encore à la recherche et à  la mise en œuvre de la stratégie la plus efficace. Pour nombre de glossines, le  glas semble néanmoins bien près de sonner…

   Science, 2023; 379: 638-639 et 660

Groupe de Nez-Percés connu sous le nom de «la bande de Chef Joseph», Lapwai, Idaho, printemps 1877.

Premiers ancêtres… ou pas

L’arrivée présumée des premiers hommes sur le territoire de l’actuelle Amérique du Nord ne fait plus problèmes pour de nombreux spécialistes. Il y a 18 000 ans, profitant du fait que le détroit de Béring était pris par les glaces (c’était lors de la glaciation de Würm qui s’est terminée il y a 12 000 ans environ), des hommes seraient venus de l’actuelle Sibérie et auraient progressivement envahi, en l’espace de quelques millénaires, le vaste territoire s’ouvrant à eux.

Cela n’empêche pas que (re)fleurissent régulièrement quelques théories alternatives qui viennent pimenter quelque peu le débat sur ces origines lointaines. L’une d’entre elles est d’occurrence récente. Elle repose sur la découverte, dans le lit d’une rivière de l’Idaho, de pointes de flèches dont la facture serait proche de celle d’artefacts du même genre identifiés sur le territoire de l’Est asiatique. Selon l’auteur de cette théorie, les pionniers ne seraient pas venus à pied sur les glaces, mais par bateau en faisant du cabotage le long des côtes gelées. Ce faisant, ils auraient trouvé une première embouchure de fleuve navigable, dans laquelle ils se seraient engagés. C’est celle de la Columbia River. Il s’agit d’un des plus grands fleuves américains (long de 2 000 km) qui parcourt surtout le nord de l’État évoqué, à la limite de la frontière actuelle avec le Canada, au sud de Vancouver. Une colonie se serait implantée là, donnant naissance à la population des Nez Percés. Ils auraient construit un village qui, dans la tradition des indiens actuels, se serait appelé Nipéhe. Un nom qui, aujourd’hui, est devenu Cooper’s Ferry.

C’est sur le site de cette implantation que les pointes de flèches en silex ou autres minéraux durs ont été découverts. On a bien entendu tenté d’emblée de les dater, ce qui a été rendu possible grâce aux vestiges d’os animaux exhumés à côté. Et le résultat semble fixer ces vestiges assez finement entre 16 000 et 15 600 ans d’ici.

Or, jusqu’à présent, il était plus ou moins accepté que les premiers colons seraient arrivés environ 2 000 ans plus tôt. Des archéo-anthropologues émettent donc l’idée, sur base des récentes découvertes, que cette datation serait à revoir, ainsi que les moyens utilisés par ces pionniers pour arriver sur le continent américain: ce serait le cabotage, même avec des embarcations de fortune, plutôt qu’une marche longue et épuisante sur les glaces de Béring.

Comme toujours en pareil cas, la polémique ouverte va faire long feu entre partisans et opposants. Avant que d’autres découvertes de vestiges ne viennent relancer le débat sur des pistes alternatives. Contre toute attente, la science portant sur le passé lointain est étonnamment vivante !

   Science, 2023, 329: 15 
 
 

BIOZOOM

Scrat l’écureuil a trouvé un trésor: le fruit d’une plante inconnue enterré dans la glace par un congénère prévoyant ! C’est un scénario que l’on aurait pu voir dans l’Âge de Glace et qui s’est réellement sans doute produit ! Grâce à ce fruit congelé, Silene Stenophylla, une plante de Sibérie vieille de 32 000 ans, a pu être ressuscitée. Des chercheurs sont en effet parvenus à prélever du tissu placentaire sur 3 fruits immatures, qu’ils ont réussi à faire croître pour obtenir des pousses et plantées. Élevées en labo, les plantes adultes ont donné des fleurs qui, pollinisées avec du pollen découvert à côté des graines, ont donné des fruits. Et leur génotype est bien distinct de la plante que l’on connaît aujourd’hui. 

Pour en savoir plus:

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