Chimie

Tatouage intelligent : la couleur contre le GHB

Milan VANDER WEE-LÉONARD • milan.vdwl@gmail.com

© s-motive – stock.adobe.com

Chaque année, des milliers de personnes sont victimes de soumission chimique, utilisées pour neutraliser leur vigilance et faciliter des agressions. Ces substances, comme le GHB (gamma-hydroxybutyrate), sont incolores, inodores et insipides, ce qui les rend invisibles dans un verre de cocktail ou de bière. Une petite dose suffit à provoquer somnolence, confusion, amnésie, voire perte de conscience. Face à ce problème de santé publique, des chercheurs coréens ont développé une innovation prometteuse: un tatouage-sticker qui change instantanément de couleur en présence de GHB. Présentée en 2025 dans ACS Sensors, cette technologie combine chimie de pointe, matériaux souples et design discret pour offrir un outil de prévention inédit (1).

 
À faibles doses, le GHB est utilisé comme anesthésiant ou traitement de certains troubles neurologiques. Mais détourné, il devient une arme chimique redoutable. Les analyses permettant de le détecter (spectrométrie de masse ou spectroscopie RMN (2)) ne sont accessibles qu’en laboratoire et ne préviennent pas l’intoxication. Le tatouage imaginé par les chercheurs vise à apporter une alerte immédiate, avant même qu’une boisson suspecte ne soit consommée.

Ce capteur, discret et portable, repose sur un film de polydiméthylsiloxane (PDMS – un silicone particulier), recouvert d’un gel d’agarose (gel à base d’agar-agar) contenant la molécule réceptrice, l’iodure de 2-(3-bromo-4-hydroxystyryl)-3-éthylbenzothiazol-3-ium (en bref, le BHEI). Au contact du GHB, le BHEI interagit avec des liaisons hydrogène (ponts H), modifiant sa structure. Cela déclenche un changement de propriété visible à l’œil nu: un virage de couleur du jaune au rouge. C’est ce qu’on appelle un indicateur coloré, comme pour mesurer le pH de l’eau d’une piscine (3).

Pour l’utilisateur, rien de plus simple: il suffit de toucher la surface du tatouage avec une goutte de boisson. La réaction, quasi instantanée, révèle la présence d’une drogue potentiellement dangereuse.

La quantité de GHB connue pour induire des symptômes graves tels que la confusion et le coma à une personne de 60 kg est d’environ 3 g. Les tests réalisés avec des solutions pures en GHB montrent une limite de détection de 0,01 mg/mL, soit 200 fois plus que la dose de référence dans une boisson de 150 mL. En moins d’une seconde, la couleur vire au rouge pour signaler la contamination, même avec des solutions complexes comme du whisky, de la vodka, de la bière, ou du café.

Comme le PDMS à une adhérence faible à la peau, l’adhésion du patch est assurée par une fine couche d’alcool polyvinylique (PVA). L’autocollant, souple et fin, résiste alors à 50 cycles de flexion et à l’immersion dans l’eau. Cette robustesse permet une utilisation réelle: le patch tient en place toute une soirée.

Avec toutes ces molécules sur la peau, il faut vérifier que cela n’impacte pas la santé, c’est la biocompatibilité. Celle du tatouage a été confirmée sur des cellules humaines: la viabilité cellulaire reste supérieure à 98%, et aucun signe d’irritation cutanée n’a été observé.

Les chercheurs envisagent déjà de proposer des motifs variés, alliant esthétique et fonction: bracelets temporaires, autocollants de festival ou tatouages décoratifs. L’équipe coréenne imagine un déploiement dans des lieux festifs, des kits de prévention distribués sur les campus ou même des accessoires personnalisés pour les forces de l’ordre et les hôpitaux. La fabrication, basée sur des matériaux peu coûteux, permet d’envisager une production à grande échelle, avec un prix unitaire abordable.

À terme, cette technologie pourrait être élargie à d’autres substances comme la kétamine, contenue dans quelques antidépresseurs et anesthésiants, ou les benzodiazépines, contenues dans certains anxiolytiques. En effet, dans la majorité des soumissions chimiques, ce sont des médicaments communs qui sont utilisés. Cela ouvrirait la voie à un patch multizone capable de signaler plusieurs drogues en un seul regard. Le tatouage peut donc servir d’alerte, mais il ne remplacera jamais la vigilance. En soirée, surveillons donc nos verres et nos amis !

(1) G. Kim, ACS Sensors 2025   https://doi.org/10.1021/acssensors.4c03737).

(2) La spectrométrie de masse renseigne sur la masse des molécules présentes dans un échantillon tandis que la spectroscopie RMN donne des indications sur la structure d’une molécule.

(3) Le pH est la mesure de l’acidité d’une solution aqueuse (une substance diluée dans l’eau). Une molécule acide fournit des protons (H+) et donnera un pH inférieur à 7. Une molécule basique capte des protons et donnera un pH supérieur à 7.

 

DO IT YOURSELF !

Pour visualiser une réaction chimique générant un signal coloré, rien de tel qu’un chou rouge. Ce chou, comme beaucoup de plantes, contient des pigments appelés anthocyanes, qui changent de couleur selon le nombre de protons (H+) en solution (pH). Ce super légume peut donc nous indiquer si nous sommes en présence d’un acide ou d’une base, substances irritantes et corrosives, ou d’une substance neutre, comme de l’eau.

COMMENT FAIRE ?

1) Dans une casserole, verse un 1 L d’eau bouillante sur un huitième de chou rouge émincé et laisse refroidir.

2) Pendant ce temps, réunis des produits ménagers et alimentaires et prépare-en des solutions dans des petits récipients transparents (vérifie les pictogrammes de dangers avant de manipuler les substances).

3) Récupère le liquide mauve foncé dans une bouteille en filtrant le mélange avec un filtre à café dans un entonnoir.

4) Ajoute une cuillère à café de jus de chou rouge dans tes solutions de produits ménagers et alimentaires.

5) Observe et classe par couleur (rouge: très acide, rose: acide, mauve: neutre, bleu: basique, vert-jaune: très basique).
 

COMMENT ÇA MARCHE ?

Les anthocyanes ont de nombreux sites qui peuvent porter des protons. Chaque fois qu’un site est (dé)protoné par un acide (ou une base), la structure de la molécule change, provoquant une modification de sa couleur. Grâce à ses sites acidobasiques, les anthocyanes sont donc d’excellents indicateurs colorés pour déterminer le caractère acidobasique d’une substance ! Avec cette manipulation, tu peux par exemple expliquer pourquoi on doit laver la vaisselle ou faire le ménage avec des gants.


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