Mathématiques

Le graphe le plus célèbre de Bruxelles
(ou pas)

Nathan UYTTENDALE, alias Chat Sceptique • chatsceptique@gmail.com
   youtube.com/chatsceptique

© Stephane Mignon CC BY 2.0 

Avec ses innombrables stations, la carte du métro à Bruxelles est un superbe exemple de graphe auquel des millions de voyageurs se confrontent chaque année. C’est le graphe le plus célèbre de notre capitale !

 
Ou pas. Car il existe un autre graphe très connu à Bruxelles: l’Atomium ! Le point commun avec la carte d’un métro ? Un ensemble d’objets (appelés des sommets ou nœuds) et des liaisons (appelées arrêtes). L’Atomium est composée de 9 nœuds (8 boules définissant les coins d’un cube + 1 boule au centre) et de 20 liens au total (1). Dans le cas du métro, si on prend le nœud «Gare du Midi» (entouré en rouge), on constate qu’il y a 8 liens avec ce nœud, dont 4 avec la Porte de Hal (un autre nœud du graphe). 

Les liens avec les nœuds Gare du Midi et Porte de Hal.

Le cerveau humain est aussi un exemple de graphe: un réseau de neurones reliés par des synapses. C’est un très gros graphe: on estime de 86 à 100 milliards le nombre de neurones dans le cerveau humain (en réalité ce nombre varie d’une personne à l’autre mais aussi avec l’âge, rendant difficile de donner un unique chiffre). Quant au nombre de synapses, il a été estimé dans une étude récente à 150 millions dans à peine 1 mm3 de cerveau (Alexander Shapson-Coe, 2024).

Dans un graphe, seuls les nœuds et les liens comptent: la position physique des nœuds n’a en fait aucune importance (voir Fig. 1a). On peut représenter un graphe sous forme d’un tableau bien rangé dans lequel on va croiser tous les nœuds avec eux-mêmes; pareil tableau est appelé dans le jargon une matrice d’adjacence (voir Fig. 1b). Petite particularité du graphe à 4 nœuds illustré: il possède un cycle, une boucle formée des nœuds 1 à 3. Il y a aussi des cycles dans le graphe du métro bruxellois ci-dessus, par exemple le cycle surligné en vert et composé des stations Rogier, Botanique, Madou, Arts-Loi, Park, Gare Centrale et De Brouckère. Vous devrez changer de ligne à 2 reprises pour parcourir cette boucle, mais il est bien possible de tourner en rond indéfiniment !

Fig.1a: Deux graphes identiques (seuls les liens et  nœuds comptent, pas la manière dont c’est 
dessiné !) …

Fig.1b: … et la matrice d’adjacence, indiquant le  nombre de liens entre n’importe quelle paire de nœuds. Il y a un lien entre n1 et n2 mais  aucun entre net n4 d’après la matrice. La  diagonale descendante de cette matrice est  remplie de zéros: un nœud ne fait pas de lien  avec lui-même. Mais ce n’est en réalité pas  interdit: il suffirait de remplir cette diagonale  avec des 1 !

Le cycle dans le graphe du métro bruxellois.

Ton arbre livré en kit à monter

Certains graphes sont très particuliers. Leurs liens sont dirigés, ils présentent un nœud appelé racine de laquelle on ne peut que s’éloigner si on se promène dans le graphe et enfin ils ne présentent aucun cycle. Pareil graphe est appelé un arbre en raison de leur ressemblance avec la végétation dans le monde réel (voir Fig. 2a et b ci-dessous).

Fig.2a: Exemple d’arbre. Les nœuds 8 à 11 et 6 à 7 sont appelés les feuilles.

Fig.2b: Autre exemple d’arbre, celui-ci étant représenté à l’envers. Les nœuds U1 à U7 correspondent  aux feuilles.

Savez-vous ce que je trouve magique avec un arbre ? S’il est livré en kit de sous-arbres sur 3 feuilles, il est possible de reconstituer le «grand» arbre original sur base du kit. Comme un exemple vaut mieux qu’un long discours, voici pareil kit:

Il n’existe qu’un arbre grand avec 4 feuilles qui  permette de satisfaire cette déduction.

Premier constat: il n’y a que 4 feuilles distinctes à travers le kit (les feuilles U1 à U4). On peut donc en conclure que le grand arbre n’a que 4 feuilles au total (à moins que le kit soit incomplet bien sûr). Ensuite, que voit-on ? Les feuilles U1 et U2 arrivent toujours à être liées ensemble sans devoir remonter jusqu’à la racine. Pareil pour les feuilles U3 et U4. Il n’existe qu’un arbre grand avec 4 feuilles qui permet de satisfaire ceci, le voici ci-contre.

Félicitations si vous avez compris l’idée: c’est ni plus ni moins que l’un des sujets travaillés dans le cadre de ma propre thèse de doctorat (Nathan Uyttendaele, 2016).

Tout arbre avec n feuilles peut être brisé en un ensemble de sous-arbres avec 3 feuilles chacun (2). Tout ensemble (complet) de sous-arbres avec 3 feuilles permet de reconstituer l’arbre plus grand dont l’ensemble est issu (3).

Vous allez me dire, mais à quoi ce résultat peut-il servir ? Plutôt que de vous lister les usages concrets (j’en propose plusieurs dans ma thèse), j’aimerais vous inviter à considérer ceci: pourquoi le moindre sujet mathématique devrait systématiquement avoir une utilité ? Comme en musique ou en peinture, on peut juste aimer la beauté de l’œuvre sans réclamer une utilité autre que le plaisir qu’elle procure à certains et certaines ! Oui, il m’arrive de fantasmer d’un monde où les gens se rendraient les week-ends à l’université comme on se rend au théâtre pour écouter pendant une heure un professeur de maths présenter, en des termes clairs et accessibles de tous et toutes… un joli théorème.

(1) Pour l’anectode, si on lui demande son avis, ChatGPT-4o nous répond que l’Atomium comporte 9 boules et 12 liens, ratant que la boule centrale est connectée aux 8 autres et ne vole pas dans les airs !

(2) Il faut envisager toutes les combinaisons de 3 feuilles parmi les n feuilles de départ, ce qui peut très vite donner un kit de sous-arbres de grande taille; pour n=10 feuilles au départ on se retrouve avec un kit de 120 sous-arbres sur 3 feuilles !

(3) Un kit (complet) constitué «au hasard de notre imagination» pourrait présenter des contradictions impossibles à réconcilier dans un grand arbre. Le kit est alors dit défectueux.

Share This