Dossier

Le monde merveilleux de la parfumerie

Dans la rubrique Technologie, nous avons révélé quelques secrets de fabrication d’un parfum et les méthodes d’extraction des matières premières. La variété et la qualité de ces dernières sont au centre des préoccupations du parfumeur qui s’adonne à l’art rigoureux de la création d’une association de senteurs. Mais que se cache-t-il derrière ce métier que l’on appelle également «nez» ? Pour en savoir plus, direction la Provence et Grasse, avant de revenir en Belgique, plus exactement à Namur

Virginie CHANTRY  •  virginie.chantry@gmail.com

© Christophe Boisvieux, Galimard/MACOMAMOI, © V. Chantry

Paris regorge de créateurs de fragrances plus talentueux les uns que les autres. Cependant, la ville lumière n’est pas ­unanimement considérée comme la capitale mondiale du ­parfum. Ce titre est également revendiqué, vu son histoire notamment, par la ville de Grasse, située entre mer et montagnes, dans le département des Alpes-Maritimes. Cette ville de ­l’arrière-pays de Cannes est bien connue pour ses maisons de créateurs de parfum établies depuis plusieurs générations: Fragonard, Molinard et Galimard ont vu le jour respectivement en 1926, 1849 et 1747. Malgré tout, certains préfèrent voir Grasse comme l’atelier des parfumeurs et Paris comme la réelle capitale de cet art olfactif. ­D’ailleurs, à Grasse, certaines fleurs comme la rose, la fleur d’oranger ou le mimosa sont encore cultivées et leur essence extraite sur place. Quoiqu’il en soit, les parfumeurs d’aujourd’hui ont souvent un pied à Grasse et l’autre à Paris, ou en tout cas le regard et le nez tournés vers ces 2 pôles de la ­parfumerie.

Choix, règles et classification: bon à savoir !

S’il est vrai que les coûts de production déterminent les produits que le parfumeur ­utilise, «naturels» (huiles essentielles, concrètes, résinoïdes, absolus, …) et/ou synthétiques, le nez choisit aussi ses essences en fonction de nombreux autres critères, allant de la politique de la maison pour laquelle il travaille aux émotions qu’il souhaite susciter avec son parfum. Il arrive donc, et plus souvent qu’on ne le croit, que les ­produits de synthèse soient plus adaptés pour l’effet recherché que les essences naturelles, voire même les seuls disponibles. Le très fameux N° 5 de Chanel créé par Ernest Beaux ainsi que ­Shalimar réalisé par Guerlain lui-même, souvent cités en exemples, contiennent d’ailleurs tous 2 des produits de synthèse.

De plus, pour élaborer un parfum, il y a des règles à respecter. La pyramide olfactive guide le nez dans la création de sa fragrance et aide à équilibrer les senteurs pour une évaporation progressive. On distingue les notes de tête, véhiculées par les composés les plus volatils et qui se dégagent donc au cours de la première heure après vaporisation; les notes de cœur qui durent plusieurs heures et caractérisent le ­parfum et enfin, les notes de fond qui peuvent durer ­plusieurs jours, en particulier sur la laine, le lin et le coton.


Parfumeur à l’ouvrage chez Fragonard à Grasse, dans le sud de la
France, l’un des centres névralgiques de la parfumerie mondiale. 

Pour s’y retrouver dans tous les parfums possibles, le Comité Français du Parfum a établi 7 grandes familles olfactives selon la senteur dominante: les parfums hespéridés (agrumes), floraux, ­boisés, fougères (bois + lavande), chyprés (mousse de chêne + fleurs et fruits), ambrés (orientaux) et les cuirs (fumée, tabac, etc.). Elles-mêmes comprennent au total 47 subdivisions, par exemple ambré fleuri boisé, fleuri vert, chypre cuiré, etc., le premier terme faisant référence à l’une des 7 familles.

Nantis de ses connaissances de base, allons à la rencontre des parfumeurs !

Ci-dessous, vidéo présentant l’histoire de la parfumerie Molinard..


Caroline de Boutiny. 

Studio des fragrances chez Galimard.

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Un
petit tour chez Galimard

Caroline de Boutiny est parfumeur-créateur pour la maison Galimard, à Grasse. Son rôle est de développer les nouvelles ­fragrances de la maison, ainsi que pour d’autres marques souhaitant produire un parfum. Mais ce n’est pas tout: «Nous avons également le Studio des Fragrances. Il s’agit d’un atelier de création de parfum personnalisé que je supervise. J’ai plusieurs assistantes qui accueillent les clients lors d’un atelier de 2 heures (voir photo ci-dessus). Ils ont à disposition 127 essences – qui sont en réalité des bases pré-formulées – sur l’orgue le plus simple. Ces bases sont classées en notes de tête, de cœur, de fond et par famille olfactive. Un test olfactif permet de cibler les goûts des clients. S’ensuivent des propositions de notes parmi ­lesquelles ils ­choisissent. Nous les assistons et les guidons tout au long de la création. Nous les aidons également pour le dosage des différentes matières afin d’obtenir une harmonie en fonction de leurs préférences. Car on ne s’improvise ni ­parfumeur, ni assistant de parfumeur. Les assistants de parfumeur sont justement formés pour pouvoir utiliser ce système et doser les accords en fonction des goûts des clients et de la puissance des essences choisies.» 

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À la fin de l’atelier, les participants repartent avec 100 ml d’eau de parfum de leur propre composition dont ils choisissent le nom et le flacon. La formule est numérotée et conservée par Galimard. Ils peuvent donc en commander quand bon leur semble en version parfum, eau de parfum, gel douche ou crème pour le corps.

Pour parvenir à ce poste, Caroline a étudié à l’Université de Montpellier, dans la section «parfums, arômes et cosmétiques». Elle a ensuite poursuivi sa formation à l’École Internationale de ­Parfumerie – le Grasse Institute of Perfumery – qui recrute des élèves dans le monde entier: «Cela est très formateur. Les perceptions olfactives varient énormément d’une culture à l’autre. J’étais en classe avec une colombienne, 2 japonaises et une américaine. Cela m’a énormément enrichie. Par exemple, si nous devions créer « une rose« , le produit de l’apprentie-parfumeuse japonaise était très différent du mien: il sentait le bonbon, le fruit, le litchi, mais pas vraiment la rose selon nos standards.» D’après elle, la passion est la clé de la réussite pour devenir parfumeur: «Il s’agit d’un métier qui demande beaucoup d’apprentissage et de patience. Donc si vous n’êtes pas passionné, ce sera compliqué. Ensuite, quelques qualités olfactives sont évidemment les bienvenues mais il est vrai que cela se travaille énormément. L’odorat se développe. S’il n’y a pas d’anosmie (1) au départ et qu’il y a cette réelle ambition et passion qui vous portent dans l’apprentissage de ce métier, c’est possible. Il faut s’en donner les moyens.»

(1) L’anosmie est un trouble de l’odorat qui prive partiellement ou totalement celui qui en est atteint de ses capacités olfactives. Elle peut être transitoire, par exemple en cas de rhinite, mais également congénitale.

Dans la parfumerie, il y a d’autres métiers que créateur de parfums. L’assistant de parfumeur déjà évoqué ci-dessus et qui a en général une ­formation de chimiste en est un exemple: «Comme son nom l’indique, il assiste le parfumeur. Ce dernier met au point les formules sur ordinateur (ndlr: c’est le cas chez Galimard, mais pas partout) et ­l’assistant prépare les essais grâce à l’orgue à ­parfums: faire les pesées des matières premières – on ne travaille plus avec des «gouttes» mais avec des pourcentages, des dilutions et beaucoup de précision, réaliser les mélanges et présenter les échantillons au parfumeur font ­partie de ses tâches.» Caroline évoque aussi pour nous un métier bien moins connu, celui d’évaluatrice: «Il se situe entre le commercial et le parfumeur. Dans une maison de création de parfums, une bibliothèque regroupe toutes les créations. Il y en a qui ont été vendues et d’autres pas. Le métier de l’évaluatrice est de connaître parfaitement cette bibliothèque olfactive. Et lorsque le commercial reçoit une demande d’un client, il en réfère d’abord à celle-ci. Elle doit alors évaluer s’il est envisageable de partir d’une ou plusieurs créations disponibles dans la bibliothèque et de les ­retravailler pour s’approcher de ce que le client souhaite. Si ce n’est pas le cas, le parfumeur doit créer une nouvelle formule.»

Quand on travaille pour une maison comme Galimard, le maître-mot est qualité: «Nous ­faisons de la parfumerie de niche, c’est-à-dire de la ­parfumerie à haute valeur ajoutée: sur mesure et confidentielle. Nous travaillons sur de plus petits volumes mais sur de la très haute qualité. Nous utilisons beaucoup le naturel, mais aussi le synthétique pour apporter un plus au naturel, jamais ­l’inverse. En effet, le synthétique permet d’avoir une diversité quasi infinie. Alors qu’avec le naturel, on est beaucoup plus limité en termes de notes.» 

Guy Delforge devant son orgue à parfums.

Entretien avec GUY DELFORGE, un parfumeur BIEN
de chez nous

Combien êtes-vous à travailler dans vos ateliers ?

Nous sommes 6 ou 7, selon les périodes. Tous polyvalents, autour de moi. Je peux être aussi bien à la comptabilité qu’à la production. Il est vrai que nous avons chacun une orientation première. Plusieurs sont multilingues et
s’occupent de l’accueil et de la vente mais si nécessaire, nous leur prêtons main forte. Il faut savoir qu’on ne crée pas des parfums toute la journée. Il se passe parfois des jours sans que ce soit le cas. On est ici au four et au moulin étant donné que l’on s’occupe de tout de A à Z, de la conception du parfum et de son flacon à sa vente.

Sans doute de faire en sorte que les matières qui ne sont pas faites pour vivre ensemble cohabitent et donnent un parfum qui se conserve. Au centre des préoccupations, il y a le temps qui passe, mais aussi le temps qu’il fait. Le produit doit rester stable pendant plusieurs années, qu’il soit utilisé à Madrid ou à Helsinki.

Selon vous, quel est le plus grand défi du parfumeur ?

Utilisez-vous des matières premières synthétiques ou naturelles ?

Depuis un siècle (1921), il est erroné de penser qu’il n’y a que les huiles essentielles dans une composition. Un parfum 100% naturel n’est plus possible. Par exemple les fixateurs ne sont plus d’origine animale. Et bien d’autres matières, même naturelles, sont interdites car elles peuvent nuire à la santé. Parfois aussi, la protection des espèces est en jeu. Le Brésil était un grand exportateur de bois de rose et risquait d’anéantir cette ressource naturelle. Son exportation est maintenant limitée. À juste titre.

La plupart proviennent de France où se trouvent les plus grosses ­coopératives, mais pas seulement. Il y aussi l’Italie, l’Espagne. En somme, la Méditerranée au sens large. Par exemple l’eucalyptus provient d’Égypte et le cèdre du Liban.

D’où proviennent-elles ?

Quelles sont les différences majeures entre production artisanale et
industrielle ?

La question est «qu’est-ce qui est artisanal et qu’est-ce qui est industriel ?». Chez Dior, la chaîne de fabrication est automatisée pour
pouvoir assumer les volumes qu’ils doivent produire. Chez nous, on travaille d’une manière artisanale, et donc étape par étape. Je ne peux pas tout faire en même temps, soit par manque de place, soit par manque de temps, soit parce que les volumes ne le justifient pas encore alors que notre croissance est forte. Et évidemment, les moyens, les outils et le temps ­consacré ne sont pas du tout les mêmes dans les petites et grandes structures, dans tous les domaines.
J’ajoute que toutes nos eaux de parfum sont composées de 13% de substances odorantes. Nous voulons la meilleure qualité artisanale, ce qui fait notre succès.

À 50 cm, l’idéal étant de parfumer laine, lin et coton comme le faisaient nos grands-mamans.

Et enfin, votre conseil pour appliquer
un parfum ?

Retour
à Namur

Même si la France est le berceau de la parfumerie et que les parfumeurs français sont très réputés, ils ne sont pas les seuls. Guy Delforge, se définissant comme un «compositeur» d’après ­l’expression de Jean-Paul Guerlain, et un «chef d’orchestre des fragrances» pour reprendre celle de notre rédactrice en chef, en est un bon exemple. Ayant appris le métier au contact de maîtres parfumeurs, il a commencé à faire du parfum dans son garage à Boninne dans la Province de Namur: «C’est parti d’un coup de cœur ! Mon parcours n’a rien de ­classique: je suis économiste à la base. J’avais 42 ans environ quand je me suis lancé dans le parfum. Et je suis le seul en Belgique à avoir tenu le coup.» En 1990, il décide d’allier patrimoine et parfums en installant son atelier dans les casemates (2) de Médiane au Château des Comtes, sur les flancs de la Citadelle de Namur. Entrons dans le monde merveilleux de ce compositeur !

La visite de la parfumerie commence avec la présentation d’un court-métrage détaillant la production d’un parfum par Guy Delforge: «Notre cycle de production démarre à la composition et dure 13 mois. Ce qui est avant, en amont, n’est pas de notre ressort. 

Nous n’avons pas de champs de lavande… Les matières premières viennent peu d’ici. Et ne sont pas non plus extraites ici». Vient ensuite la zone «recherche et développement» et le laboratoire de test de produits avec son orgue à parfums. En passant, nous  rencontrons Charles Kerangoff, qui est actuellement formé par le parfumeur de 76 ans pour prendre la relève. Nous descendons ensuite dans une salle datant du 16e siècle et découverte par hasard par Guy ­Delforge. Elle était alors murée et remplie de gravats. Il s’agit maintenant de la salle de composition où sont conservées les fragrances sur base de formules mises au point auparavant en laboratoire.
On y trouve de nombreux estagnons – récipients destinés à accueillir des huiles essentielles – en aluminium. Après cette salle, une longue galerie
descend encore et sert de cave de macération pour les touries (vases en verre) d’1 ou 10 l contenant les compositions parfumées. Ce couloir mène
ensuite à la partie ­centrale ­appelée «Médiane» où une salle accueille les visiteurs pour mettre leurs connaissances des senteurs à l’épreuve grâce à des
jeux. Le circuit se termine dans la boutique de la parfumerie et la salle d’exposition où sont présentés les 38 parfums signés Guy Delforge.

(2) Une casemate est une construction militaire enterrée servant d’abri et/ou de stockage d’armes.


Cave de macération du parfumeur Guy Delforge.

Pour ceux qui seraient tentés de jouer aux ­apprentis parfumeurs, il existe des coffrets «orgue à parfums» pouvant contenir entre 10 et 150 ­senteurs selon le budget et le public cible, mais aussi des ateliers de création comme chez ÔÔ Parfums à Philippeville. Et si d’aventure vous voudriez en faire votre métier, l’École Supérieure du Parfum à Paris propose une formation en ­création et en management en 5 ans et et vient d’ouvrir une filiale à Grasse en valorisation et commercialisation des plantes, parfums & arômes. L’Institut Supérieur International du Parfum, de la Cosmétique et de l’Aromatique alimentaire (ISIPCA) à Versailles offre aussi plusieurs possibilités de ­formations de parfumeur. Sachez cependant que les conditions d’accès sont de plus en plus strictes et qu’il vous en coûtera fort probablement nettement plus cher qu’un cursus dans l’une de nos universités. Chez nous, l’IFAPME propose une formation de parfumeur-conseil pour ­travailler dans la vente au détail.

Merci à Caroline de Boutiny de chez Galimard pour son temps, son aide précieuse et sa gentillesse, ainsi que Guy Delforge pour son accueil chaleureux, sa disponibilité et sa passion.


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