Biologie

Bio News

Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

©Ken-ichi Ueda /Biozoom, © Dr Mike Baxter, Wikimedia commons, CC by-sa 2.0

 
Une avalanche de riz

Quand on évoque le «riz», on pense à quelques variétés qui se retrouvent dans nos assiettes: riz blanc à grains ronds ou longs, coloré, basmati, etc. La palette suffit en général à combler le souhait de changement des consommateurs de chez nous.

Mais ce qui est disponible à proximité n’est qu’une infime partie de toutes les variétés disponibles dans le monde. On peut en avoir une vague idée à la simple constatation du fait que cette graminée est un aliment de base pour près de la moitié de la population mondiale et que, du coup, il faut la faire pousser dans des conditions souvent différentes. Alors ce nombre: a-t-on un avis ? On risque d’être loin du compte puisqu’il y en aurait, pour le moment, 136 000 variétés recensées et conservées dans une banque de grains située aux Philippines.

Toutes ne sont pas ou plus consommées; figurent à ce nombre des variétés anciennes, des hybrides, quelques espèces proches peu différenciables, etc. Mais de nouvelles pourraient encore venir s’y ajouter, fruit d’une sélection très orientée ou de manipulations génétiques. Pour faire notamment face aux changements climatiques, qu’ils mènent à une sécheresse prolongée ou au contraire, à des inondations intenses.

Cette banque d’un type un peu particulier, qui est de nature à intéresser les consommateurs mais surtout les producteurs et les chercheurs en tous genres, est assurée de recevoir une dotation annuelle de 1,4 million de dollars. C’est en tout cas ce qu’a récemment promis le Crop Trust, une association non gouvernementale basée en Allemagne. En espérant que cette intention s’inscrive dans le temps et que les capitaux soient intégralement alloués à la conservation attendue.

Nature, 2018; 562: 313


 
De la technique à l’éthique

Si l’image éculée du docteur Frankenstein fait sourire aujourd’hui, la réalité de l’avancée des connaissances et techniques reste elle bien contemporaine et suscite, à termes réguliers, des interrogations diverses. La percée de la biologie moléculaire, il y a une quarantaine d’années, et la possibilité offerte de «manipuler» des gènes a longuement été un domaine de vif débat avant que des dispositions réglementaires soient prises, balisant la limite à ne pas franchir entre le techniquement possible et le moralement indéfendable.

Cette réglementation date d’une vingtaine d’années. Entretemps, les techniques ont évolué et est notamment apparue celle qui mobilise aujourd’hui des milliers de chercheurs dans les laboratoires à finalité aussi bien académique que commerciale. C’est CRISPR-Cas9. Pour rappel, il s’agit de cette disposition naturelle identifiée chez les bactéries qui peut couper la double hélice d’ADN en un endroit précis, ce qui autorise d’y insérer une séquence correctrice, si c’est l’intention. Cette fois, on dispose d’une méthode qui permet un travail précis, bien différent des tentatives d’insertion aventureuse de gènes opérées auparavant. On perçoit donc tout l’intérêt de la mise en œuvre d’une telle méthode dans la correction des maladies humaines, notamment, dues à une mutation affectant un gène particulier. Il demeure que CRISPR-Cas9 reste une technique et qu’à ce titre, elle est susceptible de ne pas répondre parfaitement à l’objectif visé. On en a déjà fait l’expérience récemment. On sait aussi que les réglementations interdisent a priori toute manipulation relative aux spermatozoïdes, ovules et embryons humains. Or, c’est à ces niveaux qu’une modification apportée a le plus de chances de se montrer efficace sur un futur humain. Des essais réalisés il y a peu en Chine semblent en avoir apporté la preuve. Mais la prudence et la réserve demeurent.

Reste également toute la problématique du dépôt de brevets, déjà largement abordée au cours des années 90: une société commerciale peut-elle obtenir un brevet sur une technique dont on pressent l’application universelle ensuite dans un registre biomédical ? Cela ne risque-t-il pas de rendre son application limitée aux seuls nantis, qu’ils soient les promoteurs ou les destinataires ?

On sait également que dans cette perspective se profilent les organes animaux (porcins essentiellement) à «humaniser» par manipulation du génome afin de les rendre disponibles à la greffe chez des malades en attente. Un marché est à saisir dans ce domaine en cas d’autorisation accordée. Bref, la science qui avance n’est pas sans poser quelques questions éthiques dès qu’il s’agit de faire bénéficier des humains de l’une ou l’autre avancée les plus prometteuses. Comme sur un sol glissant, il convient de déplacer un pied quand on est sûr que l’autre a trouvé une assise ferme. C’est donc souvent une simple question de temps et de prudence élémentaire.

Nature, 2018; 562:486-488


Bio zoom

Ce que vous voyez ici, ce ne sont pas les orteils d’un étrange animal tout droit sorti de la Préhistoire. Ce sont des crustacés cirripèdes marins. Les pouces-pieds vivent en colonie (parfois de milliers d’individus) notamment en Bretagne, fixés à un rocher battu par les vagues ou au pied d’une falaise. C’est ce que l’on appelle des animaux sessiles. Ils sont composés d’un pédoncule (la partie foncée) et d’un capitulum (5 plaques calcaires blanches et de plus petites à leur base) et peuvent vivre jusqu’à 20 ans ! Comestibles, ils ont été pêchés trop intensivement si bien que leur récolte est désormais réglementée.  

Neandertal
était-il violent ?

Depuis longtemps, l’idée qui veut que les hommes de Neandertal aient été violents, évoluant dans un univers très hostile, a fait son chemin. La raison ? Le nombre apparemment élevé de traumatismes osseux relevés en particulier sur les vestiges de crânes. On sait que ces hommes étaient plutôt massifs, qu’ils ont connu des conditions environnementales difficiles et que les rigueurs du climat les ont astreints à des chasses parfois périlleuses pour leur apporter de quoi se sustenter. Mais une idée bien ancrée ne vaut que si elle est étayée de données chiffrées et vérifiables. C’est ce qui a motivé des chercheurs, lesquels ont décidé de revisiter les descriptions publiées de 114 crânes de ces hommes du passé, qu’ils ont comparées à celles de crânes de nos ancêtres directs (Homo sapiens sapiens); toutes les pièces – plus de 200 au total – étant datées de 80 000 à 20 000 ans d’ici.

Ce qui apparaît, contrairement à l’idée reçue, c’est qu’il n’y a pas plus de blessures chez les Néandertaliens que chez nos ancêtres. En revanche, on constate que les hommes sont davantage porteurs de traumatismes crâniens que les femmes et que les Néandertaliens blessés étaient statistiquement plus jeunes que les sapiens dans le même cas, une blessure dont ils se sont moins bien remis également, signes de moindre cicatrisation à l’appui.

Ces quelques observations soulèvent déjà de nombreuses questions sur les rigueurs du mode de vie, les attitudes défensives ou agressives, le partage d’activités entre les tranches d’âge et les sexes. Mais il ne s’agit encore que de traumatismes relevés sur les seuls os du crâne. Reste tout ce qui fait la plus grande partie du squelette, membres compris. Le travail reste à faire, mais il est sûr qu’il mènera, lui aussi, à quelques considérations socioculturelles additionnelles sur ces humains qui nous ont précédés.

Nature 2018; 563: 634-636 et 686-690


Grand,
vieux et en péril 

En latin, pando signifie «je m’étends». C’est aussi le nom d’un bois de peupliers tremble (Populus tremudoides) dans l’Utah, aux États-Unis. Pourquoi ce nom ? Simplement parce qu’au fil des années, cet arbre qui se reproduit facilement de façon asexuée (par marcottage et drageons) a fini par atteindre une superficie actuelle de 43 ha. Et cela dure depuis longtemps: on estime en effet son âge à … 80 000 ans et comme tous les pieds de ce peuplier ont une origine génétique commune, on peut prétendre que l’ensemble correspond à un même individu. Du coup, on s’est amusé à estimer son poids qui devrait avoisiner… 6 000 tonnes.

Voilà donc un peuplement forestier qui, assimilé à un individu, doit être un des plus grands, des plus lourds et des plus vieux de la planète. Sauf qu’il est menacé. Par l’homme comme souvent, qui a progressivement morcelé l’endroit en traçant des routes et chemins. Mais par le cerf aussi (Odocoileus hemionus) qui trouve les jeunes pousses à son goût et empêche donc l’ensemble de se renouveler. Il n’y a sans doute pas encore péril en la demeure pour ce grand vieillard qui a encore de beaux jours devant lui; au plus est-ce son côté exceptionnel qui risque d’en pâtir. Si la réduction se poursuit, si des atteintes à son intégrité (mono)spécifique surviennent, cette particularité ne sera plus, dans un avenir non prévisible, qu’un bois comme les autres. Sauf bien entendu si on prend les dispositions qui s’imposent. C’est le cas pour 7 ha déjà; mais ce n’est que très partiel, rapporté à l’ensemble.

Si pando est exceptionnel par ses dimensions, il ne constitue pourtant pas une exception: comme évoqué, l’arbre concerné se reproduit facilement sur un mode asexué et a dû bénéficier de conditions favorables à son extension en l’absence de concurrents. On trouve le même type de prolifération chez nous aussi, même si elles sont plus modestes et concernent d’autres espèces végétales: un massif d’orties qui couvre tout un talus, par exemple, tire souvent son origine d’un pied originel qui s’est étendu par stolons. Il s’agit donc là aussi, le plus souvent, d’un seul et unique individu. Autant de petit «pando’s» qui échappent à notre étonnement…

PLoS One 2018; 13,e0203619


 
Je te mange… ou pas 

Le cerveau est sans contexte l’organe le plus complexe du corps, que ce soit chez l’homme ou chez les animaux, au moins les plus développés d’entre eux. Les connexions inter-neuronales, les synapses, seraient chez l’homme au nombre de 1015, soit un million… de milliards. Cette extraordinaire complexité s’inscrit obligatoirement dans la durée; elle commence au cours de la vie embryonnaire et fœtale et se poursuit au-delà.

On pourrait penser qu’elle est unidirectionnelle et ne va, du début à la fin, que dans le sens d’une complexité croissante. C’est globalement vrai. Pourtant, en cours de mise en place de ce réseau, des connexions sont également supprimées. Pourquoi ? Parce que, pense-t-on, elles ne servent pas, ou pas assez. En quelque sorte, c’est du nettoyage et sans aucune doute, du recyclage tout étant réutilisé au fur et à mesure comme on l’imagine.

Ce sont les cellules spécialisées dans les défenses immunitaires du cerveau, constituant la microglie, qui sont chargées de ce nettoyage. Elles le font bien entendu à la réception de signaux spécifiques qui leur indique les endroits où elles doivent opérer. On a découvert leur existence il y a peu et les scientifiques n’ayant pas le souci de faire compliqué quand il n’y a pas lieu, ont appelé ce signal «eat me» (mange moi). Il tient,  pour ce qu’on en sait aujourd’hui, à une protéine qui vient se fixer sur la connexion à faire disparaître. Elle s’appelle C1q et son récepteur est une autre protéine, CR3, fixée sur la membrane des cellules de la microglie. La reconnaissance est dès lors acquise et la cellule de nettoyage peut venir «manger» la dendrite (connexion) à faire disparaître. Mais le système a prévu de parer aux erreurs potentielles de localisation et a mis en place un signal «ne me mange pas». Il tient lui aussi au même principe de reconnaissance spécifique et garantit les dendrites qui les portent qu’elles ne seront pas éliminées. Ce sont 2 protéines encore qui assurent le message: CD47 sur la connexion à préserver, SIRP- sur la microglie.

Cette sécurité suffit-elle ? Probablement, d’autant que ce qu’on en sait n’est peut-être encore que partiel. Et puis, il y aurait en moyenne 20 000 dendrites par neurone. Ça laisse de la marge pour une reconnexion en cas d’erreur accidentelle…

Nature 2018; 563: 42-43


 
Pas de petit profit

On a tous vu ces images d’ours bruns pêchant «à la patte» des saumons rouges dans les rivières et torrents du grand nord américain. Certes, ces poissons sont-ils épuisés par un long voyage (ils remontent de l’océan) et leur coloration rouge les rend particulièrement identifiables. Le prélèvement que les gros omnivores en font est à la hauteur de la taille et surtout de l’appétit de ceux-ci et les berges des rivières se retrouvent jonchées des reliefs de repas gloutons.

Des scientifiques ont depuis longtemps souhaité évaluer ce prélèvement faunique et ont décidé, chaque année, de compter les vestiges des saumons laissés en marge d’une étroite rivière dans le sud-ouest de l’Alaska. Afin de ne pas compter 2 fois la même pièce et de ne blesser personne (les ours restant dans les parages), ils ont décidé de jeter systématiquement les restes trouvés du même côté du cours d’eau. C’est un protocole opérationnel qu’ils suivent maintenant depuis une vingtaine d’années.

L’objectif d’évaluation quantitative reste prioritaire et inchangé depuis le début, ce qui n’a pas empêché les chercheurs de se demander si toutes les carcasses des poissons balancés du même côté de la rivière ne pouvaient avoir eu, à la longue, un effet sur les pins glauques (Picea glauca) qui poussent sur cette même berge. Et ils n’ont pas été déçus. Non seulement l’étude de leurs aiguilles a révélé la présence d’une forme azotée typique du milieu marin, mais la comparaison des plants poussant de part et d’autre de la rivière a permis de mettre en évidence une croissance significativement accrue du côté «carcasses». Rien n’a donc été perdu: si les saumons prélevés ont essentiellement servi à alimenter les ursidés, leurs restes ont contribué à la croissance végétale proximale qui, du coup, a également offert un recyclage en cycle court. «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», disait l’illustre Lavoisier au 18siècle. On en a une preuve additionnelle ici.  

Nature 2018; 563: 9

Ecology, http://doi.org/cv95 (2018)

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