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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

Matt Seymour/Unsplash, Andrea Piacquadio/Pexels, ©EASYFOTOSTOCK/biozoom, ©Dussourd
et al, 2019, VALUA VITALY/Freepik

 
Plantes secrètes

Des ouvrages de plus en plus nombreux nous permettent de découvrir que les plantes sont bien plus évoluées que ce que nous pensions. C’est par exemple le cas pour Les émotions cachées des plantes (1), qui rappelle que des végétaux perçoivent parfois ce qui nous échappe et le traduisent – notamment – en différences de potentiel électrique. C’est à force de chercher que l’on trouve. Ce n’est pas neuf. Et c’est parce que des scientifiques ont fait table rase de certitudes du passé qu’ils sont dorénavant à même de mettre en lumière quelques réalités qui nous ont échappé. Sauf à des guérisseurs et autres chamanes sans doute moins rodés aux méthodes de la recherche telle qu’on l’entend dans les milieux dits cultivés.

En marge de ces dispositions étranges (comme la sensibilité, l’empathie, la télépathie et quelques autres du genre), les plantes peuvent présenter des dispositions bien concrètes qui relèvent, elles, des lois classiques de la chimie, de la physique et de la biologie. Ce qui n’empêche qu’elles nous avaient échappé aussi. C’est par exemple celle qui a été mise en évidence chez le blé tendre (Triticum aestivum). Cette céréale, comme tant d’autres plantes, est sujette à des attaques fungiques, ce qui lui vaut d’être traitée par des produits pesticides adaptés. Pourtant, il est apparu que ce blé est capable de se défendre tout seul, au moins jusqu’à un certain point. Comme les autres végétaux qui se trouvent dans sa zone d’exploitation, le matin, ce blé se couvre de rosée, en dépit du caractère hautement hydrophobe de la surface foliaire. Lorsque ces gouttelettes fusionnent (ce que les scientifiques appellent la coalescence), les forces de tension sont converties en énergie; et celle-ci suffit à expulser des spores de champignons qui, au gré du vent ou des pluies, sont venues s’y déposer; une centaine par feuille et par heure, selon les chercheurs. Cela fait autant d’agresseurs potentiels que la plante peut spontanément expédier. Une autre façon pour le blé de dire: «Dégage !».

Ce n’est peut-être pas suffisant pour mettre la céréale à l’abri de toutes les attaques du genre et notamment, de celles de Puccinia triticina, un de ses principaux ennemis. Mais cela doit en réduire l’impact. Peut-être verra-t-on dans cette disposition une bonne raison de réduire au moins en partie les traitements phyto opérés de façon préventive ? «Aide-toi et le ciel t’aidera», rappelle le proverbe. Pourvu que le «ciel» des producteurs de céréales ne soit pas atteint de surdité… 

   Nature, 570; 2019: 419

(1) Les émotions cachées des plantes,  Didier van Cauwelaert. Plon, 2018

Le sommeil dans nos artères

On a suffisamment évoqué ici ou ailleurs toute l’importance d’un «bon sommeil» pour ne pas revenir sur ses vertus. Il n’empêche que si une durée de 7 à 8h est généralement prônée pour assurer une saine réparation des fatigues diverses, un tiers de la population adulte dormirait 6h ou moins; une valeur à rapporter aux besoins réels de chacun et à la perception subjective qu’il peut avoir d’un «bon sommeil». Ainsi, il apparaît qu’une nuit fragmentée plutôt qu’entière serait déjà préjudiciable à la santé de nos artères. «À titre additionnel ou subsidiaire», serait-on tenté de préciser car en matière d’état cardiovasculaire, c’est le mode d’alimentation et le manque d’activité physique qui sont principalement en cause dans le caractère inflammatoire chronique. Si on ajoute à cela le principe du «qui dort dîne», on ne fait qu’amplifier le résultat.

Des scientifiques ont soumis des souris à une perturbation expérimentale récurrente de leur sommeil (diurne) pour vérifier le lien que ces interruptions induites peuvent avoir sur le caractère inflammatoire des vaisseaux, notamment manifesté par la présence accrue de plaques d’athéromatose, leur infiltration par des macrophages (cellules de nettoyage du sang) et la présence plus massive de globules blancs dans la circulation générale. Ce qui apparaît, c’est clairement la confirmation de ces différents signes inflammatoires, plus marqués chez les souris d’expérience que chez celles dont le sommeil n’a pas été perturbé. Ceci étant démontré chez la souris, on a cherché à le vérifier chez l’homme et cela n’a pas manqué. Même si, comme rappelé plus haut, le sommeil n’est pas le seul à mettre en cause, il peut également intervenir dans l’émergence d’un état inflammatoire vasculaire, potentiellement dommageable à terme, les pathologies du cœur et des vaisseaux étant responsables de 30% des décès dans le monde. Ce que l’expérience menée chez les souris a également montré, c’est qu’un sommeil fragmenté augmente la sécrétion, par l’hypothalamus (organe de contrôle cérébral), d’une hormone – l’hypocrétine (encore appelée orexine) – qui stimule la production de cellules sanguines (macrophages et lymphocytes) par la mœlle osseuse, lesquelles renforcent le caractère inflammatoire des vaisseaux. Tout se tient donc.

Heureusement, l’amélioration de l’hygiène de vie, la réduction du stress, le choix d’un environnement plus favorable peuvent valablement améliorer la qualité du sommeil. La recherche évolue et on établit aujourd’hui les liens métaboliques jusque-là seulement suspectés. Il reste à chacun à faire ce qu’il peut pour améliorer son bilan de santé. En dormant, tant qu’il peut, «sur ses 2 oreilles» ! Si ce n’est que 4h et que cela suffit à assurer une bonne santé générale, inutile de se lamenter. Cela n’empêche pas de bien remplir ses journées dans un équilibre physiologique très satisfaisant. Nous ne sommes pas plus égaux en matière de sommeil que dans tout ce qui fait de nous des êtres uniques.

   Médecine/sciences, 2019; 10:743-746

BIO ZOOM

Ces pics montagneux situés en Chine, dans la réserve naturelle de Zhangjiajie, semblent tout droit sortis d’un film. Mais c’est plutôt l’inverse, puisque James Cameron s’en est largement inspiré pour créer l’un des décors de son célèbre « Avatar« . Cette étendue de 93 km², patrimoine mondial de l’Unesco, est une toute petite partie du parc naturel de Wulingyuan. La formation des pics s’est faite sous l’eau il y a 380 millions d’années, avant que la terre ne se soulève à cause d’une forte activité volcanique. Tianzi Shan, que l’on traduit par « Montagne du fils du ciel », est le plus haut et s’élève à 1 250 m ! Vertigineux, non ? 

Microbiote
trop efficace

Le microbiote, c’est l’ensemble des bactéries digestives qui transforment les matières ingérées pour s’en nourrir mais aussi pour nous les rendre assimilables. Ce «second cerveau de l’organisme» est essentiel dans le processus digestif et au-delà, pour le métabolisme tout entier. Outre les aliments et les boissons plus ou moins complexes que les humains leur donnent à prendre en charge, ces bactéries-là reçoivent aussi, de façon régulière ou périodique, des médicaments. Et pour ceux-ci aussi, une dégradation doit être entreprise. Qui peut bien entendu se montrer dommageable pour un malade en traitement si le produit actif est dégradé massivement avant de pouvoir atteindre sa cible. C’est en particulier ce que des médecins ont pu observer chez des patients traités pour la maladie de Parkinson. Ces malades sont victimes d’une perte progressive d’une population de neurones cérébraux, ceux qui produisent la dopamine, un important neuromédiateur. Résultat: des tremblements incoercibles et une forme de rigidité générale affectant souvent les membres apparaissent. 

Le traitement est connu depuis longtemps: l’administration d’un analogue du médiateur insuffisamment produit: la L- ou D-Dopa. Celui-ci se prend par voie orale et entre donc au contact du microbiote. Et forcément, une partie du produit se trouve dégradé. 

Mais la proportion peut devenir importante chez certains patients qui, du coup, ne bénéficient pas du dosage espéré du traitement. Encore fallait-il identifier les coupables ou, au moins, le principal d’entre eux. Ce qui a été fait en soumettant de la dopamine à des cultures de tous les germes digestifs (identifiées dans les matières fécales), afin de voir lequel se rendait trop efficace dans la dégradation. Et le (principal) coupable a pu être identifié: il s’agit d’Enterococcus faecalis. Il restait à trouver ensuite le moyen de le bloquer. Ce qui a également été fait. On sait désormais ce qu’il faut ajouter comme adjuvant à la classique Dopa pour rendre le traitement opérant. Tout n’est pas résolu pour autant car une autre bactérie du microbiote, Eggerthella lenta, est, elle, capable de transformer la dopamine en un composé doté d’effets indésirables, qu’il faut forcément aussi tenter de réduire.

Rien n’est simple, on le voit. Sans oublier que le vivant sait s’adapter, évoluer. Même si une étape thérapeutique a été franchie, rien n’est définitivement acquis; sur le front de la maladie de Parkinson comme sans doute dans bien d’autres domaines des traitements à effet thérapeutique !

   Science, 2019; 364, eaau6323

L’aile ou la cuisse ?

Notre consommation de volatiles tient forcément à leur taille: caille et pigeon se mangent «en entier» quand du poulet, on retiendra l’aile, la cuisse, le blanc ou pour les connaisseurs, le sot-l’y-laisse. De l’autruche, un steak suffit à combler une faim normale. Mais qu’en est-il du Pachystruthio dmanisensis ? Certes, le nom latin ne dit rien à la plupart. Et l’animal, autant le préciser, a disparu depuis bien longtemps; depuis le Pleistocène, soit près d’1,7 million d’années tout de même. Mais il a connu l’homme, qui l’a peut-être chassé et consommé. Car il devait faire envie et attiser les appétits, ce volatile; surtout pendant les périodes glaciaires au cours desquelles les calories qu’il pouvait fournir n’étaient jamais de trop. Quelques valeurs pour se faire une idée ? Cet oiseau, auquel l’aptitude au vol avait été retirée (on va comprendre pourquoi), devait mesurer près de 3,5 m de haut et peser… 450 kg ! 

Une autre particularité: c’est le seul animal du genre identifié (pour le moment) dans l’hémisphère nord, du côté de la Crimée, à proximité de la Mer noire. On sait qu’il a eu des cousins en Océanie, dont le Moa (voir image ci-contre) qui ne devait pas lui rendre grand-chose en matière de mensuration. Cette sorte de grande autruche est éteinte elle aussi, comme sans doute d’autres espèces aux dimensions hors normes apparentées. Mais la disparition du Moa est nettement plus récente puisque c’est vers le 13e siècle de notre ère, avec l’arrivée des Maoris en Nouvelle Zélande, qu’il a connu l’extinction. L’un ou l’autre squelette peut encore témoigner de son existence. Pour le géant de Crimée, nous ne possédons qu’un fémur pour attester de sa présence et de ses dimensions. C’est peu mais suffisant pour que des spécialistes puissent recomposer le reste.  

Pour en terminer avec Pachystruthio, il est vraisemblable qu’il a pu être chassé par un de nos lointains ancêtres comme Homo ergaster, qui a dû atteindre les zones d’extension du drôle d’oiseau dans sa conquête territoriale. Donnait-il préférence à l’aile ou à la cuisse ? Les connaissances archéologiques n’en disent malheureusement rien… 

   J. Vert.Paleontol. 2019
http://doi.org/gf4fp9

Pourquoi
certaines plantes produisent-elles du latex ?

Hormis pour que nous en fassions du caoutchouc, c’est avant tout pour se fabriquer des armes de défense et décourager leurs prédateurs habituels. C’est le cas en particulier des Euphorbes qui, lorsqu’elles sont attaquées, produisent une sorte de latex qui englue l’imprudent prédateur. Sauf que des naturalistes ont observé que la chenille d’un papillon nord-américain, Theroa zethus, ne semble en aucun cas affectée par cette mesure de dissuasion. Et ils ont bien entendu cherché à savoir pourquoi. La réponse tient à une riposte adaptative. Lorsqu’elle entre en contact avec ce latex qui se fige, la chenille commence par le découper à l’aide de ses mandibules pour se libérer du réseau fibrillaire qui la retient, puis elle secrète un acide qui non seulement poursuit le travail de destruction entamé sur le latex, mais entame aussi la couche de cire qui recouvre et protège le végétal. L’animal peut alors se repaître à volonté des tissus charnus qui s’offrent à lui. 

Et d’où lui vient cet acide, se demandera-t-on ? Il est naturellement produit depuis longtemps par le tégument de la chenille pour dissuader ses propres prédateurs naturels: des oiseaux pour la plupart. Et dans le cas présent, une adaptation évolutive aléatoire mais heureuse pour la chenille, a mené cette production à être détournée vers une fonction additionnelle. Judicieux. Jusqu’au jour où les Euphorbes trouveront la parade à la parade: la partie n’est donc pas finie !

   PloS One 2019; 14 e218994 et Nature 2019; 571: 301

 

Les liens de latex produits par les pétioles de l’euphorbe Poinsetta (la rose de Noël) sont dégradés par la 3e larve de Theroa zethus.

L’équilibre,
c’est le pied !

À force d’être en permanence appuyés dessus, on en vient à oublier que nous avons des pieds, sauf si, pour une raison quelconque, ils nous font souffrir. Et ces pieds ont une base plantaire qui nous permet d’avoir un contact avec le sol dès l’instant que nous quittons chaussures, sandales et pantoufles. Ce n’est pas anodin: comme nos mains, nos pieds disposent de très nombreuses terminaisons nerveuses qui nous offrent une foule d’informations tactiles et thermiques dont nous n’avons pas forcément conscience. Et que nous ayons des chaussures n’y change pas forcément grand-chose.

Finalement, il n’y a pas très longtemps, à l’échelle du temps, que l’être humain a décidé d’habiller ses pieds. D’abord, ses lointains ancêtres étaient encore quadrumanes il y a 6 millions d’années et si l’homme moderne (Homo sapiens) est apparu il y a 200 000 ans, il y a à peine 40 000 ans qu’il a commencé, de façon occasionnelle, à vêtir ses pieds de peau animale. Et ce n’est qu’à partir de la Révolution industrielle, au milieu du 19e siècle que les chaussures, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ont réellement fait leur apparition.

Cela n’empêche pas de nombreux humains de continuer à marcher pieds nus au quotidien; par habitude, parce que les chaussures coûtent trop cher ou simplement parce qu’ils préfèrent de loin profiter de cette liberté plantaire sans contrainte. Cette attitude a simplement forcé le pied à s’adapter: il a progressivement formé des cals plus épais de 30 à 35% que ceux que le port de la chaussure autorise. Cela a-t-il un coût en matière de perte de sensibilité ? C’est ce que des chercheurs ont voulu savoir. Ils ont placé des capteurs sensitifs à différents endroits de la plante de pieds habituellement vêtus – ou non – de chaussures. Et le résultat, étonnant, est qu’il n’y a pas de différence. En dépit de l’épaisseur du cal présent, les sensations semblent perçues de la même manière. On peut du reste en faire l’expérience soi-même si, au retour des beaux jours, on préfère retrouver les sensations nées du contact épidermique étroit avec le sol et, au-delà, avec la nature au sens le plus large.

À chacun d’opter pour ce qu’il préfère; en n’oubliant pas les conventions, les risques de blessure, les rigueurs du climat et les exigences liées à l’activité ou à l’âge. Bref, à quelques différences pathologiques près, le pied sait toujours se montrer à la hauteur; même au ras du sol !

   Nature, 2019 ; 571 : 176-177 et 261-264

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