Mathématiques

Un surbooking… calculé !

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À l’approche des congés de printemps et des premiers beaux jours, il n’est pas du tout impossible que vous ayez envie de prendre l’air et peut-être même de prendre les airs. Une belle occasion pour moi de vous expliquer comment les compagnies aériennes s’appuient sur les mathématiques pour calculer le surbooking idéal !  

 

Enfin, techniquement, le mot exact est plutôt l’overbooking ou en français: la surréservation. Mais l’usage en est tel que j’ai décidé de me conformer à l’anglicisme. Le surbooking, c’est la pratique qui consiste à prendre plus de réservations que le nombre de places disponibles… en espérant qu’il y aura des absents. Ça peut se faire dans tous les domaines mais le phénomène est surtout répandu auprès des grandes compagnies aériennes. Et contrairement à ce qu’on entend parfois, cette pratique n’est pas du tout illégale. Moralement, elle peut être douteuse mais rien ne l’interdit. Pour autant, bien sûr, que des indemnités de dédommagement soient prévues pour les malheureux voyageurs qui seraient privés de place. Et si les compagnies sont prêtes à prendre ce risque, c’est parce que – quand il est bien calculé – elles peuvent maximiser considérablement leurs profits. Et c’est là tout leur intérêt ! Puisque tout est une question de risques et donc, de probabilités, commençons par une autre question assez simple.

Si vous lancez un dé, quelle est la probabilité d’obtenir 2 ? Puisqu’il y a 6 résultats possibles et que votre dé n’est pas truqué, la probabilité d’obtenir 2 est de 1/6e. Une chance sur 6. Ce qui signifie aussi que la probabilité de ne pas obtenir 2 est forcément de 5 chances sur 6. C’est ce qu’on appelle l’événement complémentaire. Maintenant, imaginons que vous lanciez le dé non pas une fois, mais bien 5 fois. La probabilité d’obtenir 2 une et une seule fois est de (1/6) multiplié par (5/6) élevé à la 4e puissance. Ben oui, si vous avez obtenu une seule fois le 2, c’est qu’il y a 4 autres tirages où vous ne l’avez pas obtenu, d’où la présence de l’exposant 4. Mais attention, le 2, vous pouvez l’obtenir soit au premier essai, soit au 2e essai, au 3e, au 4e ou même au 5e. Ce qui signifie que vous devez multiplier le résultat précédent par 5. Donc, si vous lancez 5 fois un dé, la probabilité d’obtenir une et une seule fois le 2 est de (1/6) x (5/6)4 x 5, soit 40,18%. C’est un exemple classique de la LOI BINOMIALE.

La puissance de la combinatoire

Augmentons maintenant la difficulté d’un cran. On jette toujours le dé 5 fois et cette fois-ci, on va calculer la probabilité d’obtenir 3 fois (et seulement 3) le résultat 2. Selon la loi binomiale que je viens d’évoquer, vous devez effectuer comme calcul: (1/6)³ x (5/6)². Jusque-là, rien de bien difficile mais là où ça se complique, c’est qu’il ne faut pas oublier de multiplier ce résultat par le nombre de façons d’obtenir 3 fois le résultat 2 dans 5 tirages. Et là, c’est moins évident que dans l’exemple précédent. Il faut détailler les différentes possibilités. Heureusement, je l’ai fait pour vous et grâce au tableau ci-contre [FIG 1], vous voyez immédiatement qu’il y a 10 façons d’obtenir 3 fois le résultat 2. Ici, j’ai recensé tous les cas «à la main» mais heureusement, il existe des formules mathématiques (voir encadré ci-dessous) pour aller beaucoup plus vite. C’est une branche des mathématiques qu’on appelle la combinatoire. Mais quel est le rapport avec le surbooking ? Pas d’impatience: j’y arrive !

   Pour calculer le nombre de façons de choisir 3 éléments parmi 5 en considérant que l’ordre des éléments choisis n’a aucune importance, il suffit
d’appliquer la formule: C (3,5) = 5! / 3! x (5-3)!

Y être ou ne pas y être

Pour faire simple, supposons qu’un avion dispose de 100 places et que la compagnie aérienne décide de vendre 103 billets. En appliquant la loi binomiale, vous pouvez facilement calculer la probabilité que 101 voyageurs par exemple se présentent. Bien sûr, il faut d’abord connaître la probabilité qu’un voyageur soit présent. Mais c’est assez simple: les compagnies aériennes n’ont qu’à regarder les vols précédents et faire une moyenne. En 2016, EasyJet a déclaré que 2,6 millions de ses passagers ne se sont pas présentés pour leur vol. C’est loin d’être anecdotique puisque ça représente tout de même 3,5% des passagers. Ça signifie que sur un vol de 200 places, 7 voyageurs ratent leur avion. Certains pour de bonnes raisons, d’autres pour de moins bonnes. Ne riez pas, ça m’est encore arrivé ce mois d’août, j’ai confondu l’heure de départ avec l’heure d’arrivée !

Revenons à notre exemple: un vol de 100 places et une compagnie qui vend 103 billets en sachant, grâce à ses datas, qu’en moyenne, seulement 95% des passagers se présentent. Alors, la probabilité que 101 voyageurs se présentent est de 95% exposant 101 multiplié par 5% exposant 2. Le tout multiplié par le fameux coefficient qui égale ici 5253. Ainsi donc, la probabilité que 101 voyageurs se présentent est de 7%. Avec les mêmes calculs, on trouve que la probabilité que 102 passagers se présentent n’est que de 2% et celle que les 103 soient tous présents est seulement de 0,5%. En fait, en observant le tableau ci-contre [FIG 2], vous pouvez constater que la probabilité la plus importante est que 98 voyageurs se présentent. Et vous comprenez tout à coup pourquoi les compagnies aériennes ont décidé de faire du surbooking.

Maintenant, il reste une question importante: combien de places supplémentaires vendre ? Évidemment, plus la compagnie vend de places supplémentaires, plus elle engrange de bénéfices mais attention car il y a tout de même un risque non négligeable de 7,3% que 101 voyageurs se présentent. Et dans ce cas, il faut dédommager conséquemment le voyageur resté sur le carreau. C’est le risque à prendre pour la compagnie qui, normalement, accepte les règles du jeu. 

Une espérance… mathématique

Imaginons un vol dont le coût du billet est de 200 € et qu’en cas de surbooking, la compagnie le dédommage à hauteur de 800 €. Si la compagnie vend 103 billets alors, elle aura empoché 20 600 €. Si seulement 100 personnes ou moins se présentent, c’est bien joué. Elle aura vendu 3 billets en plus, soit un gain de 600 €. Et cette situation a exactement 89,3% de chances de se produire. C’est facile à calculer car il suffit de déduire de 100% la probabilité que 101, 102 ou 103 voyageurs se présentent. Mais attention, si 101 voyageurs se présentent, alors à cause du dédommagement, le bénéfice de 600 € se transforme en une perte de 200 €. Et ceci va se produire tout de même dans 7,3% des vols. Et pire, n’oubliez pas que 102 voyageurs peuvent se présenter avec une probabilité de 2,7%. Dans ce cas, la perte est encore alourdie et bascule de 200 à 1 000 €. Et si l’avion est exceptionnellement complet, c’est la déconfiture. Ce qui peut se produire, en moyenne, 0,5 fois sur 100. Très rare mais pas impossible du tout. Dans ce cas, la compagnie enregistrera une perte de 1 800 €.

Maintenant que nous avons décortiqué les 4 situations possibles en y associant les différentes probabilités (voir tableau ci-contre [FIG 3]), il suffit de rassembler tous ces résultats en un seul. C’est ce que les mathématiciens désignent sous le nom fabuleux d’espérance. Tout est dit dans le nom. Pour la calculer, il suffit de prendre chaque bénéfice (ou perte) et de le multiplier par la probabilité associée. On additionne ensuite tous les résultats obtenus et le tour est joué. Ainsi, dans notre exemple, il suffit de multiplier 0,89 par 600; 0,07 par -200 (puisque ce n’est pas un bénéfice mais une perte); 0,02 par -1 000 et 0,005 par -1 800. Et en additionnant le tout, on obtient… 484,69 €. BINGO ! Faire du surbooking en vendant 103 billets, c’est tout «bénef» pour la compagnie aérienne. En moyenne, elle peut espérer un gain supplémentaire de 484 € à chaque vol.

De mieux en mieux ?

Mais 103 billets, c’était juste un exemple ! Peut-être que faire du surbooking avec 104 billets, c’est encore mieux ? Dans ce cas, l’espérance de gain est de 504,32 € à chaque vol ! Elle est pas belle la vie pour les compagnies ? Et si vous tentiez de mettre en vente 105 billets ? Pour le coup, l’espérance chute à 399,60 € car le nombre bascule a été atteint précédemment.

Bien évidemment, le modèle mathématique adopté par les compagnies aériennes est beaucoup plus fin. Ne fut-ce que pour déterminer le pourcentage des voyageurs qui se présentent pour leur vol. En réalité, celui-ci dépend des pays, des aéroports, des saisons mais aussi depuis combien de temps un voyageur a réservé son vol ! Il y a bien plus de chances qu’un voyageur ne se présente pas s’il a réservé son vol 3 mois à l’avance que si cette réservation a été effectuée 2 jours plus tôt. Cela dit, vu l’intervalle de temps entre les 2 réservations, vous avez comme moi que les 2 voyageurs n’auront pas payé le même prix pour le même billet. Mais ça, c’est encore une autre histoire !

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