Chimie

La chimie dans la presse : perles, erreurs et anecdotes

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

© luismolinero – stock.adobe.com 

Force est de constater que les journalistes se préoccupent généralement très peu de la chimie et de la nomenclature en particulier. Il est clair que certains feraient mieux de consulter un chimiste avant de publier leurs articles ! Un petit éclairage de la part de ces derniers s’avérerait parfois judicieux. À l’instar des désormais célèbres perles annuelles du «BAC» français, voici un petit florilège des plus belles «bourdes» (totalement authentiques) repérées dans la presse et qui ne pourront que vous faire bondir ou sourire. 

Lu dans un journal français, en rapport avec la résistance d’une montre pour plongeurs: «Résiste aux chocs jusqu’à 20 barres.» Là, les journalistes ont mis la barre bien bas en ce qui concerne l’orthographe ! Une pression de 1 atmosphère (atm) correspond très exactement à 1,01325 bar, ou encore à 1 013,25 millibars (mbar), actuellement appelés hectopascals (hPa). Il est cependant courant, en plongée sous-marine d’assimiler l’atmosphère au bar.

Lu dans un article décrivant le nouveau style d’une voiture allemande: «Les bulbes allogènes sont remplacés par des feux de jour type barrette de LED.» Rien à voir avec des bulbes végétaux ! Comprenez: les lampes à halogène sont remplacées par des feux de jour type barrette, constitués de diodes électroluminescentes (LED pour Light Emitting Diode).

Dans une publicité en rapport avec la bonne manière de servir le vin, j’ai pu lire dans un quotidien français: «N’oubliez pas de déboucher le vin quinze minutes avant le dîner afin que le gaz carbonique s’en échappe.» S’il s’agit de champagne, c’est bien du dioxyde de carbone qui s’échappe, mais il est préférable de n’ouvrir la bouteille qu’au moment de servir, afin que le breuvage ne s’évente pas ! Par contre, dans le cas d’un vin rouge, il est opportun d’ouvrir la bouteille à l’avance pour aérer et donc oxygéner le vin afin de l’assouplir. On recommande même de retirer un premier verre de la bouteille en vue d’augmenter la surface de contact du liquide avec l’air qui, autrement, se limite à l’aire du goulot.

Un hebdomadaire belge bien connu avait publié un article au sujet de l’existence possible de formes de vie sur la planète Mars. Dans ce contexte, la composition chimique de l’atmosphère martienne était comparée à celle de la Terre. On pouvait y lire: «(…) l’atmosphère terrestre est essentiellement constituée de 20,6% d’oxygène et de 78% d’azote. À titre de comparaison, l’atmosphère martienne contient surtout du dioxide (sic) de carbone (95,3%), avec seulement 0,1% d’oxygène et 2,7% de nitrogène.» Comment s’y retrouver ? En anglais, nitrogen signifie azote, ce qui rend à présent le texte compréhensible. Ce gaz est peu présent dans l’atmosphère martienne, alors qu’il est majoritaire sur Terre. En outre, il y a pratiquement 200 fois moins d’oxygène sur Mars par rapport à la Terre, le gaz majoritaire y étant en réalité le CO2 (en français, dioxyde – et non dioxide – de carbone).

Dans un quotidien belge, j’ai pu lire il y a quelque temps: «Catastrophe écologique: un chimiquier s’est abîmé dans la mer du Nord. Il transportait des fûts remplis de cyanide de natrium !» Mauvaise traduction de l’anglais: il s’agit bien entendu de cyanure de sodium (NaCN), par ailleurs extrêmement toxique !

En consultant le célèbre Merck Index, on peut lire, dans la monographie 4865 (14th Edition) consacrée à l’acide hypochloreux, que la solution aqueuse du sel potassique de cet acide s’appelle l’eau de Javelle, au lieu de Javel ! C’est le chimiste français Claude Berthollet (1748-1822) qui découvrit les hypochlorites et les appliqua au blanchiment des toiles de lin et chanvre. La première usine de production de la fameuse solution de Berthollet était située… quai de Javel à Paris.

Dans la littérature scientifique, l’usage abusif d’acronymes mène à des situations équivoques ! Ainsi, un même acronyme peut désigner 2 composés chimiques totalement différents: TEA est, pour les uns, de la triéthanolamine et, pour d’autres, du triéthylaluminium. À l’inverse, une même molécule peut être décrite par 2 acronymes différents: ainsi, la triéthylènediamine (TED) s’appelle aussi 1,4-diazabicyclo[2.2.2]octane (DABCO). Même un chimiste s’y perdrait ! Dans le même ordre d’idée, une péniche transportant du cyanure de vinyle, CH2=CH–CN, une substance intervenant dans l’industrie des polymères – se voyait bloquée à la frontière belge en raison de la toxicité de cette substance. Le problème fut résolu par les industriels en étiquetant leurs fûts avec l’appellation «acrylonitrile».

Un livre ayant pour titre The Chemistry of Silicon a trait aux propriétés chimiques du silicium et non des silicones (idem en anglais). Le silicium est l’élément chimique (Si) de numéro atomique 14 qui est situé juste en dessous du carbone dans le tableau périodique des éléments. À l’état très pur, mais dopé en vue d’être transformé en semi-conducteur, c’est le matériau par excellence de l’électronique. Les silicones sont des composés du silicium (R2SiO), analogues des cétones (R2CO) de la chimie organique, d’où la désinence -one. Leurs dérivés issus de polymérisations, également appelés silicones, sont adaptés, en fonction de la longueur des chaînes et du taux de réticulation, pour des usages très divers. Le même type de piège se rencontre dans le mot Chlorofluorocarbons, qui désigne les chlorofluorocarbures, c’est-à-dire les Fréons, alors que le mot isolé Carbon se traduit bien par carbone. Et, d’autre part, les carbures, tels le carbure de calcium, se disent carbide.

Empirical formula est la formule brute (Journal officiel du 18 avril 2001) et non une formule empirique. Il s’agit de la formule obtenue par la juxtaposition des symboles atomiques, pour donner l’expression la plus simple possible de la composition stœchiométrique du composé considéré compatible avec les résultats de l’analyse élémentaire quantitative. Ainsi, la formule brute du glucose est CH2O, alors que sa formule moléculaire, qui tient compte de la masse molaire effective de cet ose est C6H12O6.

Proton est, strictement parlant, un hydron (Journal officiel) et non un proton. Le nom hydron désigne le mélange des cations 1H+, 2H+ et 3H+, dans les proportions naturelles des isotopes de l’hydrogène. Par ailleurs, le terme proton ne devrait être réservé qu’à la dénomination du cation 1H+ correspondant au seul isotope 1H (protium), tout comme les noms de deutéron et de triton correspondent aux cations 2H+ et 3H+. Ce terme hydron passe apparemment mal dans les écrits scientifiques – peut-être parce qu’il semble plus aisé de «protonner» que d’«hydronner» -, alors que le nom hydrure, correspondant à l’anion H, est tout à fait accepté.

Dans un journal régional français, l’auteur de l’article suivant mentionnait par ces mots l’existence d’un laboratoire rénové dans un lycée: «Fioles, ballons et becs-benzène étaient à l’honneur hier dans le laboratoire du lycée.» Ah, les fameux becs-bunsen…

Plus fort encore: «le site Ucatex à Bangui est pollué par « …des hydrocarbures aromatisés (cancérigènes)… » »Comprenez aromatiques. Pour être aromatiques, ces molécules doivent être planes, conjuguées et posséder des électrons délocalisables répondant à la règle 4n + 2 de Hückel. Il n’est donc aucunement question de parfum !

Dans un journal du midi de la France: «Des diplômes ont été remis aux récipients d’air.» Sans commentaire pour les récipiendaires !

Aucun doute: pour certains, la chimie n’est pas une science exacte !

Une dernière anecdote qui vaut la peine d’être racontée: Einstein avait été invité dans les années 1920 à présenter une conférence sur ses travaux dans les plus importantes villes des États-Unis. Pour mener à bien ce programme, les autorités américaines avaient mis à sa disposition une voiture avec chauffeur. Après quelques semaines, lors d’un retour à l’hôtel, le chauffeur dit à Einstein: «À force d’écouter votre conférence, je pense que je serais capable de la donner à votre place !» Einstein, dont peu de gens connaissaient à l’époque la tête, le prit au mot… 

C’est ainsi que le lendemain, dans  la salle des fêtes de Baltimore, le  chauffeur entama la conférence  d’Einstein devant un public  nombreux et fort attentif. Einstein,  quant à lui, était assis tout au fond,  près de la porte de sortie. Mais au  moment où le chauffeur termina  son exposé, assez valablement  paraît-il, un des auditeurs se leva et  posa une question très pointue au  conférencier. Décontenancé mais  sans perdre son sang-froid, le  conférencier imposteur posa un regard compatissant sur cet  homme, tout en pointant son index  vers Einstein: «Monsieur, votre  question est tellement banale que  c’est mon chauffeur qui va vous répondre !» 

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