Chimie

Un regard moderne sur  l’alchimie

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

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L’épopée alchimique a existé durant des milliers d’années. On peut considérer que parmi ces «charlatans» figuraient aussi de grands érudits qui jetèrent les bases technologiques d’une préchimie. Leur objectif était essentiellement de transmuter les vils métaux en or grâce à la pierre philosophale et ce, afin de créer un élixir d’immortalité 

Le Chimiste, gravure de David Teniers,
Galeries de photos d’Europe, édition de M.S. Loup, vol. 1, 1862, Saint-Pétersbourg

 
Qu’il s’agisse de feux grégeois ou de poudre à canon, on en impute la découverte aux Chinois. En ce concerne le feu grégeois (l’ancêtre du lance-flamme, mis au point dès le 7e siècle et employé notamment par les Byzantins), il s’agit d’un mélange incendiaire fonctionnant même au contact de l’eau. Cet équivalent médiéval du Napalm comprend du soufre, du bitume, du salpêtre (sal petrosum, KNO3, nitrate de potassium libérant de l’oxygène), ainsi que de la chaux vive (CaO, présentant une chaleur élevée d’hydratation). Quant à la poudre à canon (poudre noire), il fallut attendre jusqu’au 13e siècle avant d’obtenir une mixture pouvant être manipulée sans trop de danger. En voici une formule, classique, à mélanger très prudemment: 75% de KNO3, 12,5% de charbon de bois et 12,5% de soufre. Une fois mise à feu, une telle poudre crée brusquement sous forme gazeuse plus de 2 500 fois son volume d’origine tout en atteignant des températures approchant 3 000 °C.

En ce qui concerne l’alchimie proprement dite (1), de nombreuses expériences qui se retrouvent dans la littérature des initiés sont souvent mal comprises. Ceci est dû à la nature obscure des ingrédients décrits. L’objectif de cet article est d’y voir plus clair.

Les minerais de nombreux métaux contiennent des oxydes (CuO, PbO, etc.). L’agent réducteur le plus important, aujourd’hui comme jadis, est le carbone dont le premier produit de combustion est le monoxyde de carbone (CO), lequel manifeste encore un pouvoir réducteur puisqu’il est capable de s’oxyder jusqu’au stade de dioxyde de carbone (CO2).

Certains métaux se présentent essentiellement sous la forme de sulfures, lesquels doivent alors être préalablement «grillés» avant de faire subir une réduction à l’oxyde obtenu. Il est à noter que le sulfure de mercure (cinabre, HgS) ne nécessite pas ce grillage. Une réduction thermique par l’oxygène de l’air suffit.

(1) Les expériences de chimie font intervenir des substances qui peuvent présenter certains dangers. Les risques sont réels. Eu égard à ceux-ci et à la toxicité de la plupart des produits chimiques, le lecteur est invité à respecter scrupuleusement les consignes de sécurité là où il sied. Nul n’est censé les ignorer !

 
Des alliages plutôt que les métaux

Le concept d’un métal, au sens strict, c’est-à-dire d’un élément bien défini dont les propriétés chimiques sont invariables, n’était pratiquement jamais atteint par les alchimistes, lesquels étaient plus habitués à mettre en œuvre des alliages de ceux-ci. Dans cette optique, ils attachaient une grande importance aux couleurs, en assimilant celle des alliages dorés ou argentés à de l’or ou à de l’argent. Ainsi, l’or obtenu dès le 3e millénaire avant J.-C. dans l’Égypte antique n’était en réalité qu’un alliage fort pâle et très riche en argent qu’on appelait électrum. Il servait notamment à recouvrir la pointe des pyramides. Et en réalité, les Égyptiens considéraient que cet électrum était un métal différent des 2 métaux constitutifs. Dans le Paryrus X de Leyden, écrit vers le 3e siècle après J.-C., on retrouve quelques dizaines de recettes d’alliages écrites en suivant des consignes dénuées de tout hermétisme. Certaines impliquent même l’intervention d’un amalgame d’or, voire de minces feuilles d’or.

Pigments et eaux

L’emploi de substances minérales en tant que sources de couleurs destinées à des revêtements huileux (ou aqueux) est démontrable jusque dans les grottes préhistoriques. En voici quelques exemples, avec leur nom ancien:

· Blanc de Saturne (Céruse de plomb ou carbonate de plomb basique, 2PbCO3.Pb(OH)2)

· Jaune de Naples (Antimoniate de plomb, Pb2Sb2O7)

· Minium de plomb (Oxyde mixte de plomb(II) et (IV), 2PbO.PbO2, c’est-à-dire Pb3O4, rouge)

· Cinabre (Sulfure de mercure(II), HgS, rouge vermillon)

· Litharge (Variété α d’oxyde de plomb(II), rouge)

· Massicot (Variété β d’oxyde de plomb(II), jaune)

· Or mussif (Sulfure d’étain(IV), SnS2, imitant l’or)

· Orpiment (Sulfure d’arsenic(III), As2S3, imitant l’or).

 Quant aux diverses eaux-de-vie obtenues à la suite de la distillation d’un liquide approprié (comme du vin), elles étaient censées offrir un élixir de longue vie. Les alchimistes vont exploiter intensément cette technique, comprenant un processus de fractionnement scientifiquement contrôlé, le tout ayant débuté dans l’histoire en même temps que la découverte de l’alcool. Vers l’an 1300, un certain A. Villanova, médecin et chimiste, désignait cette eau-de-vie par les appellations aqua ardens, aqua vini ou encore aqua vitae, étant donné que cette boisson pouvait, pensait-on, servir de solvant pour la pierre philosophale nécessaire à la préparation de l’élixir de vie.

Par ailleurs, les Grecs et les Romains ne connaissaient pas les acides minéraux qui ne furent découverts qu’entre les 12e et 15e siècles. Ainsi, Basile Valentin, un moine bénédictin, découvrit avec quelques collègues l’huile de vitriol (H2SO4). Il s’agit d’un liquide (acide sulfurique) fumant, très corrosif en raison des vapeurs de trioxyde de soufre (SO3) qu’il dégage. Vient ensuite l’aqua fortis (HNO3, l’acide nitrique, de même qu’un dernier acide (HCl, l’esprit de sel), en l’occurrence l’acide chlorhydrique. Enfin, lorsque ces 2 acides (HNO3 et HCl concentrés sont mélangés en proportions bien déterminées (en fonction de l’usage recherché), on obtient une solution (aqua regia, eau régale) qui est capable de dissoudre l’or et l’argent, selon l’équation présentée ci-après dans le cas de l’or (Au):

Au + HNO3 + 4 HCl → HAuCl4 + NO + 2 H2O

Et les bases dans tout cela ?

Les alchimistes connaissaient le calcaire, sans comprendre au début pourquoi cette pierre perdait par calcination dans un four un tiers de sa masse. En fait, Joseph Black démontra en 1775 qu’il ne s’agissait pas d’eau mais bien de dioxyde de carbone (CO2, l’air fixé), ne laissant plus que de la chaux vive (CaO) à la place du calcaire.

CaCO3 Chaleur → CaO + CO2

Cette chaux vive peut être «éteinte» avec de l’eau, ce qui fournit de l’hydroxyde de calcium (Ca(OH)2).

De même, la potasse caustique (KOH, hydroxyde de potassium) peut être obtenue à partir de CaO et K2CO3 selon les directives du même Basile Valentin:

CaO + K2CO3 + H2O → CaCO3 + 2 KOH

Enfin, l’ammoniac caustique (NH3) fut préparé à partir de NH4Cl (sal ammoniac) dès le 13e siècle par divers alchimistes (dont Raymond Lulle).

La transmutation, on y est oui ou non ?

En apparence, c’est bien joué. Il suffit de tremper une lamelle de fer dans une solution d’un sel cuivrique, par exemple du sulfate (vitriol bleu (CuSO4.5H2O). On remarque immédiatement que la lamelle de fer se recouvre progressivement d’une couche de cuivre métallique (ressemblant à de l’or), tout en se dissolvant. L’équation chimique est donc:

Fe + Cu2+ → Cu + Fe2+

En réalité, il n’y a pas eu de véritable transmutation: le cuivre en solution est cuivrique, c’est-à-dire à l’étage d’oxydation +II. Il se réduit en cuivre métallique, à l’étage zéro. Quant au fer métallique à l’étage zéro, il s’oxyde en ion ferrique, à l’étage +II. On sait maintenant qu’il s’agit d’un processus redox tout à fait logique: le fer, en s’oxydant, permet au cuivre de se réduire (grâce aux 2 électrons libérés que captent les ions cuivriques). Ou encore, le cuivre, en se réduisant, permet au fer de s’oxyder. Mais ceci est une autre histoire où interviendra Jean-Baptiste van Helmont, (al)chimiste belge (1579-1644). Ce dernier eut le grand mérite d’entamer le tournant de l’alchimie vers une chimie résolument moderne.

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