Physique

Voyage au centre de la Terre

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

© Vadimsadovski – stock.adobe.com

Une étude semble mettre en évidence que le noyau interne de la terre ralentit depuis quelques années et tourne plus lentement que la planète elle-même. Mais les entrailles de notre planète demeurent bien mystérieuses !

 
Les héros du roman de Jules Verne (Voyage au centre de la Terre) n’auront guère plus de réussites que les géophysiciens actuels: ils n’ont sans doute pénétré que de quelques kilomètres sous la surface, de même qu’aujourd’hui, les sondages les plus performants n’atteignent qu’environ 12 km de profondeur. Car si nous envoyons des sondes vers la Lune ou les planètes du système solaire, ramenant des échantillons de roches à analyser, la centre de la Terre nous est interdit et beaucoup de questions demeurent.

Ce n’est qu’en 1936 que la sismologue danoise Inge Lehmann formule l’hypothèse d’un noyau terrestre séparé en 2: un noyau liquide, externe, et un noyau solide (graine) qui tourne sur lui-même à l’intérieur du précédent.  Dans la suite, on mesurera que le noyau liquide commence vers les 2 800 km de profondeur; le solide de 5 100 km jusqu’au centre de la terre (6 371 km). Les 2 sont composés d’une grande majorité de fer et d’un peu de nickel plus quelques éléments plus légers qu’on ne connaît pas encore avec certitude. Le noyau interne a une température sans doute supérieure à 6 000 °C et la pression qui y règne est de 3,5 millions de bars (pour rappel, la pression que nous subissons à la surface de la Terre est d’environ 1 bar, ce qui donne la mesure du gigantisme de la pression subie au centre) ! 

Ondes sismiques

Mais comment a-t-on découvert ces quelques propriétés, même lacunaires ? Essentiellement à cause des ondes sismiques. Car à défaut d’observer directement le noyau ou d’y placer des instruments de mesure, il ne reste qu’à procéder de manière indirecte. Or les ondes sismiques, produites par un tremblement de terre (ou une déflagration nucléaire sous-terraine !), se propagent en surface et en profondeur et sont de parfaits agents pour espionner le cœur de la planète. Certaines de ces ondes (dites en volume), traversent l’intérieur de la planète; d’autres, dites de surface, se propagent en suivant la surface de la croûte terrestre. Les premières peuvent être longitudinales (ondes P) ou transversales (ondes S). Les ondes P sont des ondes de compression, c’est-à-dire qu’ à leur passage, la matière se dilate, se compresse, se dilate, etc. Ce sont les plus rapides, elles traversent tous les milieux, y compris le centre de la Terre. Les ondes S (appelées aussi ondes de cisaillement) provoquent un mouvement perpendiculaire du sol. Ces ondes, comme toutes les ondes, peuvent être réfléchies, réfractées, etc. en fonction du milieu qu’elles rencontrent. Autrement dit, à chaque changement de milieu, elles ont des caractéristiques (notamment leur vitesse de propagation) différentes. Un peu comme les ondes lumineuses renvoyées par une paille qui est dans un verre d’eau. Là où la paille plonge dans l’eau, elle nous paraît faire un léger coude et elle nous paraît légèrement plus grosse dans l’eau que dans l’air. C’est en étudiant les différences de propagation de ces 2 types qu’en 1910, on a pu distinguer le manteau de la Terre de son noyau (liquide). Chaque changement de milieu va induire une modification du trajet et de la vitesse de l’onde. Particulièrement, la vitesse des ondes va aussi dépendre de la composition des milieux traversés.  D’où la détermination de l’alliage fer-nickel pour le noyau.

Qu’en est-il alors de la rotation du noyau ? Tout d’abord, c’est le noyau interne, solide, qui est affecté d’un mouvement de rotation. Un mouvement vital pour toute forme de vie puisqu’il semblerait que c’est cette rotation qui provoque des turbulences dans le noyau externe, lesquelles seraient à l’origine du champ magnétique terrestre (l’effet dynamo) qui nous protège des radiations et particules solaires.

Même avec l’aide des ondes sismiques, pas facile de voir avec certitude ce qui se passe aussi profondément sous nos pieds. Depuis plusieurs années, on sait que ce noyau tourne et que sa vitesse de rotation n’est pas constamment la même mais sans doute inscrite à l’intérieur d’un cycle, cependant dans le même sens et plus rapidement que la Terre elle-même (le manteau). C’est ce qu’on appelle la «super-rotation» du noyau.

 
Rotation ralentie

Mais une étude de janvier 2023 publiée dans Nature Geoscience (1) avait suscité un petit émoi: le noyau de la Terre se serait arrêté avant d’entamer une rotation en sens inverse. À l’époque, l’Observatoire Royal de Belgique avait même publié un communiqué précisant que l’étude n’indiquait rien de tel et qu’elle avait été mal comprise ! En fait, l’étude évoque la possibilité d’un léger décalage entre les vitesses de rotation de la graine et du manteau (la Terre elle-même).  Et que cela se produisait selon un cycle (entre 60 et 70 ans). En fait, le noyau oscillerait entre une super-rotation (plus vite que la Terre elle-même) à une sous-rotation (moins vite que la Terre). En aucun cas cette étude ne fait état d’un arrêt puis d’une inversion, ce qui aurait sans doute été dommageable pour le champ magnétique qui nous protège. L’ORB insistait même sur le fait qu’une telle inversion aurait été impossible selon les lois de la physique (conservation du moment angulaire). Si certains ont pu interpréter cela comme une inversion de sens, c’est un intéressant problème de référentiel: un observateur immobile par rapport à la surface de la Terre (qui elle-même tourne dans le même sens que le noyau) va voir le noyau tourner vers l’Est pour le cas de la super-rotation. Si le noyau ralentit suffisamment, l’observateur va avoir l’impression qu’il s’arrête, puis qu’il repart dans l’autre sens (sous-rotation). Mais ce n’est qu’un effet de référentiel.

L’étude publiée en ce printemps 2024 (2) vient conforter la précédente. Des chercheurs chinois et américains ont étudié les ondes produites par 121 séismes entre 1991 et 2023 dans les îles Sandwich du Sud (Atlantique). Leur observation est que le noyau interne a effectué une super-rotation de 2003 à 2008 puis, de 2008 à 2023 une sous-rotation plus lente qui semble s’être arrêtée (la sous-rotation pas la rotation du noyau, donc celle-ci semble repartie vers une super-rotation !). Autrement dit, il a donc bien ralenti. Reste que le mécanisme à la base de ces changements de vitesse de rotation périodiques semble encore mal compris. Ce qui est sûr en revanche, est certain, c’est que cela n’a aucune conséquence pratique sur la surface et notre quotidien: tout au plus, la durée d’une journée pourrait être modifiée d’une fraction infime de seconde !

(1) Yi Yand and Xiaodong Song, Multidecadal variation of the Earth’s inner-core rotation, Nature Geoscience, 23 janvier 2023.

(2) Inner core backtracking by seismic waveform change reversals, Nature, 12 juin 2024.

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