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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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Cimetière de navires (mer d’Aral, Ouzbékistan)

Lacs en péril

Lorsqu’il est question d’évoquer la réduction des réserves aquifères de surface, c’est à la mer d’Aral que l’on pense en première intention et que les médias citent en exemple. Le cas est, il est vrai, catastrophique pour les régions concernées et relève, pour l’essentiel, d’une gestion mal menée et d’un pompage excessif. Des causes naturelles ont également été évoquées, comme une porosité trop importante du fond qui permettrait une vidange massive vers le bas. Quelle que soit la ou les cause(s), la situation est telle qu’elle peut être visualisée par satellite aujourd’hui.

Mais cette mer intérieure est loin d’être la seule réserve d’eau en perdition. Certes, les variations climatiques et le déficit d’eau de pluie peuvent justifier une fluctuation parfois inquiétante des niveaux d’eau certaines années mais le plus souvent, c’est un pompage massif à usage agricole qui est à mettre en cause. Un exemple parmi d’autres est celui du Grand lac salé de l’Utah (Ouest des États-Unis). Si ce lac d’altitude (1 280 m) a causé des inondations au cours des années 80, il est aujourd’hui victime d’une réduction massive de sa surface en raison d’un pompage excessif pour irriguer les terres agricoles en périphérie, mais aussi pour les besoins privés les plus divers. Le lac ne serait plus que le quart de ce qu’il était il y a quelques décennies et si on n’apporte pas un remède rapide, cette importante réserve (4 400 km2 en temps normal) risque, selon les experts, de disparaître complètement dès 2028. Des mesures sont donc envisagées pour que les prélèvement effectués sur les affluents soient réduits au plus vite de 30 à 50%. Sauf que le problème ne se limite pas à la seule quantité d’eau. Sa réduction mène à une concentration de ses multiples sels dissous, ce qui en fait une sorte de «mer morte» américaine, presque abiotique aujourd’hui. Cette mer intérieure est également un reposoir pour de nombreuses espèces migratrices (on évoque le nombre de 10 millions d’oiseaux chaque année) qui n’auraient plus qu’à trouver un autre endroit de repos.

On peut imaginer que d’autres réserves, peut-être moins «visibles» en raison de leur taille plus réduite, connaissent un sort identique. Ce n’est pas rassurant au niveau planétaire. Et que l’on n’évoque pas de façon abusive le seul «réchauffement climatique» passe-partout. Il y a aussi des choix raisonnés à opérer dans la gestion des sols et des cultures. 

   Science 2022; 379: 120

D’où vient la vitesse de battement d’ailes des colibris ?

Outre qu’ils sont de petite taille, les colibris (ou oiseaux-mouches) ont ceci de particulier qu’ils sont capables d’un vol stationnaire et même de faire de la marche arrière, de revêtir de jolies couleurs et d’être dotés d’une rétine qui dispose d’une structure de plus que chez les humains, leur permettant de percevoir les couleurs avec une palette de nuances plus affinée que la nôtre. Si le nom est générique et a été étendu à d’autres espèces, les taxonomistes ne reconnaissent que 4 espèces strictes, qui forment la sous-famille des Trochilinae.

Mais au-delà de tout ceci, ce qui intrigue les physiologistes, c’est comment font ces oiseaux pour avoir une fréquence de battement alaire aussi rapide, qui semble en outre être leur apanage exclusif ? Y a-t-il une différence dans leur génome qui les distinguerait, en matière musculaire, des aptitudes des autres espèces d’oiseaux ? Et bien oui ! Elle tient à une mutation du gène qui code pour une enzyme propre au muscle, FBP2. Cette enzyme est normalement une de celles qui participent au stockage de l’énergie alimentaire pour une utilisation différée. Mutée, elle ne remplit plus sa fonction, ce qui permet à l’oiseau une utilisation énergétique et musculaire immédiate; une aptitude qui entraine la recherche permanente de nectar pour assurer l’entretien de la machinerie musculaire. Mais dans les forêts d’Amérique centrale et du sud qui constituent son habitat, cela ne semble pas réellement poser problème à ce petit véloce. Cette mutation d’un gène impliqué dans une voie métabolique importante est un des rares exemples à ne pas porter préjudice à ceux qui en sont affectés. Ils se sont adaptés avec maestria. Quel autre animal est en effet capable d’entrer et de ressortir du calice d’une fleur pour en prélever le nectar sans le faire plier ?

   Science, 379: 150 et 185-190

Un étrange chemin de traverse

Dans quelques années peut-être, après avoir identifié un désordre nerveux central (autisme, maladie de Parkinson, dépression), on se contentera de prescrire à la personne diagnostiquée un probiotique plutôt qu’un médicament longuement mis au point par la recherche pharmaceutique et non dénué – comme souvent – d’effets secondaires. Fantaisie ? Pas vraiment: de nombreux résultats extraits, pour le moment surtout, de recherches menées sur l’animal, tendraient à montrer la chose possible. Mais comment ? En traitant le tube digestif…

On sait depuis plusieurs années que le contenu microbien de notre tube digestif a une influence sur nombre de nos fonctions. Ce n’est pas anecdotique: si le cerveau adulte a un poids proche de 1,4 kg, l’ensemble des colonies de microbes évoqué (le microbiote) pèserait, lui, 2 kg. Le poids ne fait évidemment pas tout dans le fonctionnement de notre organisme, loin s’en faut. La diversité spécifique compte sans doute davantage et notre tube digestif hébergerait plusieurs centaines d’espèces identifiées à ce jour: bactéries, mais aussi virus, champignons et archées; le tout riche d’environ 20 millions de gènes au total, soit mille fois plus que ce qui compose notre propre génome.

Ce seul tableau est déjà impressionnant. Mais ce n’est pas tout: on a remarqué que certaines des espèces de ce microbiote ont une relation particulière avec le système nerveux central par 4 voies au moins. La première, peut-être la plus immédiate, est celle qui consiste à déverser dans le réseau sanguin une substance qui vient stimuler des neurones spécifiques. Une autre tiendrait à l’émission, par l’une ou l’autre des espèces microbiennes, de pseudopodes (des expansions) qui viendraient stimuler le nerf vague tout proche, connecté en ligne directe vers le cerveau. La troisième consisterait en une activation de cellules endocrines du tube digestif, l’hormone produite diffusant ensuite vers ses récepteurs spécifiques. Enfin, quelques microbes intestinaux agiraient directement sur les cellules du système immunitaire et par conséquent aussi, sur l’inflammation.

Tout cela n’est finalement que la concrétisation d’une conception très ancienne qui liait les humeurs aux sécrétions internes du foie, dont la trop pénalisante atrabile ou bile noire. On n’en est pas loin finalement. Parce qu’il parait évident aujourd’hui – preuves scientifiques à l’appui – que quelques états pathologiques comme le côlon irritable, l’autisme, le Parkinson ou les états dépressifs sont en lien avec le profil du microbiote ou l’activité de l’un ou l’autre de ses composants. L’adjonction de queuine (une base nucléique bactérienne) par exemple pourrait, par microbiote interposé, réduire certains états dépressifs en favorisant la production de GABA (acide gamma aminobutyrique), un neurotransmetteur.

Beaucoup semble encore à découvrir dans le domaine. On sait aussi que la flore intestinale est associée de près à l’alimentation. Peut-être qu’un régime adapté suffirait à réduire l’un ou l’autre des états pathologiques évoqués ? Et si c’était là que se trouvait finalement la solution. Les Grecs de l’Antiquité, soit dit en passant, en émettaient déjà l’idée il y a 25 siècles… 

   Science, 368: 570-573

Mutations pour rien ?

Depuis Darwin, on sait que l’évolution procède du hasard: des «accidents» génétiques peuvent survenir très tôt dans l’élaboration du génome et modifient spécifiquement un gène. Il s’agit, en clair, de mutations. Le résultat est de 3 ordres: soit la mutation est bénéfique pour l’individu (et progressivement pour l’espèce à laquelle il est lié) et elle est conservée puisqu’en adéquation avec l’environnement occupé. L’alternative est que la mutation soit délétère: elle nuit à l’individu qui en est porteur et qui est finalement éliminé. Il peut entretemps l’avoir transmise à sa descendance, mais le résultat final est en général le même. Puis il y a la troisième possibilité: la mutation est sans effet particulier et peut donc être évolutivement conservée sans que les individus porteurs soient le moins du monde lésés par rapport à leurs conditions de vie. On sait qu’il existe aussi des adaptations acquises qui concernent l’épigénétique mais qui sont hors sujet pour le présent article.

Nous portons donc tous, mais à titres divers, des variants de gènes qui ne nous favorisent en rien mais ne nous défavorisent pas non plus, ou alors si peu que l’on ne s’en rend pas compte. Ils appartiennent à la classe des «accidents génétiques mineurs». Mais sont-ils aussi mineurs que l’on veut bien le croire ? Tout dépend du contexte. Contrairement aux 2 autres classes de mutations qui sont plutôt rares, elles sont les plus fréquentes et participent donc à ce que nous sommes et à ce qu’est… notre lignage évolutif. Elles permettent par exemple d’établir des liens entre espèces compte-tenu de leur présence relativement stable; une stabilité qui permet également de situer approximativement le temps écoulé entre une espèce et celle qui en a émergé. Elles peuvent aussi avoir un effet favorisant (ou pas) sur l’expression d’autres gènes. À ce titre, elles peuvent, si les conditions environnementales venaient à changer dans une large mesure, aider parfois à l’émergence d’une adaptation bienvenue. À la résistance à la dessiccation pour une plante ou à un type différent d’alimentation disponible pour un animal. Enfin, l’apparition de ces mutations neutres peuvent, au fil des générations, favoriser des polymorphismes qui, avec le temps, peuvent mener des individus pourtant apparentés à épouser des phénotypes (apparences) qui les rendent de plus en plus différents.

Il ne s’agit ici que d’une simple évocation, les études génétiques offrant bien d’autres applications et singularités liées à ces mutations. Mais bref, voilà des modifications silencieuses qui semblent parfois se montrer, sur un plan évolutif au moins, étonnamment… assourdissantes !

   Médecine/sciences, 10: 777–785 et 839-841

L’obésité au fond des yeux

Le surpoids et a fortiori l’obésité qui  concernent une part croissante de la  population des pays industrialisés est source,  le temps aidant, d’une série de pathologies.  On pense en première intention aux effets de  la masse corporelle sur les articulations et sur  la fatigue cardiaque, ainsi que ceux de la richesse alimentaire sur l’émergence du  diabète de type 2. Mais on ignore souvent que  le même état a des répercussions sur le  contexte inflammatoire systémique, grâce ou  plutôt à cause de l’intervention des cellules du  sang spécialisées dans ce contexte, les  macrophages. Celles-ci, qualifiées d’hématopoïétiques, sont en effet  reprogrammées par les acides gras libres, abondants chez les personnes obèses.  Comme cette modification du comportement cellulaire est acquise, liée à un  état d’accroissement de la masse graisseuse, elle est d’ordre épigénétique: les  gènes eux-mêmes ne sont pas modifiés, c’est leur transcription qui change, étant soit  accrue, soit réduite. Et les cellules concernées  prennent un profil pro-inflammatoires qu’elles  conservent, même si la masse  graisseuse est ensuite réduite. Ces cellules  gardent donc, en quelque sorte, la «mémoire» de l’obésité d’avant.

Cette mémoire qui peut passer le cap des  générations cellulaires, est due à un certain  nombre de facteurs qui ne sont pas encore  tous identifiés. On sait qu’interviennent des récepteurs de reconnaissance de «motifs  moléculaires», propres au système  immunitaire, notamment aptes à reconnaître  les caractéristiques propres (les motifs en question) des bactéries ou autres agents  pathogènes. 

Les cellules concernées sont donc les macrophages. Il s’agit d’une classe de globules blancs capables de phagocytose, c’est-à-dire d’engloutir des petits éléments (fragments de cellules en voie de dégradation, ou de pathogène par exemples) qui doivent être éliminés. Elles ont une fonction innée et sont d’origine embryonnaire. À ce titre, elles sont présentes dans tous les tissus pour assurer un rôle essentiel de nettoyage et de défense. Mais elles peuvent aussi avoir une fonction acquise dérivant, selon le besoin, d’une autre classe de globules blancs, les monocytes. C’est bien le cas chez le obèses évoqués, que ceux-ci décident à un moment de réduire ou non leur masse graisseuse excessive.

Le caractère inflammatoire acquis peut se manifester à des endroits où on ne l’attend pas vraiment. Comme des expériences menées chez la souris l’ont démontré, il peut y avoir, via le réseau circulatoire, une atteinte de l’œil. Avec comme possible conséquence, l’émergence avec l’âge d’une dégénérescence maculaire. La rétine atteinte peut altérer la qualité de la vision et mener, dans le pire des cas, à la cécité.

Il n’y a certes pas de lien immédiat; c’est un facteur de risque additionnel qui n’a pour le moment été validé que chez la souris. Mais connaissant l’importance qu’a la vue dans notre vie quotidienne, cela vaut tout de même la peine d’y penser…

    Science, 379: 28-29 et 45-62

BIOZOOM

Ne vous fiez pas à sa mignonne petite tête, la marte à gorge jaune ou Marte d’Inde (Martes flavigula) est une redoutable prédatrice. Omnivore, elle peut tout autant se nourrir de fruits ou de baies, de lézards, d’oiseaux et de leurs œufs que s’attaquer à des proies bien plus imposantes ! Pour cela, elle est capable de grimper dans les arbres, sauter de l’un à l’autre comme un singe et parcourir jusqu’à 20 km ! Ce petit mammifère de la famille des Mustélidés peut mesurer jusqu’à 1 m de long (queue comprise) et vit dans les forêts tempérées de l’Himalaya, de l’Est et du Sud-Est de l’Asie. 

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