L'Adn de…

Éléonore
VERCRUYSSE
Carreleuse

Propos recueillis par Virginie CHANTRY • virginie@marketrotters.com

Carreleuse, c’est une vocation que vous avez depuis toute  petite ?

Pas du tout ! Je suis diplômée en biophysique. Pourtant, c’est un peu par hasard que je me suis retrouvée dans ce laboratoire, après un master en chimie des matériaux. Le chef de service recherchait une personne motivée pour une thèse, et la thématique proposée m’a tout de suite captivée. En revanche, j’ai toujours été fascinée par la recherche. Plus jeune, je pouvais passer des heures à regarder des documentaires où des chercheurs partageaient leurs découvertes. Parallèlement à cette passion scientifique, les métiers manuels m’ont toujours attirée. Enfant, je faisais de la broderie, puis j’ai appris la couture – j’ai même obtenu un diplôme de couturière. Mais à l’époque, mes enseignants m’ont dissuadée de poursuivre cette voie, car j’obtenais d’excellentes notes à l’école. 

La biophysique est une discipline fascinante qui combine physique, biologie et chimie. Les parcours pour y parvenir sont donc très variés. Parmi les biophysiciens que j’ai rencontrés, on trouve des physiciens, des chimistes (comme moi), des biologistes qui se forment ensuite à la physique, ou encore des ingénieurs spécialisés dans le développement de machines et de processus adaptés aux expériences scientifiques. Après mon doctorat, j’ai ressenti le besoin d’explorer une autre voie, quelque chose de plus concret et manuel. C’est alors que j’ai reçu un mail du FOREM annonçant une journée portes ouvertes au centre de formation de Nivelles, dédiée aux métiers en pénurie. La mosaïque m’avait toujours fascinée et depuis plusieurs années, j’avais envie de suivre des cours dans ce domaine. Curieuse, je me suis rendue à cette journée portes ouvertes et, séduite par ce que j’y ai découvert, je me suis inscrite pour une formation de six mois. C’est ainsi que j’ai entamé cette nouvelle aventure.

Comment devient-on  biophysicienne et  carreleuse ?

Vous exercez  aujourd’hui en tant  que carreleuse et  mosaïste, quelle est  votre journée-type ?

Il n’y a pas de journée type dans mon métier. Chaque projet est unique, mais suit généralement les mêmes grandes étapes. Tout commence par la création de l’avant-projet et le chiffrage, en fonction des matériaux choisis et du temps de travail estimé. Ensuite, il faut passer commande auprès de différents fournisseurs, gérer le planning, respecter les délais annoncés, et parfois faire face à des imprévus, comme un support qui n’est pas prêt ou un chantier retardé. Finalement, ce processus ressemble beaucoup à ce qui se passe en laboratoire: un objectif est fixé, et il faut avancer méthodiquement pour trouver une solution à chaque problème rencontré en chemin.

La science est omniprésente dans mon travail et intervient à chaque étape, que ce soit pour choisir le matériau adéquat, préparer les supports ou assurer la durabilité des réalisations. Je manipule des matériaux très variés: pierre naturelle, surfaces poreuses et rugueuses, polymères souples ou rigides, et même des produits acides. Mes connaissances théoriques en chimie et en physique sont un atout précieux qui m’aide au quotidien. 

Quels sont vos  rapports avec la  science ? 

Quelle est la plus  grande difficulté  rencontrée dans  l’exercice de votre  métier ?

Les défis sont multiples. Tout d’abord, développer une entreprise rentable représente déjà un véritable challenge. Il faut parvenir à se faire connaître, ce qui n’est pas toujours simple, car les clients potentiels n’ont pas forcément conscience du coût réel de la main-d’œuvre qualifiée et des matériaux. Ensuite, gérer un planning est une autre difficulté majeure, notamment lorsqu’il faut se coordonner avec d’autres entrepreneurs intervenant sur le même chantier. 

L’un de mes chantiers a été récompensé par la médaille d’or 2024 de la Fédération belge du Carrelage et de la Mosaïque (FECAMO). Il s’agissait d’un sol de cuisine réalisé en mosaïque avec un motif d’octogones et de cabochons, agrémenté d’une frise noire composée de carrés et de rectangles. Ce projet a demandé une grande précision, avec de nombreuses découpes et un travail géométrique minutieux pour garantir un résultat à la fois harmonieux et parfaitement aligné.

Quelle est votre plus  grande réussite  professionnelle  jusqu’à ce jour ?

Quels conseils  donneriez-vous à un  jeune qui aurait envie  de suivre vos traces ?

Lorsque l’on est motivé et passionné par quelque chose, il faut se donner à fond et, surtout, oser tester l’idée plutôt que de vivre avec des regrets. Le parcours scolaire importe peu. Ce qui compte, c’est d’être motivé le matin à l’idée de la journée qui nous attend. J’ai adoré mes études et je ne regrette absolument pas mon parcours, bien au contraire ! Mais il était clair que j’avais besoin d’explorer ensuite une autre voie.
 
 

CARTE D’IDENTITÉ

Éléonore VERCRUYSSE

ÂGE : 30 ans

NÉE À : La Louvière

VIT À : Hyon, près de Mons

SITUATION FAMILIALE : en couple, sans enfant, un chien

PROFESSION : gérante de  l’entreprise EV Studio, spécialisée  en fourniture et pose de carrelage  petit format, mosaïque et zellige  (carreau de terre cuite émaillée,  réalisé à la main au Maroc)

FORMATION : master en chimie des  matériaux, doctorat en  biophysique; formation de  carreleur.se au FOREM de Nivelles

    ev-studio.be

Je vous offre une  seconde vie pour un  second métier…

C’est déjà ce que j’ai vécu ! 😊 Et au besoin, je n’hésiterai pas à changer de voie à nouveau. À mon sens, le schéma «une vie = un métier» n’a plus vraiment sa place aujourd’hui, surtout avec l’espérance de vie qui augmente. J’ai rencontré tellement de personnes qui ont changé de métier à un moment donné de leur vie.

Le don d’ubiquité. J’aime être sur tous les fronts, j’aime apprendre de nouvelles choses, et il n’y a pas assez d’heures dans une journée !

Je vous offre un  super pouvoir… 

Je vous offre un  auditoire…

J’en profiterais pour inviter toutes les personnes au parcours inspirant que j’ai eu la chance de rencontrer. Leur témoignage permettrait de montrer qu’il existe une multitude de chemins possibles, bien au-delà des schémas classiques et des a priori.

Je le transforme en atelier, un espace où je pourrais enfin explorer toutes les idées que je n’ai pas encore eu le temps de tester. 

Je vous offre un  laboratoire… 

Je vous transforme  en un objet du  21e siècle…

C’est peut-être un peu triste, mais la première chose qui me vient à l’esprit est un smartphone. À mes yeux, c’est l’un des outils les plus extraordinaires jamais inventés. Il donne accès à toutes les connaissances de l’humanité, et pour chaque question, on peut trouver une réponse (à condition, bien sûr, de savoir chercher et trier les informations !). C’est un outil formidable qui connecte les gens à travers les pays et les cultures, permettant de voir ce qui se passe à l’autre bout du monde. Il offre aussi à chacun la possibilité de développer son entreprise ou de partager son art, ses connaissances, sans intermédiaire. Céramistes, peintres, photographes, scientifiques, designers, ébénistes… peu importe le métier, cet outil est une porte ouverte sur le monde. Naturellement, comme tout outil puissant, certaines personnes mal intentionnées ont réussi à le détourner de son usage initial pour en faire une machine à consommer, arnaquer, désinformer… 

Un tour du monde de 2 ans !

Je vous offre un  voyage…

Je vous offre un face  à face avec une  grande personnalité  du monde…

Aucune personnalité précise ne me vient en tête. Il existe tellement de personnes au parcours inspirant, qu’elles soient célèbres ou non d’ailleurs, qu’il est difficile d’en choisir une seule !

J’ai choisi de créer mon entreprise dans une niche qui me correspond, ce qui signifie que je ne suis jamais amenée à préparer des tonnes de colle ou à déplacer des tonnes de carrelage. Cela reste un métier physique, bien sûr, mais il existe aujourd’hui de nombreux outils de manutention pour éviter de se blesser, que ce soit pour les hommes ou les femmes. Donc non, il ne faut pas être un surhomme. Ces idées reçues ont la vie dure et contribuent à ternir l’image de la profession. Actuellement, le secteur fait face à une pénurie de main-d’œuvre, avec plus de 6 000 postes à pourvoir. En réalité, les métiers de la construction sont très bien rémunérés et souvent bien moins inconfortables qu’on ne l’imagine.

La question «a priori»: porter des  tonnes de carrelage,  mélanger des kilos de  ciment…  Carreleur.se, c’est un  métier de surhomme,  non ?

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