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Quand les morts parlent encore !

Laetitia MESPOUILLE • info@curiokids.net

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En médecine légale: les morts racontent, la science résout

Savais-tu que les morts pouvaient parler ? Pas avec leur bouche (ouf !), mais grâce à une science bien particulière: la médecine légale. Quand une mort est suspecte, le médecin légiste part à la chasse aux indices pour en comprendre l’origine et aider à identifier le coupable, s’il s’agit d’un crime. Rien que ça ! Leur terrain de jeu ? Les scènes de crime, comme à la télé ou presque, et leur laboratoire. Entre les os qui murmurent des vérités, les organes qui livrent leurs derniers mots, et les dents qui racontent des secrets, chaque détail compte et tu vas découvrir comment. Même le plus minuscule des cheveux peut révéler des indices incroyables !

Philippe Boxho est professeur à l’Université de Liège, Président du Conseil d’Administration du CHU Liège et auteur de plusieurs livres qui lui ont permis de devenir le médecin légiste le plus célèbre de Belgique. Et il a accepté de livrer tous les secrets de son métier fascinant. Alors oui, on va parler de morts (gloups), mais sache que cette science-là est faite pour aider les vivants. Elle permet de résoudre des mystères, de protéger des innocents et d’identifier des coupables. Prêt ou prête à entrer dans le monde captivant de la médecine légale ?  

   Le savais-tu ?

LE JOURNAL SECRET DE TES OS

Le squelette, c’est un vrai livre ouvert pour les médecins légistes. Chaque os a des indices à fournir. Par exemple, les os longs des bras ou des jambes permettent de mesurer la taille d’une personne. Avec un peu de maths et des tableaux adaptés, on peut même estimer si c’était un homme ou une femme, et parfois même son origine ethnique. 

Mais les os ne s’arrêtent pas là : ils gardent la mémoire des blessures, des fractures anciennes, et même des maladies qui pourraient expliquer un décès. Et pour analyser tout ça, Philippe Boxho a une méthode bien rodée: il commence par les membres supérieurs, passe par le tronc, le bassin, les membres inférieurs et termine par sa partie préférée… le crâne.

Un interrogatoire post-mortem

■ MÉDECIN LÉGISTE: LE DOCTEUR DES MORTS

Philippe Boxho aime bien cette expression, inventée par sa fille. Pourquoi ? Parce que le médecin légiste est le seul à pouvoir répondre à une question essentielle: «De quoi cette personne est-elle morte ?».

Ici, pas de stéthoscope, de bâton sur la langue ou de lumière dans les oreilles ! C’est une autre branche de la médecine qui s’occupe spécifiquement des patients dont le cœur a cessé de battre. Le médecin légiste est un spécialiste de la médecine légale. C’est-à-dire qu’il met ses connaissances médicales et scientifiques au service de la justice. Son rôle est d’examiner scrupuleusement les cadavres ou les corps de victimes vivantes à la recherche d’indices laissés par des blessures, les organes, les os, les cheveux ou même les ongles. Grâce à lui, des vérités incroyables peuvent être révélées sans que personne n’ait avoué.

   BIG DATA

2 à 12 h
c’est le laps de temps nécessaire avant de pouvoir observer une rigidité cadavérique

2 h 30
c’est la durée moyenne d’une autopsie



1 à 2%

c’est le taux d’autopsies réalisées en Belgique. L’Europe demande à atteindre l’objectif de 10%

70 à 80

c’est le nombre de meurtres non élucidés chaque année en Belgique

■ L’AUTOPSIE: UN VOYAGE AU CŒUR DU CORPS

L’autopsie, qui s’effectue post-mortem (après la mort), c’est un peu comme une enquête sur la dépouille du patient. Pas seulement son enveloppe extérieure car ce n’est pas suffisant pour comprendre l’origine du décès, il faut aussi examiner l’intérieur du corps. Une simple égratignure par exemple peut cacher une blessure profonde. Et seule l’autopsie permet de le savoir. Pour cela, il y a toute une procédure à suivre: le médecin légiste ouvre le corps en suivant des étapes bien précises, toujours dans le même ordre. Les découpes se font selon différents axes que l’on appelle, en biologie, les plans de découpe.

Geste après geste, il va recueillir des indices, parfois bien cachés. Un bleu (hématome) provoqué par un coup de poing par exemple, peut sembler sans gravité à l’extérieur mais à l’intérieur, il a pu provoquer une hémorragie invisible qui explique le décès. Voilà pourquoi l’autopsie révèle toute son utilité scientifique. Ce qu’on voit à l’extérieur ne raconte souvent qu’une partie de l’histoire. Les vraies réponses se trouvent à l’intérieur.

KESAKO ?

LA CÉMENTOCHRONOLOGIE, C’EST  QUOI ?

Savais-tu que les dents pouvaient révéler l’âge d’une personne même après sa mort ? Cette technique scientifique est de plus en plus utilisée en médecine légale pour estimer l’âge de la victime. Comment ? Un peu comme les arbres, le cément, la substance qui recouvre les racines des dents, produit une nouvelle couche chaque année. En étudiant ces couches, comme on compte les anneaux (les cernes) d’un tronc d’arbre, les experts peuvent estimer l’âge de la personne avec une précision impressionnante !

Bien que cette méthode ne soit pas encore utilisée partout, elle est très prometteuse, surtout quand d’autres techniques ne fonctionnent pas. Les scientifiques espèrent qu’elle devienne une référence en médecine légale.

 
■ LES INSTRUMENTS: COMME DANS LES SÉRIES ?

À la télé, tu as peut-être vu des médecins légistes munis de gadgets high-tech et de produits chimiques colorés ou fluo. Eh bien surprise: dans la vraie vie, ce n’est pas comme ça ! Philippe Boxho le confirme: ses instruments sont simples, mais incroyablement efficaces.

Le scalpel est l’instrument incontournable, parfait pour découper précisément la peau. Ensuite, il y a les ciseaux chirurgicaux, avec des bouts arrondis pour ne pas abîmer les tissus. Un grand couteau pour découper les organes en fines tranches, qui partiront ensuite à l’analyse. Enfin, la pince à viscères, avec de petits crocs pour manipuler les organes comme un chef. Et pour ouvrir un crâne ? Pas besoin d’une machine futuriste: une scie à plâtre suffit pour couper les parties dures comme les os. Il peut aussi parfois avoir besoin d’une tige métallique, qui aide à suivre la trajectoire d’une balle. Cet indice est précieux pour identifier l’angle de tir.

Il y a aussi des petites astuces à bien connaître. L’estomac d’une victime peut être plein d’aliments en cours de digestion. Pour éviter que son contenu ne se vide et salisse le corps (et ses chaussures !), il emploie des pinces de Kocher. Bref, ce métier demande un certain doigté. Les instruments du médecin légiste peuvent paraître simples, mais en science, ce n’est pas le gadget qui compte, c’est la précision et la méthode !
 
 

   Le truc de ouf !

DES CADAVRES QUI BOUGENT,  MYTHE OU RÉALITÉ ?

Tu as sûrement vu la série Mercredi et son héroïne un peu chelou qui adore déterrer les cadavres. Si elle tombait sur un corps qui «bouge», elle s’écrierait sûrement: «Trop cool !» Mais pas de panique: dans la vraie vie, les cadavres ne bougent pas comme dans les films. Par contre, il existe un phénomène surprenant qu’on appelle les fasciculations musculaires. Ce sont de petites contractions des muscles qui peuvent survenir après la mort. Un peu comme ta paupière qui tremble toute seule quand tu es fatigué.e. Ici, c’est pareil, sauf que le cœur a déjà cessé de battre. Mais pourquoi ça arrive ? Tout est une question de chimie (encore !): quand le corps manque d’oxygène, les muscles réagissent en se contractant brièvement. Ces petites secousses peuvent donner l’impression que le cadavre «bouge», mais pas de bras qui se lèvent ou de jambes qui marchent toutes seules, comme dans les films d’horreur.

Comme le dit Bernard Knight, un célèbre médecin légiste: «La mort est un processus, pas un événement.» Le corps continue d’évoluer après le dernier battement de cœur. Donc, même si Mercredi Addams trouve ça fascinant, toi, tu sais maintenant que c’est juste de la science en action. 

 
■ CHEVEUX, FOIE ET COMPAGNIE: DES TISSUS TRÈS BAVARDS

Après la mort, les organes deviennent les meilleurs alliés du médecin légiste pour résoudre le mystère d’un décès. Chaque organe a des indices à livrer, mais pas comme dans le Docteur Maboul ! Le foie, par exemple, est une vraie boîte noire: il accumule plein de substances comme les médicaments, l’alcool ou même les drogues. Les reins, eux, révèlent ce que l’organisme a éliminé par l’urine tandis que les poumons racontent ce qu’une personne a inhalé ou fumé. Le cerveau, de son côté, garde des traces des substances qui affectent notre esprit, comme certaines drogues.

Pour analyser tout ça et pouvoir en tirer des conclusions, le médecin légiste prélève des échantillons et les envoient au laboratoire. Là-bas, des machines ultra-perfectionnées recherchent la présence de drogues, de poisons ou des anomalies dans le sang ou les tissus. Grâce à ces analyses, on peut répondre à des questions importantes: est-ce que la mort est naturelle ou violente ? Y a-t-il eu un empoisonnement ? Est-ce qu’une maladie cachée ou l’intervention d’une tierce personne a pu jouer un rôle ?

Et ce n’est pas tout: en regardant de près les organes, on peut repérer des blessures internes invisibles de l’extérieur, comme une hémorragie ou une maladie non détectée. Bref, chaque organe, qu’il soit grand ou petit, aide le médecin légiste à comprendre ce qui s’est passé. Cette étape est très importante pour la police, la justice et même les familles des victimes !

 
 

Le selfie du jour

LES DENTS NE MENTENT JAMAIS ! 

Et si tes dents étaient, à l’instar de ton ADN, comme une carte d’identité unique ? En médecine légale, elles jouent un rôle clé pour identifier une personne dont on ne connaît pas l’identité. Comment ? On commence par examiner chaque dent: leur état, celles qui ont été soignées, remplacées ou perdues. On peut même faire des radiographies spéciales pour comparer avec les dossiers dentaires du défunt, s’il est identifié.

Et ce n’est pas tout: les dents peuvent aussi nous renseigner assez précisément sur l’âge d’une personne, surtout avant 21 ans. Après, c’est plus compliqué et la marge d’erreur est un peu plus importante. Cette technique est appelée la cémantochronologie (tu en sauras plus en lisant l’encadré «Késako ?» ci-dessus). Grâce à ces différentes analyses, les médecins légistes peuvent souvent répondre à la question: «Qui est cette personne ?». Incroyable, non ?

 
QUAND LA SCIENCE JOUE UNE PARTIE DE CLUEDO

1) RAIDE MORT

On a trouvé un cadavre, une enquête commence à la recherche d’indices ! Savais-tu que les cadavres devenaient durs comme du bois après la mort ? C’est ce qu’on appelle la rigidité cadavérique. Mais ne t’imagine pas que cela provient d’une contraction musculaire, comme si le défunt se mettait au sport. En réalité, c’est une histoire de chimie !

Dans tes muscles, tu as des filaments de protéines. Leur joli nom: myosine et actine. Ces filaments, très très fins, glissent les uns sur les autres pour faire bouger tes muscles. Pour réussir cette prouesse, ils ont besoin de calcium, dont l’apport est contrôlé par le corps lorsque la personne est en vie. Ce minéral rentre et sort des cellules musculaires comme un va-et-vient. Quand on meurt, ces mouvements s’arrêtent. Le calcium s’échappe de partout et les filaments, au lieu de glisser les uns sur les autres, collent entre eux. Résultat: les muscles se rigidifient si bien que 12 h suffisent pour que le corps devienne raide comme une planche. Cette rigidité cadavérique dure entre 24 et 36 h car ensuite, les bactéries de putréfaction se mettent au travail et grignotent les fibres musculaires pour les transformer en gaz et en un liquide de putréfaction. Le corps redevient alors souple simplement parce que les protéines musculaires ont été mangées par les bactéries.

   Le savais-tu ?

LES GAFFES À NE PAS FAIRE SUR  UNE SCÈNE DE CRIME

Sur une scène de crime, bas les pattes ! Tu ne touches à rien, tu ne bouges rien, et tu n’ouvres surtout pas une fenêtre pour « aérer ». Pourquoi ? Parce que même un simple coup de vent peut emporter un indice important, comme un cheveu. Et ce cheveu peut suffire à identifier le coupable ! Ben oui, avec son ADN ! Si tu touches quoi que ce soit, tu risques aussi de laisser des fibres ou des empreintes de tes vêtements, de ta peau ou de tes cheveux. Et là, les enquêteurs devront tout analyser pour vérifier que ce n’est pas toi qui es lié au crime. 

Même la température de la pièce est super importante : si tu éteins un radiateur ou ouvres une fenêtre, tu modifies l’environnement et ça fausse les calculs pour déterminer l’heure du décès. C’est pourquoi, quand un médecin légiste entre sur une scène de crime, il porte une combinaison blanche, des gants, un masque et même une charlotte sur la tête. Les policiers, eux, restent bien en dehors d’un périmètre de 25 mètres tant que tout n’a pas été sécurisé.

Et attention, une scène de crime, ce n’est pas juste le coin où se trouve le corps. Si quelqu’un meurt dans une salle de cinéma, alors la scène de crime, c’est toute la salle ! Autant le savoir pour ne pas cochonner le travail des pros !

2) L’ODEUR DE LA MORT

Es-tu déjà tombé sur le cadavre d’un animal mort et observé qu’il sentait très mauvais ? L’odeur infecte qui se dégage d’un corps est également liée aux bactéries. De ton vivant, des bactéries vivent tranquillement dans tes intestins et ton système immunitaire veille à ce qu’elles ne se multiplient pas trop. Mais après la mort, on a vu que les bactéries de putréfaction envahissaient tout le corps en à peine 48 h. Elles s’attaquent aux tissus pour désintégrer les protéines et les graisses. Une véritable usine biochimique qui produit des gaz et… des molécules odorantes. Parmi elles, des sulfures, de l’ammoniac, du méthane, des acides. Ces gaz s’accumulent dans le corps du défunt et doivent bien en sortir… d’où l’odeur. L’intensité de la puanteur dépend de plusieurs facteurs: la température, l’humidité, la masse graisseuse et musculaire, les médicaments pris avant la mort… Est-ce que ces gaz ont une utilité pour le médecin légiste ? Oui, car cette analyse peut au moins aider à déterminer depuis combien de temps la victime est décédée. Comme quoi, même les mauvaises odeurs peuvent servir la science. 

LE P’TIT DICO

HÉMORRAGIE: c’est quand le sang s’échappe de ses «tuyaux» (les vaisseaux sanguins). Ça peut arriver à l’extérieur du corps, comme quand tu te coupes, ou à l’intérieur, où c’est plus dangereux. En gros, c’est une fuite de sang !

SCALPEL: c’est un petit couteau de précision à manche plat pour faire des incisions, des coupures.

TISSUS: c’est un groupe de cellules qui travaillent ensemble pour faire un job précis dans le corps. Par exemple, le tissu musculaire aide à bouger, le tissu nerveux transmet des messages, et le tissu osseux rend ton squelette solide.

BACTÉRIE: c’est une cellule vivante tellement minuscule qu’on ne peut la voir qu’avec un microscope. Certaines bactéries sont sympas, comme celles de nos intestins pour nous aider à digérer (microbiote), tandis que d’autres peuvent nous rendre malade (tuberculose, pneumonie, angine, infection urinaire…).

PUTRÉFACTION: c’est quand un corps mort commence à se décomposer à cause des bactéries qui mangent les tissus et libèrent des gaz et des liquides qui sentent mauvais.

 
3) HEURE DU DÉCÈS

En parlant d’heure de décès, on sait donc qu’un corps, quand il meurt, devient raide, puant mais pas que ! Il devient aussi froid, en cause, le cœur qui ne pompe plus le sang pour maintenir la température. Un corps perd environ 0,8 à 1 °C par heure, jusqu’à atteindre la température ambiante. Cependant, la température du corps dépend de plusieurs choses, comme la température de la pièce, les vêtements ou même le poids. Pour établir l’heure du décès avec plus de précision, le médecin légiste utilise un outil appelé le nomogramme de Henssge. Voici comment ça marche:

  •    on mesure la température interne du corps avec un thermomètre. On relève la température ambiante et on pèse le cadavre.
  •    Ensuite, on utilise un graphique (le fameux nomogramme) pour croiser les données: la température actuelle du corps, la température de la pièce et d’autres paramètres. En suivant les lignes du graphique, on peut estimer l’heure du décès avec une précision impressionnante !

Grâce à ce savant mélange de biologie et de maths, le médecin légiste peut dire si une personne est morte il y a 2 ou 10 h. Mais attention, cette équation fonctionne dans les premières 24 h suivant la mort.

Ton p’tit LABO

Une expérience à faire avec Curiokids: «   Fabrique du slime phosphorescent»

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