Gouttes d’eau sur une surface «liquide».

Chimie

Surface la plus imperméable au monde : les chercheurs surpris par leur propre invention

Milan VANDER WEE-LÉONARD • milan.vdwl@gmail.com 

© Ekaterina Osmekhina

Il semblerait que les records de pluie de l’année écoulée aient inspiré un Belge travaillant dans une université finlandaise, Robin Ras. Lui et son équipe ont développé la surface la plus hydrofuge (1) connue à ce jour. Cela a tellement dépassé leurs attentes que la découverte a été publiée dans Nature Chemistry (2). Cette nouvelle surface à base de silice (3) pourrait nous faire oublier cette sensation humide dans notre imperméable après une drache bien belge ou permettre aux compagnies aériennes de ne plus dégivrer les avions !

À moins d’être un canard ou un brocoli, l’eau se déposant sur une surface a tendance à y rester voire y pénétrer. Le canard enduit ses plumes de graisse pour devenir hydrophobe tandis que le brocoli profite d’une couche de cire structurée sur ses feuilles pour faire glisser l’eau à sa surface (4).

De nombreuses surfaces superhydrophobes ont été inventées par biomimétisme, l’art de reproduire ce que la nature fait de mieux. Un exemple intéressant est basé sur la fougère aquatique Salvinia. Cette dernière s’entoure d’une fine couche d’air lui permettant de flotter. Un effet secondaire est que l’eau l’atteignant forme des gouttelettes et s’écoule facilement. Cette découverte a été exploitée dans le développement de coques à bateaux pouvant mieux «glisser» sur l’eau (5).

Une autre technologie a été développée pour créer des surfaces qui se comportent comme des liquides (LLS). Ces surfaces «liquides» sont des solides avec des «brosses» flexibles greffées à la surface de ceux-ci. Les espèces flexibles sont majoritairement des chaînes alkyles (6) et sont très mobiles à température ambiante. Cela confère aux surfaces solides une qualité de liquide unique et une répulsion dynamique sans précédent envers divers liquides, quelle que soit leur tension superficielle (7).

Un processus revisité

Des chercheurs de l’Université Aalto, en Finlande, ont poussé ce concept plus loin en développant une LLS à partir de monocouches auto-assemblées (SAM), appliquées sur un dérivé de silice.

Les SAM se forment par chimisorption (8) de «groupes de tête» sur un substrat, à partir d’une phase vapeur ou liquide, suivie d’une organisation progressive des «groupes de queue». Les «groupes de tête» s’alignent sur le substrat, tandis que les «groupes de queue» se tournent vers l’extérieur.

Pour obtenir leur SAM-LLS, les chercheurs finlandais ont ajusté des paramètres comme la température, l’humidité et la quantité de silice pendant la production. Les résultats ont été conformes aux attentes: avec une couverture dense dans la monocouche, l’eau forme des gouttelettes et s’écoule par-dessus cette monocouche. Cependant, le test avec une couverture faible a surpris l’équipe: au lieu de perler, l’eau a glissé directement. Pourquoi ?

Un record inattendu

À faible couverture, la «glissance» est exceptionnelle ! L’équipe de l’Université Aalto a interprété cela par le fait que l’eau s’écoule entre les molécules de la monocouche. Alors qu’avec une couverture élevée, elle reste au-dessus de la celle-ci et glisse tout aussi facilement. C’est seulement entre ces deux états que l’eau adhère à la surface. Dans ce dernier cas, les molécules d’eau se coincent dans la «brosse de chaînes alkyles».

D’après les scientifiques, ces surfaces SAM-LLS sont parmi les plus hydrofuges jamais observées, permettant à l’eau de glisser même sur des surfaces penchées à 0,01 ° !

Un potentiel industriel

Cependant, la fine couche de chaînes alkyles pourrait se disperser avec le temps, c’est pourquoi l’équipe envisage de perfectionner cette technologie, qui pourrait avoir de nombreuses applications industrielles. En effet, la découverte promet d’avoir des implications partout où des surfaces repoussant l’eau sont nécessaires.

Parmi des centaines d’applications, on peut citer le transfert de chaleur dans les tuyaux, le dégivrage, l’antibuée, les surfaces autonettoyantes et la microfluidique, où de petites gouttes doivent être déplacées facilement.

DO IT YOURSELF !

Tu n’as pas de quoi réimperméabiliser tes baskets préférées ou tu veux te préparer à l’hiver qui arrive avec ton plus beau manteau ? Oublie la silice fonctionnalisée de Robin Ras ou les sprays disponibles dans le commerce chargés en PFAS (9). Imperméabilise tes vêtements et accessoires toi-même avec de la cire d’abeille ! Je te propose ici une recette mais tu en trouveras une panoplie sur Internet.

1) Commence par chauffer un pain de cire d’abeille au soleil ou au sèche-cheveux.

2) Quand la cire se ramollit, frotte le pain sur l’ensemble du vêtement ou de l’accessoire à imperméabiliser. Réalise des passages horizontaux puis verticaux pour imprégner correctement les fibres. Utilise ton doigt pour les recoins difficiles.

3) Une fois l’objet entièrement enduit d’une fine couche, chauffe-le rapidement au sèche-cheveux pour faire fondre le produit à nouveau et le faire pénétrer. Tu peux aussi utiliser un fer à repasser sans vapeur recouvert d’un tissu.

4) Laisse sécher une journée à l’air libre.

Au début, le textile se modifie, se durcit et se fonce. Ces effets s’estompent après quelques utilisations !

 


(1) Une surface hydrofuge est une surface qui fait «fuir» l’eau. On peut apparenter ce terme à «imperméable» ou «hydrophobe» bien que des différences techniques subsistent entre ces mots.

(2) S. Lepikko et al., Nature Chemistry 2024, 16, 506-513
 https://doi.org/10.1038/s41557-023-01346-3).

(3) La silice est un composé chimique minéral aussi appelé «dioxyde de silicium» (SiO2) et présent dans le sable, les roches ou le quartz.

(4) B. Rich et al., Soft Matter 2018, 14, 7782-7792 
 https://doi.org/10.1039/C8SM01115J).

(5) C’est le projet AIRCOAT, financé par l’Europe
 https://aircoat.eu).

(6) Une chaîne alkyle est un groupe d’atomes constitué uniquement de carbone (C) et d’hydrogène (H), dérivé d’un alcane (une famille d’hydrocarbures saturés) en retirant un atome d’hydrogène.

(7) La tension superficielle est une force qui se manifeste à la surface d’un liquide en raison des interactions entre les molécules. Elle résulte de la tendance des molécules à minimiser l’énergie de la surface du liquide.

(8) La chimisorption est une absorption impliquant une réaction chimique.

(9) Les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) que l’on prononce «pifasse» sont les fameux polluants éternels ayant fait la une de l’actualité belge en 2023-2024. Ces molécules organiques, décorées d’atomes de fluor, sont exploitées depuis des décennies pour leurs propriétés antiadhésives et imperméabilisantes. On les retrouve notamment dans les textiles, les emballages alimentaires, les cosmétiques, les dispositifs médicaux et les mousses anti-incendie. Ces composés peuvent entraîner des problèmes de santé tels que des lésions hépatiques, des maladies thyroïdiennes, de l’obésité, des problèmes de fertilité et des cancers.

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