Société

Traitement de l’obésité : une révolution en marche ?

Julie LUONG • juluong@yahoo.fr

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Aujourd’hui, l’obésité est considérée comme une maladie chronique. 16% des adultes sont concernés dans le monde. Si l’arrivée de nouveaux médicaments anti-obésité crée des espoirs inédits, elle ne doit pas faire oublier l’importance de la prévention

 
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’obésité est une maladie chronique complexe qui se définit par un dépôt excessif de tissu adipeux pouvant nuire à la santé. Elle augmente le risque de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, peut affecter la santé des os et la procréation, et augmente également le risque de certains cancers. «Environ la moitié des patients qui consultent se plaignent non pas de problèmes de santé à proprement parler mais de répercussions sur la qualité de vie», précise Jean‑Paul Thissen, endocrinologue et nutritionniste aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Car l’obésité a également une influence sur le sommeil ou la mobilité. Sans parler bien sûr de la discrimination que subissent les personnes en surpoids, dans un monde où la minceur est à la fois synonyme de beauté, de compétence et de contrôle de soi.

Densité calorique

Le diagnostic de surpoids et d’obésité se fait en calculant l’indice de masse corporelle (IMC): poids (kg)/taille² (m²) (voir schéma ci-dessous). On parle ainsi de surpoids quand l’IMC est égal ou supérieur à 25 et d’obésité quand l’IMC est égal ou supérieur à 30. Suivant ces critères, selon l’OMS, 2,5 milliards d’adultes de 18 ans et plus sont en surpoids dans le monde et sur ce total, plus de 890 millions sont obèses, ce qui signifie que 43% des adultes de plus de 18 ans sont en surpoids (43% des hommes et 44% des femmes) tandis que 16% sont obèses. Une proportion qui a doublé entre 1990 et 2022. La prévalence de l’obésité varie par ailleurs selon les régions: si en Asie du Sud-Est et en Afrique, 31% de la population est en surpoids, ce pourcentage atteint 67% sur le continent américain. En Belgique, selon les derniers chiffres de Sciensano, 49% de la population adulte est en surpoids et près de 16% en situation d’obésité.

«Il y a probablement toujours eu des patients obèses, explique Jean-Paul Thissen. Mais le problème s’est installé depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un point d’inflexion au début des années 90. Dans les pays occidentaux, l’obésité touche surtout les classes défavorisées – alors qu’en Afrique centrale, c’est encore l’inverse. Elle est liée à la mise à disposition d’alimentation bon marché, avec un prix de la calorie qui est devenu très très bas.» La part du budget familial consacrée à l’alimentation n’a ainsi cessé de diminuer, cependant que la part consacrée au logement, aux loisirs, à l’informatique, aux vacances ou à la voiture n’a cessé d’augmenter. «Malheureusement, l’industrie agroalimentaire a suivi le mouvement et offre une nourriture de moins en moins qualitative et d’un prix de plus en plus faible, poursuit le spécialiste. Avec les aliments ultratransformés, sans manger de grosses quantités, votre apport calorique est couvert… alors qu’avant, vous deviez manger de grosses quantités, notamment de légumes, pour avoir assez de calories.»

Cette augmentation de la «densité calorique» s’est par ailleurs accompagnée d’une diminution de nos dépenses énergétiques, avec l’apparition des transports motorisés et de modes de vie toujours plus sédentaires. Ainsi, selon l’Enquête de Santé 2018, le Belge de plus de 15 ans passe en moyenne 6 heures par jour en position assise. Or en position assise, la dépense énergétique est inférieure à 1,5 unité métabolique: le corps va dépenser au maximum 50% d’énergie en plus par rapport au simple état de veille, alors qu’en position debout, la dépense énergétique va déjà augmenter de 30% supplémentaire.
 
 

SET POINT

Le fait que la prise de poids soit en grande partie liée à un excès de calories a longtemps laissé penser qu’il suffisait de manger moins pour revenir à son poids de forme. Mais les choses sont loin d’être aussi simples. «La correction, même complète, des « erreurs alimentaires » va certes vous faire perdre du poids mais ne vous ramène pas au point de départ, détaille Jean-Paul Thissen. C’est comme si l’organisme défendait un nouveau point qu’il avait atteint et considérait que c’était son « set point ». Aujourd’hui, il apparaît de plus en plus évident que lorsqu’on diminue son apport calorique, on va perdre 5 ou 10 kilos, mais rarement beaucoup plus… En réalité, dès que vous perdez du poids, votre métabolisme de base diminue, donc vous brûlez moins et votre appétit augmente…» Un mécanisme qui explique pourquoi l’accumulation de régimes restrictifs aura tendance, à terme, à faire grossir… Un «effet yoyo» décourageant, par ailleurs susceptible de favoriser une dérégulation du comportement alimentaire. «L’obésité est « facile » à prévenir mais difficile à traiter, résume Jean-Paul Thissen. On le voit aussi dans la chirurgie bariatrique avec des patients qui ont tendance à reprendre du poids au fil du temps.»


Ozempic:
du diabète à l’obésité

«L’obésité est de plus en plus reconnue comme une maladie, poursuit Jean-Paul Thissen. Or qui dit maladie, dit traitement… Pensons au cholestérol ou à l’hypertension. Donc l’industrie a toujours cherché des remèdes à cette problématique. Mais si l’histoire des médicaments anti-obésité est pavée de bonnes intentions, il y a eu beaucoup d’échecs par rapport à d’autres pathologies.» Pondéral, Acomplia, Reductil: tous ces médicaments ont été retirés du marché après quelques années, soit suite à des effets secondaires indésirables, soit parce que les pertes de poids étaient trop modestes. Mais depuis peu, une nouvelle classe de médicaments, parmi lesquels l’Ozempic (sémaglutide), administré sous forme de stylo injecteur et produit par la firme danoise Novo Nordisk, suscite un engouement inédit. Prescrit depuis des années pour traiter le diabète de type 2, l’Ozempic appartient à la famille des analogues du Glucagon-like peptide-1 (GLP-1), une hormone intestinale qui stimule le pancréas pour qu’il produise davantage d’insuline. Ce médicament a donc comme effet de faire baisser le taux de sucre dans le sang. Mais il agit par ailleurs sur l’hypothalamus, une zone du cerveau qui intervient dans le comportement alimentaire et le sentiment de satiété. En ralentissant la vidange gastrique, le sémaglutide donne aussi le sentiment d’avoir le ventre plein, incitant à diminuer les prises alimentaires.

En 2018 déjà, une étude (1) avait comparé l’effet du sémaglutide sur la perte de poids par rapport à un placebo. Après un an de traitement, des doses comprises entre 0,05 mg et 0,4 mg par jour avaient entraîné des pertes de poids de 6% à 11,2%. Le sémaglutide a ensuite été testé à une dose supérieure, hebdomadaire et unique de 2,4 mg. Au terme de 68 semaines de traitement, les participants de l’étude affichaient une perte de poids de 15%, contre 2% avec de simples mesures hygiéno-diététiques. Depuis quelques années, l’Ozempic est donc parfois prescrit à des personnes obèses pour les aider à perdre du poids. «Ces effets sur le comportement alimentaire et la perte de poids étaient inattendus, commente Jean-Paul Thissen. Ce n’était pas l’effet initialement recherché, mais cela ne veut pas dire pour autant que ces médicaments ont été « détournés » comme on l’entend parfois.»

La découverte d’un effet «non recherché initialement» est en effet fréquent dans l’histoire du médicament. Mais concernant la problématique du surpoids, il existe une crainte particulière de mésusage, notamment au vu de l’engouement sur les réseaux sociaux et de la publicité assurée par certaines personnalités publiques au sujet de l’Ozempic… Aujourd’hui, en Belgique, ce médicament n’est pourtant prescrit qu’à de strictes conditions, à savoir un IMC de plus de 35 ou de plus de 30 avec comorbidités. Mais pour Jean-Paul Thissen, la méfiance vis-à‑vis de ces médicaments tient aussi à la «moralisation» de l’obésité, encore perçue par certains non comme une maladie mais comme un manque de volonté… et qui, en tant que tel, ne «mériterait» pas de bénéficier d’un traitement pharmacologique. «Quand je prescris ces médicaments à des patients diabétiques, ils ne rencontrent jamais de problème à la pharmacie. Mais si je les prescris à des patients qui ont un excès de poids, le pharmacien est souvent réticent. Cette perception que l’excès de poids est « la faute du patient » est malheureusement présente aussi chez des professionnels de la santé», déplore le spécialiste. Par ailleurs, aujourd’hui, en Belgique, l’Ozempic est uniquement remboursé dans l’indication diabète. Les patients avec obésité doivent pour leur part s’acquitter de quelque 110 euros par mois. «Et pourtant les patients sont très enthousiastes. Ils ont très peu de réticences, posent peu de questions sur les effets secondaires… Les femmes sont aussi plus nombreuses à consulter pour cette raison, probablement parce qu’elles souffrent davantage de la stigmatisation. Récemment, une patiente très intelligente, avec une fonction importante, me disait encore à quel point les gens supposent que si vous êtes en excès de poids, vous êtes idiote…»

(1) O’Neil PM, Birkenfeld AL, McGowan B, Mosenzon O, Pedersen SD, Wharton S, Carson CG, Jepsen CH, Kabisch M, Wilding JPH. Efficacy and safety of semaglutide compared with liraglutide and placebo for weight loss in patients with obesity: a randomised, double-blind, placebo and active controlled, dose-ranging, phase 2 trial. Lancet. 2018 Aug 25;392(10148):637-649.

 

QUELQUES CHIFFRES ALARMANTS

•  1 personne sur 8 dans le monde est obèse.

• L’obésité chez les adultes a doublé à l’échelle mondiale depuis 1990 et l’obésité chez les adolescents a quadruplé.

• 2,5 milliards d’adultes sont en surpoids dans le monde.
Sur ce total, 890 millions sont obèses.

 
 
 
• 37 millions d’enfants de moins de 5 ans sont en surpoids dans le monde.

• 390 millions d’enfants et d’adolescents âgés de 5 à 19 sont en surpoids dans le monde. Parmi eux, 160 millions étaient obèses.

(Chiffres OMS 2022)

 
Une révolution ?

Bientôt, d’autres médicaments anti-obésité comme le Mounjaro (tirzépatide), commercialisé par la firme américaine Eli Lilly, devraient arriver sur le marché. Cette molécule permettrait d’atteindre des pertes de poids jusqu’à 20% (2). La même firme a annoncé travailler sur la commercialisation d’une autre molécule encore, le rétatrutide, qui promet des pertes de poids jusqu’à 25%… Si des études complémentaires doivent confirmer la sécurité et l’efficacité de ces médicaments – qui pourraient être disponibles sous forme orale -, l’industrie pharmaceutique semble donc avoir franchi un pas décisif… «L’Ozempic agit essentiellement sur le comportement alimentaire, mais le Mounjaro a en plus un effet sur le tissu adipeux. Quant au rétatrutide, il pourrait agir sur la dépense énergétique avec un effet brûle-graisses», précise Jean-Paul Thissen, qui parle d’un «changement majeur» dans la prise en charge de l’obésité. «On ne parle pas de 10 ou 15% de perte de poids, mais de 20 voire 25%, ce qui s’approche des résultats de la chirurgie bariatrique. On voit aussi que ces médicaments exercent un effet bénéfique sur les problèmes cardiovasculaires et rénaux… Par ailleurs, nous avons un recul de 10 ou 15 ans et nous savons que s’il existe des effets secondaires, ceux-ci restent relativement rares.» À savoir des nausées et vomissements (en cas d’estomac paresseux), des cas ponctuels de pancréatites mais aussi une fatigue importante chez certains patients.

Peut-on imaginer que ces nouvelles molécules marqueront d’ici peu la fin de l’épidémie d’obésité ? «Je ne le pense pas, répond Jean-Paul Thissen. On l’a vu avec le HIV: ce n’est pas parce qu’on a des traitements efficaces qu’il y a moins de cas. En fait, avoir des traitements peut même avoir comme effet indésiré une diminution des efforts de prévention et créer un retour de manivelle.» Pour le spécialiste, il est donc très important de ne pas laisser entendre que les médicaments vont tout résoudre, d’autant qu’ils doivent être pris à vie. «À l’arrêt, les personnes reprennent en moyenne deux tiers du poids perdu», pointe Jean-Paul Thissen. Leur coût est donc significatif et leur accessibilité future incertaine. «Il est clair qu’en Belgique, les personnes potentiellement concernées forment un fameux lobby… Donc soit on l’accorde à tous les patients, mais ça fait quand même près de 2 millions de personnes en Belgique et ça va coûter très cher ! Ceci dit, la question va se poser de plus en plus: est-ce que ne pas traiter l’obésité n’expose pas à un risque et un coût plus important ?
À l’inverse, si on ne le rembourse pas du tout, ce seront les plus riches qui pourront se permettre de le prendre, alors que l’obésité touche plutôt des classes défavorisées… Il faudrait donc un remboursement ciblé, qui consiste à voir chez quel patient l’investissement va « rapporter » le plus, c’est-à-dire lequel pourra, grâce aux traitements, éviter d’autres problèmes de santé. Ce seront probablement les plus jeunes qui seront les meilleurs candidats.
»

Pour ce spécialiste, ce sont aussi les campagnes de prévention qui doivent aujourd’hui être davantage ciblées. «Je pense qu’il faut notamment une prévention à destination des femmes enceintes. On sait aujourd’hui que celles qui prennent plus de 10 ou 15 kilos pendant leur grossesse sont, à long terme, à risque accru d’excès de poids. Celles qui commencent leur grossesse avec un excès de poids vont par ailleurs donner naissance plus facilement à des enfants qui auront eux-mêmes un excès de poids. Autrement dit, l’épidémie d’obésité est à la fois liée à des inégalités entre individus d’ordre génétique et à l’environnement, avec une alimentation trop calorique mais aussi d’autres facteurs comme le manque de sommeil ou le travail de nuit… Il faut aussi retrouver la dimension hédonique de l’alimentation, favoriser le manger en pleine conscience et non devant un écran…» Lutter contre l’épidémie d’obésité, ce n’est donc pas seulement chercher de nouveaux médicaments: c’est aussi privilégier des modes d’organisation du travail qui respectent les rythmes biologiques, lutter contre les inégalités sociales, retrouver le plaisir de manger et favoriser des politiques qui garantissent l’accès de tous à une alimentation de qualité. «Les individus ont une part de responsabilité, mais les pouvoirs publics aussi ! souligne encore Jean-Paul Thissen. La suppression de la TVA sur les légumes serait par exemple une très bonne chose. Et les agriculteurs seraient ravis.» 

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