Biologie

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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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Bar à diagnostics

Comme le cheval mais contrairement à la plupart des autres mammifères, nous avons des glandes sudoripares sur toute la surface de notre corps qui, par l’excrétion de liquide, servent à assurer une stabilisation de la température corporelle. Mais elles ont une seconde fonction: l’excrétion de substances diverses qui se retrouvent sur et dans la peau. L’idée de profiter de cette élimination à des fins diagnostiques n’est pas neuve. Elle a déjà été mise en application pour mesurer par exemple le flux de chlorures en cas de fibrose kystique (mucoviscidose) ou des traces de produits illicites chez des consommateurs.

Mais des firmes ont trouvé judicieux de rendre le processus plus performant en mettant au point des systèmes qui permettent, en temps réel et de façon simultanée, une capture en série de traces diverses afin d’établir l’état de santé des individus. Et ce, tant qu’à faire, via une procédure non-invasive: le patch. Dans sa conformation idéale, il doit être composé de 3 parties: une partie adhésive poreuse contre la peau, une seconde isolante à l’extérieur et pris en sandwich entre les 2, un dispositif complexe de taille identique. Et c’est bien entendu là que se trouve tout le système analytique. Il peut comporter des microréservoirs à fluide à analyser ensuite, des colorants dont le virage dans une couleur différente peut renseigner sur la concentration d’un produit. Il peut également être enrichi de micro-canaux destinés à donner une idée de la dynamique de production, mais aussi de senseurs microchimiques dont les résultats peuvent être envoyés en temps réels sur un smartphone… La liste n’est bien entendu pas exhaustive.

Que peut-on doser ? Tout ce qui est détectable à un niveau de concentration suffisant. Des traces, le plus souvent, suffisent à fournir un diagnostic. Et s’il faut les amplifier quelque peu, il suffit de demander aux patients de fournir un effort physique pour augmenter leur sécrétion. On pense aux ions, aux sucres, aux métaux lourds, aux hormones, aux électrolytes les plus divers, aux marqueurs de la réponse immunitaire, de la détresse cardiaque ou rénale, du stress, des effets de l’exposition à la chaleur, etc. Reste à ces capteurs à fournir une réponse fiable, qui peut toujours être confirmée par un dosage sanguin ou urinaire. Il va de soi que ce type de dispositif peut surtout se montrer salutaire en cas de maladie ou autre affection à diagnostiquer aussi vite que possible grâce à des marqueurs spécifiques, dès leur apparition. Juste avec un patch collé sur le haut du bras… 

   Science, 2023, 379: 760-761

Pourquoi les crocodiles ont-il la  peau craquelée ?

Avec leur grande gueule remplie de dents acérées, leurs gros yeux au-dessus de la tête, leurs petites pattes disproportionnées et leur longue queue pleine de crêtes, les crocodiles ont de quoi faire peur ! Le cinéma ou la télé en ont souvent tiré profit ! Mais dans les labos, on se demande très sérieusement pourquoi ils ont cette tête au tégument craquelé. L’origine de cette structure est embryologique, or les embryons crocodiliens se développent dans des œufs, à l’abri de l’observation immédiate. Il faut donc émettre des hypothèses et grâce à des stratagèmes, les valider… ou les invalider. Facile à dire, complexe à réaliser. Une face, c’est de l’os sur lequel reposent du derme et de l’épiderme. Si une peau apparaît craquelée en motifs vaguement géométriques, c’est probablement qu’elle s’est développée davantage que son support… mais à un stade précoce, quand ces téguments restent encore souples. Imaginons que ce soit le cas, la peau qui se développe «trop» commence par former des plis par invaginations progressives. Ces plis s’indurent ensuite prenant l’allure des craquelures typiques du tégument crocodilien, déjà bien visible chez les animaux sortis de l’œuf. C’est ce que vient de démontrer une équipe pluridisciplinaire genevoise, dont plusieurs belges.

On peut bien entendu objecter que cela ne va pas changer la face du monde, mais à une époque où règnent les conflits et la violence, il est rassurant de savoir que des scientifiques continuent de chercher à comprendre les mécanismes évolutifs qui ont mené à l’émergence, il y a des millions d’années, de structures dont on ne connaissait pas jusqu’ici l’origine exacte. Et petit clin d’œil qui ramène à l’histoire: est notamment impliqué le «système chimique de Turing». Alan Turing, étant le mathématicien britannique qui est parvenu à «craquer» les codes secrets allemands qui présidaient aux lancements des bombes V1 et V2 sur la Grande-Bretagne. Il s’est ensuite intéressé à la morphogenèse, ce qui permet de le citer ici. Un bienfaiteur de l’humanité disparu depuis longtemps qui permet aujourd’hui d’identifier l’origine de structures de la tête des crocodiles. Un joli raccourci historico-scientifique, non ?

   Nature, volume 637, issue 8045, 9 January 2025

 
Vers un rajeunissement induit ?

Il y a une dizaine d’années, une équipe de chercheurs japonais menée par Shinya Yamanaka – qui a reçu le Prix Nobel pour ce travail – a réussi à inverser le développement de cellules humaines spécialisées pour leur faire retrouver l’aspect de cellules embryonnaires. Un tour de force apparent qui a tenu à l’introduction de 3 gènes précisément bien exprimés dans les cellules embryonnaires initiales. L’idée de Yamanaka était d’en faire des cellules souches de néoformation que l’on pouvait alors réorienter dans un sens thérapeutique utile pour régénérer un tissu lésé ou devenu défaillant.

L’idée était innovante, permettant d’envisager une réparation tissulaire sans risque de rejet, les cellules destinées au rajeunissement induit étant prélevées sur le futur destinataire. On a découvert depuis que cette régression, à un stade pseudo-embryonnaire, n’avait qu’un temps et qu’il était nécessaire, en cas d’application thérapeutique, de renouveler l’opération.  Mais il n’empêche que l’idée d’un rajeunissement appliqué au niveau cellulaire a fait naître dans certains esprits aventureux l’espoir que l’on pourrait bien l’appliquer à un organisme entier. Tiens, et pourquoi pas à l’homme, après tout ?

De l’intention à la mise en œuvre, il n’y avait évidemment qu’un pas et plusieurs sociétés ont vu le jour, ont trouvé les financements nécessaires et se sont lancées dans l’aventure. Pas question, dans un premier temps, de tester chez l’humain, c’est donc la souris qui a fait les frais des essais pionniers. Le corps d’une souris est tout de même composé de milliers de milliards de cellules. Le moyen d’en cibler le plus grand nombre devait donc passer par une injection de type viral. On a choisi pour cela un virus atténué, suffisamment grand pour contenir les 3 gènes nécessaires au rajeunissement. Pour l’occasion, on a retenu un virus adénoassocié (AAV) qui présence cette caractéristique de taille. Les spécialistes comprendront.

Les injections ont donc été opérées et on a comparé le comportement des souris expérimentales avec des témoins. Si ces dernières ont survécu 9 semaines encore, celles qui ont reçu les gènes ont survécu le double, ce qui laisse augurer d’un effet réellement significatif. Ce qui est apparu à l’occasion d’un examen organique plus approfondi, ce n’est pas que les cellules «infectées» aient intégré les 3 gènes, mais que ceux-ci aient favorisé des réparations d’atteintes liées à l’âge. Pas de réparation génétique, donc, mais plutôt épigénétique, ce qui n’est déjà pas si mal. On a par exemple noté une amélioration de la vue et de quelques autres fonctions. 

S’agit-il des prémices du début d’un commencement d’atténuation du vieillissement ? Rien ne permet de l’affirmer. D’abord, parce qu’il s’agit ici d’expériences préliminaires opérées chez la souris. Avant d’envisager une application à l’homme – si on le fait un jour – il faudra au préalable s’assurer de la totale sécurité de la manœuvre et de son innocuité. Autant dire qu’avant qu’un éventuel accord des autorités biomédicales soit obtenu, il passera encore du temps; ne fût-ce que pour obtenir la garantie que sur le moyen et le long terme, aucune altération majeure n’est à craindre, comme le déclenchement d’un cancer. On ne peut toutefois pas nier le fait qu’un premier pas a été franchi dans le sens du transhumanisme. Est-ce un progrès ? Est-ce un bien ? L’avenir nous l’apprendra suffisamment vite.

   Science, 2023, 379: 224

De l’insecte au menu

La production animale dans le monde monopolise 70 à 80% des terres agricoles, mais leur consommation ne fournit qu’environ 18% de l’apport calorique et 25% des protéines alimentaires. Il existe donc une disproportion massive entre l’investissement (pour produire la nourriture à ces animaux) et le bénéfice que l’homme peut en retirer au niveau alimentaire. Il faut aussi savoir que 33% des sols cultivés ne servent qu’à produire la nourriture destinée au bétail; une réalité qui pousse à chercher des alternatives afin d’occuper ces sols de manière optimale, notamment grâce à la production de végétaux plus utiles à nourrir les humains. Parmi les alternatives dans l’air du temps, figurent les insectes. Inutile de penser à les incorporer au régime alimentaire des herbivores; l’apparition des «farines animales» il y a quelques années ayant mis fin à cette compensation alimentaire.

Mais il reste quelques autres groupes d’animaux comme les poules et autres volatiles de basse-cour, les porcs (omnivores) et les poissons par exemple, pour lesquels les insectes pourraient parfaitement convenir étant donné qu’ils figurent déjà de manière régulière ou occasionnelle dans leur régime. Recourir aux insectes plutôt qu’à une nourriture végétale stricte présente de multiples avantages: ces arthropodes se nourrissent souvent de matières organiques inexploitées en raison de leur état (fruits et légumes avariés). Leur croissance produit très peu de gaz à effet de serre et requiert très peu d’eau. Bref, c’est presque tout bénéfice si on s’arrête à ces aspects-là.

Sauf que toute médaille a son revers: produire des insectes en quantité requiert des installations importantes et de la main d’œuvre dont le coût est loin d’être concurrentiel par rapport aux aliments conventionnels. Autre inconvénient plus subtil car non directement perceptible: les insectes peuvent contenir, sans que cela leur nuise, quelques substances toxiques provenant des aliments improbables dont ils se nourrissent parfois, comme par exemple des résidus de métaux, lourds ou pas. Mais en revanche et pour rester un instant encore au niveau chimique, on a déjà remarqué, à l’occasion d’expériences diverses menées en labo, que la consommation de chitine (la protéine qui constitue l’essentiel de l’exosquelette des insectes) semble accroître les défenses immunitaires de leurs consommateurs au même titre qu’elle modifierait des manière favorable leur microflore intestinale, les 2 éléments étant vraisemblablement liés.

Trois espèces font déjà l’objet de recherches: la mouche domestique (Musca domestica), le soldat noir (Hermetia illucens – voir photo ci-dessous) et le ver de farine (Tenebrio molitor). C’est leur dernier stade larvaire qui est retenu en priorité en raison de la taille et de la richesse en substances nutritives de ces larves. Des quantités limites semblent avoir été fixées pour ne pas trop perturber les métabolismes des consommateurs (de 10 à 20% de la ration alimentaire). Et les résultats semblent prometteurs. Et tiens, question toute bête: pourquoi ne pas directement faire profiter les humains de ces produits animaux garantis sains afin de réduire la production et la consommation de viande ?

   Science, 2023; 379: 138-139

Déjà différents

Tous ceux qui ont abordé la paléontologie savent que la préhistoire a été divisée en cultures différentes, basées sur des découvertes faites notamment dans le domaine de l’art ou du type d’habitation. C’est de cette façon que l’on a par exemple défini l’Aurignacien (de 43 000 à 29 000 ans d’ici), le Gravettien ensuite (de 29 000 à 23 000) puis le Solutréen (après 23 000). Ces différents noms tiennent à des sites du Sud-Ouest français d’identification de vestiges.

Le Gravettien en particulier – la période la plus courte – a été singularisé par une unité de style dans toute l’Europe de l’époque, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. C’est notamment de cette époque que datent les Vénus sculptées dans l’os de mammouth, avec des chevelures ouvragées ainsi que des seins et des fessiers exagérés. Les archéologues et anthropologues étaient depuis des années d’accord sur cette uniformité gravettienne. Sauf que, récemment, des spécialistes ont revisité l’ADN des vestiges osseux humains de l’époque avec des séquenceurs dernière génération et ont mis en évidence des différences qui n’étaient pas apparues jusque-là. L’une d’elles concerne le génome des habitants du territoire de l’actuelle France et de l’Espagne et de ceux de territoires correspondant à la République Tchèque et à l’Italie. C’est pendant cette période, essentiellement
entre – 25 000 et – 19 000 ans, que la température moyenne a connu un recul significatif, ce qui a mené à une totale redistribution des populations. Il apparaît notamment qu’un territoire comme celui de l’Italie actuelle, plutôt que d’être une sorte de refuge dans cette période de grands froids, ait plutôt été une voie sans issue. Et ce sont des populations issues des Balkans qui, venant de l’Est, auraient donc non seulement reconquis ces territoires (Italie et ceux de l’Est) mais auraient apporté un génome différent; ce que les études génomiques récentes auraient mis en évidence.

La Vénus de Renancourt porte une étonnante  «coiffure» réalisée par de fines incisions en  quadrillage. Elle constitue un rare témoignage  de l’art gravettien caractéristique des chasseurs-cueilleurs.

Et c’est ce qui fait que les Magdaléniens, datés de la période qui a suivi le maximum glaciaire (de – 17 000 à – 14 000 ans environ) auraient hérité du génome de ces nouveaux arrivants de l’Italie, lesquels auraient ensuite  progressivement gagné des territoires plus nordiques à la faveur du réchauffement. Ce sont ces migrations  successives qui expliqueraient que les populations de l’Ouest européen il y a 8 000 ans avaient plutôt la peau brune et  les yeux clairs, alors que ceux qui venaient de l’Est, la peau claire et les yeux bruns. Ces 2 populations d’origines  différentes qui se seraient pourtant partagé le territoire de l’Europe actuelle de façon simultanée, ne se seraient pas  «hybridés» pendant une durée de plusieurs millénaires, globalement de – 14 000 à – 8 000 ans, comme l’examen des  génomes l’a mis en évidence. Après, avec le retour à des conditions bien plus clémentes, ils se seraient rapprochés,  donnant naissance à une population plus mélangée.

Cette révision génomique repose tout de même la question longtemps acceptée de la belle unité culturelle des Gravettiens – notamment traduite dans la morphologie des figurines évoquées plus haut – qui, à l’évidence, étaient de 2 origines différentes. Reste à déterminer, en matière de conception d’outils, de méthode de chasse et de culte des morts en particulier laquelle des 2 populations est davantage à l’origine. Les spécialistes n’ont pas fini d’en débattre.

   Science, 2023, 379: 865-866
 

BIOZOOM

Depuis quand les pieuvres imitent-elles les bernard l’hermite et se cachent dans les coquillages ? La réponse est: jamais ! Parce que ce n’est pas un coquillage. Il s’agit d’un argonaute voilier (Argonauta argo), souvent appelé «nautile en papier», tant sa coquille est fine. Et c’est plus précisément une femelle car les mâles, plus petits, n’ont pas de coquille. Elle fabrique elle-même ce «couvre-chef» calcareux – la nacelle – pour y déposer ses œufs en toute sécurité et le maintient accroché à elle jusqu’à leur éclosion. Mais quel rapport avec un voilier ? Quand la mer est calme, elle remonte à la surface et laisse 2 de ses tentacules aplatis hors de l’eau pour se laisser porter par le vent et parcourir de longues distances sans trop se fatiguer ! L’intelligence de la nature… 

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