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Le hasard existe-il vraiment ?

Nathan UYTTENDALE, alias Chat Sceptique • chatsceptique@gmail.com
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«Dieu ne joue pas aux dés» aurait dit Einstein. C’était en 1927 à Bruxelles lors du 5e congrès Solvay. Par cette déclaration, le physicien manifeste alors son profond malaise face à l’importance croissante accordée aux probabilités dans le domaine de la physique

Participants du premier congrès Solvay (1911) à l’hôtel Métropole, place De Brouckère, à Bruxelles.
Reconnaîtrez-vous Albert Einstein ainsi que la seule femme présente à ce congrès ? (    Solution)

 
Savez-vous ce qu’est le hasard ? Ouvrez n’importe quel livre d’introduction aux probabilités et on vous donnera rapidement l’exemple du jet d’un dé. Le dé possède 6 faces et il est impossible de déterminer à l’avance quelle face on obtiendra en le lançant. C’est ça, le hasard, nous dit-on ! Mais est-ce vraiment du hasard ? Et si l’exemple pourtant standard de tous les livres de statistique était en réalité mal choisi ?

Le dé est un objet physique. La main qui le lance aussi. Les deux sont soumis aux lois de la physique de sorte qu’en principe, en connaissant la force et l’angle du lancer ainsi que les caractéristiques du dé et de la surface d’impact, il devrait être possible de calculer quelle face «va sortir» avant même que le dé soit jeté. Bref, tout peut être déterminé, le lancer d’un dé n’est pas quelque chose d’intrinsèquement aléatoire.

La météo, souvent vécue comme un processus aléatoire, est pourtant aussi soumise aux lois de la physique: l’évolution de notre atmosphère n’est pas de la magie ! Et pourtant, nous échouons à prédire l’état de l’atmosphère dans une semaine autant que le résultat du jet d’un dé. La raison est simple: l’atmosphère tout comme le lancer d’un dé sont des systèmes dits cHAoTiquEs. Un bien grand mot pour désigner des systèmes dont l’une des propriétés et la sensibilité aux conditions initiales. N’abandonnez pas votre lecture, c’est moins compliqué que ça en a l’air 😊.

Vous avez légèrement sous-estimé la force du lancer du dé ou échoué à prendre en compte une imperfection de la surface d’impact ? Pas de chance, ces erreurs seront amplifiées au point que les prédictions théoriques vont vite se séparer de la réalité.

Vous avez mesuré l’ensemble de l’atmosphère terrestre à un instant t afin de prédire les jours de pluie et de Soleil à venir via les lois de la physique ? Bravo ! Avez-vous mesuré l’atmosphère avec une précision parfaite ? Non !? Hé bien dans ce cas, vos prédictions seront potables à court terme et catastrophiquement fausses à long terme.

Le billard est souvent utilisé comme exemple de système avec une grande sensibilité aux conditions initiales.
Deux billes partant avec des trajectoires très légèrement différentes se séparent pourtant rapidement.

Une précision totale des mesures étant à jamais inaccessible, la météo et les dés seront toujours vécus comme des phénomènes aléatoires bien qu’ils ne soient pas intrinsèquement aléatoires. Le choix du dé comme symbole du hasard dans les livres de statistique n’est donc pas si déraisonnable… à moins que l’IA s’en mêle ? Un jour peut-être, quelqu’un fournira les premières images du jet de plusieurs milliards de dés ainsi que les résultats de ces lancers à une IA pour l’entrainer, la rendant capable de prédire avec une précision redoutable le résultat de tout nouveau lancer sur base des premières millisecondes du phénomène. Ou pas !

Existe-t-il des choses autour de nous qui sont intrinsèquement aléatoires, c’est-à-dire à propos desquels il n’est pas possible, même théoriquement, de prédire le résultat ? La réponse est oui, ce qui nous ramène à la physique quantique.

L’exemple concret que j’aime donner est celui du carbone 14. Un atome de carbone possède par définition 6 protons en son cœur.  Ajoutez 6 neutrons et vous avez du carbone dit «12», une forme de carbone stable constituant l’essentiel du carbone dans nos corps et autour de nous.

Mais il existe aussi des atomes de carbone avec 8 neutrons, c’est le carbone 14. Celui-ci est instable et finit par se désintégrer en azote, mais le phénomène est intrinsèquement aléatoire. Sur 1 000 atomes de carbone 14, la seule chose qu’on sait, c’est qu’après 5730 ans, la moitié seront devenus de l’azote (1). Mais impossible de dire ou calculer quelle moitié: rien ne distingue les atomes de départ les uns des autres. Je peux laisser un physicien étudier ces atomes pendant des années, puis échanger 2 de ces atomes et demander au physicien de déterminer lesquels ont été échangés, il sera incapable de me répondre.

Que me dites-vous ? Il doit bien y avoir quelque chose qui les distingue, permettant d’expliquer pourquoi certains vont se désintégrer avant d’autres, c’est juste que la science ne l’a pas encore déterminé ? NON, répond la physique quantique ! Le fait que certains atomes vont se désintégrer et d’autres pas alors que rien ne les distingue fait partie des propriétés fondamentales de la matière. Et donc, l’aléatoire intrinsèque à cette situation fait partie des propriétés fondamentales de l’Univers dans lequel nous vivons. Un résultat qu’Einstein n’a jamais vraiment pu avaler. Aujourd’hui pourtant, la physique quantique a largement triomphé, n’en déplaise à Einstein qui, aussi brillant qu’il était, n’a pas eu raison sur tout !

(1) Une connaissance qui permet la datation au carbone 14, mais c’est un autre sujet.

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