Technologie

Smart cities
L’Afrique : un acteur clé ?

Virginie CHANTRY • virginie@marketrotters.com

Généré à l’aide de l’IA – Microsoft Designer, Green City Kigali, © wazkkii – stock.adobe.com, © OURA

Alors que les villes intelligentes s’imposent comme un modèle mondial d’urbanisation technologique, l’Afrique se retrouve à un carrefour déterminant. Avec une population urbaine qui pourrait atteindre 1,2 milliard d’ici 2050 (sur une population totale estimée à 2,5 milliards), le continent fait face à une pression croissante sur ses infrastructures. Mais au-delà des défis (inégalités économiques, manque de ressources locales, faible accès aux technologies…) émergent des opportunités sans précédent. Une jeunesse connectée, un marché en pleine expansion et un besoin pressant de solutions durables dessinent les contours d’un futur où l’Afrique pourrait devenir un acteur clé de cette révolution urbaine. Les villes intelligentes africaines sont-elles un rêve lointain ou une réalité en développement ? Décryptage

Les smart cities sont des espaces urbains qui optimisent l’utilisation des technologies dans des secteurs clés tels que les transports, l’énergie, les infrastructures, la santé et la sécurité publique afin d’améliorer leur efficacité et d’élever la qualité de vie des habitants. L’objectif principal est de répondre aux besoins d’une population croissante tout en favorisant un développement économique durable et en minimisant l’impact environnemental. Ces villes intelligentes s’appuient sur des réseaux de capteurs et de transmetteurs de faible puissance qui collectent des données en temps réel. Ces informations sont ensuite analysées par des systèmes informatiques pour, par exemple, réduire la consommation d’énergie grâce à des réseaux électriques intelligents (smart grid), fluidifier la mobilité urbaine avec des transports connectés ou améliorer la gestion des déchets à l’aide d’algorithmes prédictifs.

Plus que des capteurs et des données

Mais une smart city n’est pas seulement une question de technologie: c’est aussi la vision d’une ville inclusive où l’innovation est mise au service des citoyens pour répondre aux défis contemporains comme la surpopulation, la pollution et les inégalités. En Afrique, cette vision prend une dimension particulière face à des défis uniques: urbanisation rapide, infrastructures insuffisantes, inégalités économiques marquées et accès limité aux ressources essentielles telles que l’énergie ou l’eau potable. Ces problématiques sont exacerbées par une forte dépendance aux financements internationaux et aux partenariats privés, ainsi que par le recours à des technologies importées, souvent peu adaptées aux besoins réels des populations locales. Par ailleurs, la fracture numérique constitue un frein majeur: de nombreuses régions africaines n’ont pas encore accès à Internet et les infrastructures existantes, souvent peu fiables et coûteuses à moderniser, compliquent l’intégration de solutions numériques à grande échelle.

De plus, certains projets urbains, notamment les «villes nouvelles», conçus comme des réponses rapides à l’expansion démographique, se révèlent souvent déconnectés des besoins réels des citoyens. Plutôt que de traiter les enjeux urgents comme le logement ou les services de base, ces projets servent de vitrines politiques et économiques, exacerbant ainsi les inégalités sociales. Ils s’appuient fréquemment sur des réaménagements urbains en contradiction avec la vie agricole, commerciale ou résidentielle locale. Enfin, la corruption reste une problématique persistante, posant une question cruciale: comment garantir que ces initiatives profitent réellement à la population et ne soient pas détournées de leurs objectifs premiers ?

Cependant, ces défis s’accompagnent également d’opportunités inédites. La jeunesse africaine, largement connectée et avide de solutions innovantes, agit comme un catalyseur de transformation. Les startups tech jouent un rôle clé dans cette dynamique en développant des solutions sur mesure pour répondre aux besoins spécifiques du continent: systèmes intelligents de gestion des déchets, plateformes de paiement mobile révolutionnaires ou encore technologies de surveillance adaptées aux réalités locales. L’adoption de ces innovations permet aussi d’améliorer concrètement la qualité de vie: un meilleur accès à l’éducation et à la santé, une mobilité urbaine plus efficace et des services publics mieux gérés. Des initiatives comme Smart Africa, créée lors du Sommet Transform Africa de 2013 à Kigali, capitale du Rwanda, soutiennent cette transformation. Aujourd’hui, l’alliance regroupe 40 pays africains, représentant plus d’un milliard de personnes, et agit comme un moteur de collaboration entre gouvernements, entreprises et citoyens.

Cette dynamique se reflète dans plusieurs villes africaines, illustrant le potentiel des smart cities. De l’Afrique de l’Est à l’Afrique de l’Ouest, des initiatives concrètes montrent comment la technologie peut répondre aux défis urbains tout en améliorant la qualité de vie. Plus au nord, des villes modernisent leurs infrastructures pour intégrer des solutions intelligentes, tandis qu’au sud, des projets novateurs optimisent les services publics. Explorons quelques exemples de villes africaines en pleine transformation.

Face aux défis de l’urbanisation rapide, l’Afrique façonne ses propres smart cities, mêlant innovation locale, solutions numériques adaptées et collaborations stratégiques pour bâtir des villes plus durables et inclusives.

Kigali: la perle technologique de l’Afrique de l’Est

Kigali, souvent citée comme un modèle phare pour les villes intelligentes africaines, se distingue par ses initiatives technologiques innovantes visant à améliorer la vie quotidienne de ses habitants. La capitale rwandaise a notamment instauré une gestion intelligente des transports, avec des systèmes de surveillance du trafic et la plateforme de paiement digital Tap&Go, simplifiant ainsi les déplacements en bus. Inspirée de la tradition de l’Umuganda, des journées communautaires dédiées au travail collectif, Kigali en a lancé la version digitale. Chaque mois, cette initiative rassemble des codeurs qui développent des outils numériques et des applications d’intérêt public. Elle porte également Green City Kigali, un projet pilote de 600 hectares qui ambitionne de devenir un modèle de ville durable en Afrique. Prévu pour accueillir 150 000 habitants, ce projet combine logements écologiques, énergies renouvelables et infrastructures intelligentes. Enfin, l’administration rwandaise s’est digitalisée avec le portail Irembo, permettant aux citoyens d’effectuer de nombreuses démarches administratives en ligne, et le pays a déployé des drones pour la livraison de sang et de médicaments. Cette initiative répond particulièrement aux besoins des zones rurales et isolées, améliorant ainsi l’accès aux services de santé à l’échelle nationale.

1. Green City Kigali vise à développer une communauté modèle sur la colline de Kinyinya, dans le district de Gasabo. Elle incarne l’ambition du Rwanda de bâtir une ville durable et connectée, tout en respectant son identité culturelle. Souvent comparée au Wakanda de Black Panther, son ambition futuriste et durable en fait un symbole fort du renouveau urbain africain.

2. DigiKen prévoit de créer 15 hubs d’innovation digitale à travers le Kenya, proposant des formations aux entrepreneurs et encourageant le développement de solutions en éducation en ligne, santé et e-commerce. D’ici 2027, l’initiative ambitionne de générer 4 500 emplois directs et d’améliorer l’accès aux outils numériques pour plus de 2 millions de Kényans.

En savoir plus :

https://greencitykigali.org/

https://greencitykigali.org/the-vision/

Nairobi: la Silicon Savannah

À 750 km plus à l’est, Nairobi, capitale du Kenya, s’affirme comme un hub technologique majeur en Afrique, méritant pleinement son surnom de Silicon Savannah. La ville est connue pour son système de paiement mobile M-Pesa, une plateforme révolutionnaire qui a démocratisé l’accès aux services financiers pour des millions de personnes, y compris dans les zones rurales, contribuant ainsi à l’inclusion financière. Mais l’innovation ne s’arrête pas là: Nairobi utilise également des applications intelligentes pour l’agriculture, fournissant aux travailleurs de la terre des données météorologiques en temps réel et des conseils personnalisés pour optimiser leurs rendements. Ces outils digitaux ciblent des cultures variées telles que l’avocat, la banane, le manioc, le maïs, la goyave et la pomme de terre. Ils fournissent des informations cruciales sur la prévention des parasites, les maladies des cultures et les périodes optimales de plantation. Par ailleurs, Nairobi a lancé DigiKen (Digital Platforms Kenya), une initiative des Nations Unies visant à transformer l’écosystème numérique au Kenya en facilitant l’accès aux technologies pour tous et en soutenant les plateformes numériques locales. Concrètement, DigiKen favorise le développement de solutions adaptées aux besoins locaux, notamment dans les domaines de l’éducation en ligne, de la santé, de l’e-commerce et des services publics digitaux.

Lagos: innover dans une mégapole

Lagos, mégapole nigériane de plus de 20 millions d’habitants, est confrontée à des défis majeurs qu’elle tente de relever en misant sur des solutions innovantes. La ville a déployé des réseaux électriques intelligents pour optimiser la gestion et la distribution de l’énergie, réduisant de la sorte les fréquentes coupures de courant. Lagos innove également dans la gestion des déchets urbains. La ville encourage le recyclage et lutte contre les décharges sauvages grâce à diverses applications mobiles qui visent à sensibiliser les citoyens et à stimuler le marché de la seconde main. De plus, le Yaba Tech Cluster, l’un des plus grands écosystèmes technologiques du pays, rassemble une multitude de hubs, startups et espaces de coworking. Il soutient l’entrepreneuriat numérique et favorise l’émergence de solutions adaptées aux besoins locaux dans les secteurs de la fintech, de la santé et de la mobilité. Enfin, Lagos investit dans des initiatives visant à améliorer la mobilité urbaine et la gestion de l’eau, des domaines essentiels pour une ville de cette envergure.

Rabat: parmi les leaders africains

Rabat, capitale du Maroc, figure parmi les smart cities les plus avancées d’Afrique, avec des projets ambitieux visant à renforcer la connectivité numérique et à moderniser ses infrastructures. Elle a investi dans des réseaux numériques de pointe pour améliorer l’accès à Internet et faciliter les démarches administratives en ligne. Rabat s’est également distinguée par ses initiatives en matière d’énergie renouvelable et de services publics numériques. Un Wi-Fi gratuit est désormais disponible dans de nombreux espaces urbains et la ville a mis en place un système de prise de rendez-vous médicaux en ligne. De plus, un réseau de caméras de vidéosurveillance a été installé pour renforcer la tranquillité des citoyens. Enfin, un site web et une application dédiés permettent aux habitants de surveiller la qualité de l’air et de donner des objets non utilisés, favorisant ainsi une gestion responsable et solidaire des ressources.

Johannesburg: surveiller et améliorer

Johannesburg, métropole majeure d’Afrique du Sud, se distingue par une approche novatrice dans la gestion de ses services publics. Le projet Smart City Johannesburg repose sur un réseau de capteurs intelligents, permettant de surveiller en temps réel des indicateurs clés comme la qualité de l’air et l’état des infrastructures. Ces données offrent des informations précieuses pour leur maintenance, améliorant l’efficacité et la durabilité des systèmes urbains. La ville œuvre également pour renforcer l’inclusion numérique en facilitant l’accès aux services en ligne et en déployant du Wi-Fi public dans des quartiers emblématiques comme Soweto, symbole historique de la résistance à l’apartheid principalement habité par des populations noires. L’objectif est de réduire la ségrégation spatiale héritée de l’apartheid en facilitant l’accès aux services essentiels et en rapprochant les zones résidentielles des centres d’activités économiques. La sécurité publique s’appuie également sur un réseau de caméras connectées et des outils de surveillance avancés, assurant une réponse plus rapide et efficace aux situations d’urgence. Enfin, Johannesburg encourage la collaboration citoyenne grâce au Smart City Community Innovation Challenge, un concours visant à stimuler l’innovation locale pour résoudre les problèmes quotidiens, tout en impliquant activement les résidents dans le processus de transformation de la ville.

Une révolution en marche

Comme nous l’avons montré, les smart cities africaines ne se limitent pas à une vision futuriste ou à un concept abstrait: le changement est en marche. En intégrant des solutions technologiques adaptées aux réalités locales, en répondant aux défis environnementaux et en favorisant l’innovation, ces villes redéfinissent les paradigmes urbains à travers le continent. Cette (r)évolution soulève une question essentielle à l’échelle mondiale: quels enseignements peut-on tirer de l’expérience africaine ? À une époque où l’urgence climatique et les inégalités sociales nous poussent à repenser nos modèles sociétaux et économiques, les approches africaines – souvent ancrées dans le pragmatisme et l’adaptabilité – offrent des leçons précieuses.

Pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet, 2 événements majeurs s’imposent:

· L’Africa Smart Cities Investment Summit 2025 qui aura lieu à Addis-Abeba, en Éthiopie, sur le thème des villes africaines résilientes face au climat. Pour en savoir plus, rendez-vous sur: https://smart-cities.africa
· Le Smart City Expo World Congress à Barcelone, un rendez-vous mondial incontournable pour les acteurs de l’innovation urbaine. Pour plus d’informations, consultez: www.smartcityexpo.com

Ces événements témoignent de l’engouement pour les smart cities et des ambitions portées par une vision commune d’un avenir urbain plus inclusif et durable, en Afrique comme ailleurs dans le monde.

Techno-Zoom

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