Physique

Une centenaire en pleine croissance

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

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L’ONU a proclamé 2025 Année Internationale des Sciences et Technologies Quantiques. Son slogan : «100 ans de quantique, ce n’est qu’un début». Une belle reconnaissance pour un domaine de la physique qui ne cesse de bouleverser notre quotidien

 
Cette année internationale quantique (AIQ ou IYQ en anglais), lancée officiellement le 4 février au siège de l’UNESCO à Paris, vise à encourager la recherche mais aussi à sensibiliser un large public aux retombées de la physique quantique. Mais tout d’abord, que célèbre-t-on exactement ? Pourquoi 2025 a-t-elle été choisie comme année centenaire ? Petit retour au début du 20e siècle. La physique – qu’on dénommera plus tard «classique» – triomphe: du mouvement des planètes au phénomène électromagnétique, elle explique tout. Ou presque car, tel un célèbre village gaulois résistant à l’autorité de Rome, quelques phénomènes ne se laissent pas expliquer par les théories classiques. Parmi eux, le rayonnement du corps noir. Petit rappel: tout objet émet de l’énergie sous forme de lumière. Et selon une fréquence (une couleur) caractéristique proportionnelle à sa température: une pièce de métal chauffée à par exemple 700 degrés sera rouge; si on augmente sa température, elle deviendra blanche («chauffer à blanc» est une belle expression !). Aux températures du quotidien si l’on peut dire, les objets émettent dans l’infrarouge, ils sont donc invisibles pour nos yeux. Si on les voit, c’est parce qu’ils réfléchissent la lumière qui les frappe. Nous ne voyons donc un objet que par la lumière qu’il nous renvoie et non par celle qu’il émet. Mais la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell prévoit qu’un objet à température ambiante brillerait comme mille soleils, ce qui signifie qu’il faudrait une énergie infinie pour chauffer n’importe quoi. Même un enfant dira que c’est absurde.

En 1900, Max Planck fournit une explication théorique à cette incongruité: les énergies émises par un objet sont discrètes et non pas continues. Elles sont émises par palier, donc pas question de s’envoler vers l’infini. Einstein prend le relais en 1905: pour lui, c’est la lumière elle-même qui est constituée de paquets d’énergie, des quanta (du latin quantum, combien). Voilà qui pose un grave problème: jusqu’alors, la physique avait toujours considéré que les phénomènes étaient soit ondulatoires, soit corpusculaires et voici qu’on s’aperçoit que la lumière est constituée de grains (appelés plus tard photons) qui ont une énergie bien définie déterminée par leur fréquence.  Mais, bien sûr, la lumière ne perd pas ses propriétés ondulatoires pour autant; elle reste, aussi, une onde. Elle est donc à la fois une onde ET une particule. Inacceptable aux yeux de beaucoup. Sautons quelques étapes. En 1923, Louis de Broglie montre que l’électron, une particule, a des propriétés ondulatoires. Donc la matière est elle aussi duale ! Bien entendu, à notre échelle, cela ne se perçoit pas mais il faut se souvenir que ce qui est décrit ici se déroule dans le monde de l’infiniment petit, les particules élémentaires, l’atome. Et 1925 alors ? Il semblerait que ce soit cette année-là que le physicien allemand, Werner Heisenberg, réfugié sur l’île de Helgoland (Allemagne) pour cause de rhume des foins, ait mis au point une première version des équations fondatrices de la mécanique quantique. Centenaire donc, même si c’est en 1926 qu’Erwin Schrödinger publia dans la revue Annalen der Physik la fameuse équation d’onde qui formalise la théorie quantique. Et qui réconcilie son approche, ondulatoire, avec celle, matricielle, d’Heisenberg développée quelques mois plus tôt. Plus simple à manipuler, c’est l’approche mathématique de Schrödinger qui va s’imposer avec sa célèbre fonction d’onde.

Werner Heisenberg et Erwin Schrödinger

Applications

Le développement de la physique quantique qui a permis de rendre compte des propriétés de la matière, de la lumière et de leurs interactions est sans doute l’une des plus belles réalisations humaines de tous les temps. Mais ce n’est pas seulement une construction théorique. Dans un premier temps, elle a permis des avancées technologiques spectaculaires: transistors, semi-conducteurs (donc toute l’électronique moderne !), LED, GPS, ordinateurs, horloges atomiques ou encore les lasers.  Ces derniers par exemple ayant «essaimé» dans à peu près tous les domaines des sciences et des technologies. Issus directement de la connaissance de l’interaction entre lumière et matière, ils vont modeler notre quotidien. Sans eux, pas de lecteur-graveur de CD ou DVD, pas de communication par fibres optiques. Ni de lecture de codes-barres dans les supermarchés ! Et bien des mesures de distance et de vitesse seraient impossibles ou imprécises. Sans eux, comment découper facilement du métal ou… comment réaliser certaines interventions chirurgicales, notamment pour corriger des défauts de l’œil. Mais la plus belle application de cette première révolution reste sans doute l’imagerie médicale. L’IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique) ne serait en effet pas possible sans 3 technologies quantiques: supraconductivité, spin et semi-conducteurs. Elle consiste en effet à observer le comportement de noyaux des atomes d’hydrogène (car nous sommes surtout composés de H2O !) plongés dans un champ magnétique, ce qui donne une image 3D du corps en différenciant les différents tissus.

Patiente passant une IRM.

Ces quelques exemples sont des conséquences de ce qu’on pourrait appeler la première révolution quantique, celle des pères fondateurs. Mais dans les années 1980 est apparue ce qu’on a appelé la deuxième révolution quantique. Les scientifiques ont tout d’abord vérifié expérimentalement la réalité de l’intrication quantique et appris ensuite à manipuler des atomes un à un. L’intrication quantique est cette propriété extraordinaire d’une paire d’objets (particules, atomes) qui se comportent comme un système quantique unique même s’ils sont éloignés l’un de l’autre (même si c’est de plusieurs centaines ou milliers de km !). Propriété qui a permis le développement de la cryptographie quantique et ouvre la voie aux ordinateurs quantiques. Parmi d’autres évolutions, il faut citer la spintronique (le spin est une grandeur quantique sans équivalent en physique classique) où l’on manipule le spin des électrons plutôt que leur charge électrique afin de réduire taille et consommation des composants. Ou encore la révolution qui se profile dans le domaine des capteurs dont la capacité de mesure est 1 million de fois supérieure à ce que la physique classique permet avec la lumière, applicable depuis les géosciences (détecter des nappes souterraines) jusqu’aux sciences du vivant (mesurer le champ électromagnétique d’une seule cellule). Quant aux médicaments de demain, leurs molécules actives seront (sont déjà) testées (comment une molécule individuelle se lie-t-elle à d’autres structures nanométriques ?) grâce à des outils de simulation intégrant les principes quantiques. La physique quantique, une centenaire qui a tout l’avenir devant elle et bouleversera notre monde.

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