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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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Faits du même bois ?

Les cerfs tirent leur prestance de leurs bois dont on sait que chaque année, ils gagnent en taille. Mais pourquoi les perdent-ils sur le même rythme ? La question du prestige momentanément perdu mise à part, c’est le mécanisme de repousse qui interpelle les biologistes. Parce que permettre que des structures aussi complexes que les bois soient régénérées et même accrues chaque année, présente un intérêt pour notre propre espèce en cas de perte d’un membre. On sait que d’autres animaux, à l’instar du lézard, peuvent aussi régénérer un organe. Mais le cerf est un mammifère, qui nous est évolutivement plus proche, ce qui laisse augurer des mécanismes de régénération éventuellement transposables à notre espèce. Et la disposition est performante puisqu’elle permet une repousse quotidienne de 2,75 cm, menant à une croissance de 120 cm en 3 mois chez le cerf sika par exemple.

Quand l’animal se trouve «décoiffé», une séquence homéobox (1) (PPRX1) est activée, qui a son tour déclenche le développement des cellules progénitrices mésenchymateuses. Tout cela a l’air bien savant, mais ce n’est rien d’autre que ce qui préside au développement embryonnaire: pour que les membres en formation de l’embryon soient constitués de façon harmonieuse, il faut à la base une harmonisation de la mise en œuvre d’un ensemble de gènes (séquence homéobox). Nous sommes tous passés par là. Les cellules progénitrices évoquées sont «mésenchymateuses» et ont pour fonction de régénérer un tissu ou un organe lésé. La suite, on la devine: c’est la repousse du bois chez le cerf, d’abord au départ de cellules cartilagineuses, qui, progressivement, s’ossifient en s’enrichissant de calcium puisé… dans les os eux-mêmes.

Autant le préciser d’emblée, tous les animaux disposent de ce genre de mécanisme de réparation à des degrés divers. Les humains aussi (après une fracture osseuse notamment). Mais pourrait-on envisager une application du système propre aux bois du cerf à des humains privés d’un membre ? Il n’est pas interdit d’y penser, mais trop d’inconnues demeurent. La croissance mésenchymateuse «explosive» du bois de cerf ressemble trop à celle de tumeurs cancéreuses. Dans son cas, des proto-oncogènes (ou proto-cancéreux) sont même massivement exprimés mais contrôlés ensuite par des gènes répresseurs. En serait-il de même chez l’humain? À vérifier. Mais déjà, l’identification de ces inhibiteurs a permis d’extraire une substance qui pourrait utilement agir comme répresseur de tumeur (de la prostate, notamment). L’étude des mécanismes de régénération des bois de cerf n’est pas tout à fait étrangère à la lutte contre le cancer chez l’humain. Surprenant, mais on peut tirer parti de tout.

   Science, 2023, 379: 757-758 et 840 – 847

(1) C’est un peu ce qui se passe lorsqu’on construit une maison: on commence par une base solide, puis on monte les murs, le toit, etc. C’est une simple logique de «construction» qui est, chez un être vivant, menée par un ensemble de gènes, réunis en une «boîte» (ou box), qui entrent en fonction de façon graduelle et «orchestrée».

Dinosaures: sourire ou grimace ?

Depuis qu’ils ont
envahi la scène médiatique avec Jurassic Park, les dinosaures ne cessent
tantôt d’effrayer, tantôt d’intéresser les enfants en quête de sensations
fortes. De tous les Théropodes (les dinosaures bipèdes carnivores), de par leur
taille et leur aspect effrayant, les Tyrannosaures sont sans doute ceux qui ont
la plus haute cote. Mais étaient-ils aussi terribles qu’on veut bien le
dire ? C’est à voir… Des scientifiques ont réévalué toute une série de paramètres
faciaux, tenant compte de la forme des mâchoires, de la taille des dents, de
leur inclusion dans les gencives et d’autres caractères qu’ils ont intégrés
pour avoir une idée aussi exacte que possible du vrai visage de cet effrayant
T. rex. Et ce qui ressort de cette étude est que ce dinosaure dont on fait systématiquement
ressortir les dents, même au repos, devait être moins effrayant qu’on veut bien
le faire croire. Plutôt que ressembler au crocodile dont la denture acérée
émerge en partie au moins de ses lèvres incomplètes – lui conférant un air
assez redoutable – il devait plutôt affecter une ressemblance étroite avec
l’actuel démon de Komodo, le plus grand des varans d’aujourd’hui. En clair
– selon les résultats de l’étude – les dents du T. rex
disparaissaient, au repos, derrière le rideau de lèvres suffisamment longues.
Cela ne signifie pas que l’animal ait été animé de bonnes intentions pour
autant, même si on lui prête davantage une fonction de charognard que d’agresseur.
Même dissimulées par des lèvres larges et sans doute épaisses, il conservait
une dentition à toute épreuve. Et il savait tout le parti qu’il pouvait en
tirer quand il s’agissait de défendre sa pitance.

   Nature, 2019; 575: 263

 
 
Les virus de la chauve-souris

Les Chiroptères – le nom savant des chauves-souris – riches de 1 400 espèces recensées, constituent le groupe le plus important des mammifères après celui des rongeurs. Dans notre pays, les espèces, à l’exemple de la pipistrelle, sont de petite taille et plutôt discrètes, sauf lorsqu’elles sont dérangées en nombre de leur espace de vie habituel. Elles ont une nourriture abondante et variée, surtout faite d’insectes volants qu’elles saisissent au vol. Elles ont aussi la bonne fortune de ne pas être hématophages comme certaines de leurs cousines vivant sous d’autres latitudes. Ce sont les grands herbivores qui font surtout les frais de la ponction sanguine lorsqu’elle a lieu, dans les pays où sévissent les hématophages. Elle est le fait d’espèces justement qualifiées de vampires.

Qu’elles aspirent un peu de sang que le bétail n’a souvent pas l’occasion de remarquer (parce que prélevé à l’arrière des pattes postérieures) est une chose, qu’elles en profitent pour transmettre des virus parfois très pathogènes en est une autre. C’est une réalité qui est connue depuis longtemps et qui a été rappelée lors de la pandémie de COVID. Les humains n’ont en général pas l’occasion d’être victimes de vampires ailés (sauf dans quelques romans à frissons) mais les hommes consomment en revanche de la viande animale. Et c’est cet hôte intermédiaire, contaminé à l’occasion de la ponction de sang, qui aurait pu être le vecteur de transmission du Coronavirus à l’homme. Une hypothèse parmi d’autres, bien sûr. Peut-être pour dédouaner quelques humains de négligence ou de mauvaise intention. 

Qu’il y ait eu une pandémie et que les Chiroptères y aient été mêlés ou pas, n’empêche pas des biologistes, dans des laboratoires dédiés, de travailler sur ces petits mammifères volants qui ont bien des particularités à étudier. L’écholocation en fait partie, mais elle n’est pas la seule. Et c’est à l’occasion de cultures de cellules prélevées sur l’un ou l’autre de ces animaux, que la présence assez régulière d’ADN viral a été identifiée dans le noyau de ces cellules mises en culture. Non seulement les chauves-souris (ou certaines de ces espèces en tout cas) intègrent le matériel héréditaire de pathogènes, mais celui-ci ne semble pas les affecter. Pire (ou mieux, c’est selon): cette présence semble les prémunir contre des infections, comme si le fait d’en posséder l’ADN ou l’ARN dans une partie des cellules au moins, faisait office de vaccin ! Comme certains laboratoires sont spécialisés dans la régression cellulaire vers un stade pluripotent (soit la production de cellules souches au départ d’autres, bien finalisées), ils ont eu l’occasion de vérifier que cette transformation permettait, dans certains cas, à l’un ou l’autre gène viral d’être transcrit. Autrement dit, les chauves-souris infectées sont non seulement prémunies contre une atteinte virale, mais elles semblent tirer parti de gènes qui peuvent les servir. À quoi ? Ça, on l’ignore encore. Mais les recherches sont en cours. Les virus comme facteurs d’évolution, c’était connu chez les plantes. Chez certains animaux, il semble donc que ce soit le cas aussi. Et chez l’homme, alors ? On le découvrira, c’est sûr, un jour ou l’autre, peut-être dans la partie massive de l’ADN (98% tout de même) qui n’est pas constituée de gènes et est donc non codante; ce qu’on a jadis qualifié d’ADN «poubelle» !

   Science, 2023; 379: 746

Contrairement aux chauves-souris frugivores, les vampires ont un museau court et conique, muni de capteur infrarouge. Leurs  incisives sont spécialement conçues pour découper la chair et leurs molaires moins développées. Le système digestif est aussi  adapté à leur régime liquide: la salive de ces chauves-souris contient une substance, la draculine, qui possède un pouvoir  anticoagulant. 

De l’origine de la vigne

Quelques plantes partagent une sorte d’aura qui trouve ses racines autant dans la mythologie que dans la bible, et aujourd’hui bénéficient d’une répartition quasi planétaire. La vigne en fait incontestablement partie puisqu’elle accompagne aussi bien Bacchus que le Christ lors de la Cène et la tradition chrétienne de la transsubstantiation du vin en sang lors de chaque célébration de la messe. On sait aussi à quel point le produit de la fermentation de ses grappes accompagne aujourd’hui tous les débordements festifs humains qu’il sait aimablement partager avec le produit de la fermentation de l’orge, du houblon et de quelques céréales dûment triées. Cela ne dit néanmoins rien de ses origines sans doute lointaines tant dans le temps que dans l’espace en ce qui concerne la Belgique. Des généticiens ont voulu le savoir et se sont livrés à un travail de synthèse assez titanesque, étudiant le génome de 2 448 variétés de vigne conservées dans 23 institutions réparties dans 16 pays.

Il apparaît que les variétés mondialement réparties dérivées de Vitis vinifera vinifera ont un progéniteur probablement forestier, très justement appelé sylvestris. Ce qui est surprenant, c’est que cette espèce semble avoir émergé dans 2 régions distinctes, séparées d’un millier de kilomètres: le sud du Caucase et le proche Orient. Ce qui s’est passé ensuite est ce qui fait l’objet de tant d’intérêt aujourd’hui: la fin de la dernière glaciation et surtout le réchauffement qui y a présidé. C’était à une période qui s’est étendue dans les grandes lignes entre 12 500 et 10 000 ans d’ici; la période où l’homme s’est fixé et de chasseur cueilleur est devenu sédentaire. Sédentaire et donc rapidement éleveur et agriculteur. Par conséquent aussi – et entre autres – viticulteur…

Ce sont les convergences des populations humaines croissantes qui ont suivi et l’ingéniosité des producteurs qui ont mené à l’«élevage» des variétés de la vigne qui sont devenues celles que l’on connaît aujourd’hui. Devenu bien plus tard produit de consommation courante chez les Romains notamment, la vigne a été plantée partout où le sol et l’ensoleillement assuraient sa promotion dans leur vaste empire. Aujourd’hui, l’élévation des températures ramène la vigne dans les vallées mosanes où les Romains l’avaient plantée il y a 2 000 ans et où les Français l’avaient arrachée il y a quelques siècles; heureux réchauffement qui rend à cette plante mythique un territoire – notamment mosan – qui lui revient de droit.

   Science, 2023, 379: 880-881 et 892 – 901

Le connectome, petit à petit

Chacun imagine notre cerveau riche de connexions multiples, mais n’en a pas forcément une idée précise. C’est beaucoup, certes, mais dans quel ordre de grandeur ? Commençons par le début: le nombre – approximatif – de neurones. Il se situerait selon les évaluations entre 86 et 100 milliards. On sait aussi que chacun des neurones établit des connexions – ou synapses – avec d’autres, afin de rendre possibles les opérations intégrées et la transmission d’informations d’un circuit à l’autre. Et à combien évalue-t-on le nombre moyen de synapses pour chacun des neurones dans le cortex cérébral (la matière grise) ? À un nombre compris entre 1 000 et 10 000. Donc au total et si on ne retient que la valeur la plus élevée, le nombre de synapses peut être évalué à… 1 million de milliards; le tout tenant dans un volume qui n’excède pas 1,4 litre. Comme circuit intégré, on peut difficilement faire mieux et chacun en est le dépositaire sans le savoir vraiment.

Avec un courage qui confine à l’abnégation, les neurophysiologistes tentent d’établir des cartes fonctionnelles dans cet embrouillamini hautement structuré. Et pour commencer, il faut partir de modèles simples. Quatre connectomes ont à ce jour été établis. Ils concernent des organismes simples qui sont le nématode (vers rond) Caenorhabditis elegans, la larve de l’ascidie plissée (Ciona intestinalis, un petit organisme marin) et un annélide marin lui aussi, Platinereis dumerilii. Peu importe du reste leur nom; ce qu’il faut retenir c’est qu’il s’agit d’animaux simples dans leur structure, utilisés pour cette raison comme modèles de laboratoire. On vient d’y ajouter la larve de la mouche drosophile (Drosophila melanogaster), un petit insecte plus connu puisqu’il hante les poubelles et autres détritus organiques. C’est aussi un modèle expérimental utilisé depuis plus de 120 ans par les généticiens. Chez la larve de cette modeste mouche, les chercheurs déjà ont identifié 3 016 neurones tissant entre eux 548 000 connexions. Plus d’un demi-million par conséquent.

Pourquoi passer son temps à étudier le cerveau de la larve d’une mouche sans grand intérêt penseront certains ? Tout simplement parce que la drosophile comme les autres exemples cités participent à leur échelon à l’évolution dans ce qu’elle a probablement de plus simple. Partant, ils disposent déjà tous, à un niveau modeste, d’acquisitions neuronales qui ont été conservées ensuite et que l’on peut espérer retrouver aussi chez les espèces bien plus évoluées et en particulier dans la nôtre. Rien n’est donc perdu. En complexifiant de manière progressive les modèles retenus, on va pouvoir retrouver les circuits déjà identifiés et les mettre en connexion avec de nouveaux; l’objectif avoué étant de dresser à terme une cartographie du connectome humain et des circuits qu’il implique, y compris pour les geste les plus simples. A-t-on une idée du nombre de circuits qu’il faut intégrer pour se coiffer, lacer ses chaussures ou simplement marcher avec attention dans la rue ? Des gestes simples qui justifient une concentration de 10 000 milliards de synapses par centimètre cube de cortex. Autant dire que détricoter tout ça prendra encore un certain temps…

   Science, 20234, 379: 995 et J. Neurosci. 10.1523/JNEUROSCI.1628.22.2023 
 
 
 

BIOZOOM

Si vous rencontrez ceci dans les bois, n’ayez pas peur, vous ne rêvez pas d’un film de zombies avec des cadavres partout qui essayent de sortir de terre ! Il s’agit en réalité d’un simple champignon, nommé Xylaria polymorpha et communément appelé «Doigts de l’homme mort». Saprophyte, il se nourrit de bois mort ou plus précisément de certains de ses composés comme les polysaccharides. Il pousse donc essentiellement dans les bois, directement en forme de massue. D’abord brunâtre, il devient croûteux, plissé et noir à maturité. Même si vous n’en mourrez pas, il n’a aucune valeur comestible… 

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