Chimie

Quand l’IA façonne les matériaux du futur

Milan VANDER WEE-LÉONARD • milan.vdwl@gmail.com

© Vibudhaart – stock.adobe.com

Imaginez un matériau 100 fois plus fin qu’un cheveu humain, aussi léger que du plastique, mais aussi résistant que l’acier. Ce n’est pas de la science-fiction, mais une avancée scientifique récente, basée sur l’intelligence artificielle et une synthèse au laser, qui pourrait transformer des secteurs entiers, de l’aéronautique à la médecine (1)

 

Réduire le poids d’un avion de seulement 1% permettrait d’économiser environ 106 000 litres de carburant par an ! Avec un tel enjeu, les scientifiques cherchent à concevoir des matériaux toujours plus légers et résistants, et c’est exactement ce qu’une équipe de chercheurs de Toronto a réussi en créant une nano-architecture révolutionnaire. Ce matériau repose sur une structure complexe en carbone lui permettant de supporter des charges impressionnantes malgré son extrême finesse.

La polymérisation à 2 photons: une méthode chirurgicale

Mais comment fabrique-t-on de tels matériaux ? La réponse se trouve dans une technologie aussi complexe que son nom est intimidant: la polymérisation à 2 photons (2PP). La polymérisation est un mécanisme par lequel une série de molécules se lient entre elles pour former une longue chaîne: un polymère. On retrouve des polymères partout: au sein des êtres vivants, dans les vêtements, dans les plastiques… Une polymérisation est activée par différentes voies. Concernant la 2PP, il s’agit d’un laser envoyant des photons (particules de lumière) «infrarouges». Ce laser spécifique comporte de multiples avantages:

Une réactivité extrêmement localisée. La 2PP se base sur une absorption simultanée de 2 photons, ce qui signifie qu’elle ne peut avoir lieu qu’à très haute intensité. Ce qui était initialement un inconvénient devient un atout dans ce cas car cette absorption multiphotonique est donc très localisée. Cela permet de sculpter des structures tridimensionnelles complexes avec une résolution pouvant atteindre quelques dizaines de nanomètres. Grâce à cette précision, on peut aisément envisager de créer des dispositifs ultra-miniaturisés: des nano-circuits, des implants médicaux, des prothèses sur mesure… (2)
Un procédé sans contact. La fabrication par 2PP ne nécessite aucun moule ou contact physique avec le matériau, réduisant ainsi les risques de contamination et permettant d’envisager sérieusement des applications médicales.
–  L’exploitation des ondes infrarouges. Cette gamme de longueurs d’onde est celle qui nous réchauffe au Soleil. Elle est peu énergétique et traverse donc plus facilement les matériaux, même biologiques.

L’IA pour dégager la voie

Avec cette méthode de haute précision photo-activée, des chercheurs développent des nano-architectures pour fabriquer des matériaux ultralégers et résistants. Jusqu’ici, les agencements atomiques présentaient souvent des intersections et des angles aigus, entraînant des concentrations de contraintes. Cela provoquait une rupture locale prématurée des matériaux, réduisant ainsi leur performance globale. En fait, concevoir ces nanostructures repose sur une infinité de paramètres: composition chimique, disposition des atomes, interactions physiques… Explorer toutes les combinaisons possibles prendrait des siècles à un humain, mais une intelligence artificielle (IA) peut tester des millions de configurations en quelques heures. Les algorithmes du machine learning (apprentissage automatique) permettent de prédire les meilleures architectures moléculaires avant même leur fabrication, réduisant ainsi considérablement le temps et les coûts de recherche. Le machine learning est donc un allié de taille. Cette branche de l’IA, qui apprend et prédit à partir de gigantesques volumes de données, accélère aujourd’hui la conception de matériaux inédits et repousse les limites de l’ingénierie. Elle est également exploitée dans de nombreux autres secteurs: la détection précoce de maladies, les prévisions boursières, les véhicules autonomes, la traduction automatique…

En conclusion, grâce à la combinaison du machine learning et de la nano-ingénierie, nous assistons à l’émergence de matériaux révolutionnaires. Les chercheurs se focalisent désormais sur l’optimisation du processus de mise à l’échelle afin de produire des composants macroscopiques à moindre coût, sans compromettre la précision. La vitesse de fabrication actuelle est notamment un frein au développement de la technologie. L’impact sera immense: transports plus écologiques, implants médicaux sur mesure et exploration spatiale facilitée.

DO IT YOURSELF !

Et si tu façonnais toi-même un objet avec un polymère ? Pas n’importe lequel: un polymère biosourcé ! En effet, de nos jours, un des défis dans l’industrie du plastique (matière principalement composée de polymères) est de rendre ce matériau plus durable dans sa production, son usage et son recyclage. Cela passe notamment par l’exploitation des sources de polymères plus écologiques que le pétrole. Des biopolymères bien connus sont les protéines. Dans le lait par exemple, on retrouve de la caséine. C’est elle qui permet à cette boisson de sembler homogène car, du lait, c’est en fait une émulsion d’eau sucrée et de graisses ! Tu comprends bien que cela ne devrait pas se mélanger, comme de l’huile flotterait sur de l’eau. Cependant, la caséine joue le rôle d’émulsifiant, comme le savon le ferait pour l’huile et l’eau (essaie !). Dans ce DIY ludique, je t’invite à créer des objets à partir de caséine extraite du lait: c’est la galalithe («pierre de lait»).

1) Chauffe, sans atteindre l’ébullition, 500 mL de lait écrémé (avec peu de graisses donc, ce sera plus simple pour casser l’émulsion) dans une casserole.

2) Ajoute 50 mL de vinaigre blanc pour faire cailler le lait (comme si tu faisais du fromage).

3) Récupère le solide formé dans une passoire dans laquelle tu auras placé un essuie de vaisselle.

4) Égoutte le lait caillé en pressant sur le torchon.

5) Laisse sécher quelques heures et façonne les objets de ton choix: bijoux, boutons, sculptures, décorations de Noël… Avec un emporte-pièce si tu le souhaites !

6) Enfin, laisse sécher 2 jours et décore tes créations avec des accessoires ou de la peinture.

Évidemment, exploiter des aliments dans l’objectif de concevoir des objets, et non de se nourrir, pose des questions éthiques… L’idée ici est de découvrir la composition du lait, le fonctionnement d’un émulsifiant et de libérer son imagination !

 

(1) P. Serles, Adv. Mater. 2025, 2410651 (   https://doi.org/10.1002/adma.202410651).

(2) A. Otuka, Polymers 2021, 13 (12), 1994 (   https://doi.org/10.3390/polym13121994).

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