Technologie

Agriculture 4.0 : quand la technologie cultive la durabilité

Virginie CHANTRY • virginie@marketrotters.com

© 2025 Carbon Robotics, © senseFLY’s eBee UAV, © 2025 DJI, © AquaSpy, © RootWave 

Avec une population mondiale qui pourrait atteindre 9,8 milliards d’ici 2054 selon une étude récente des Nations Unies, la durabilité et la résilience des systèmes alimentaires deviennent cruciales. L’agriculture doit se réinventer pour répondre à une demande croissante tout en réduisant son impact environnemental car, sans être alarmiste, il y a péril en la demeure – quoi qu’en pense le nouveau président outre-Atlantique. C’est dans ce contexte que le Smart Farming – ou agriculture intelligente – émerge comme une solution combinant intelligence artificielle (IA), capteurs connectés et automatisation. Grâce à ces innovations, il devient possible de produire plus avec moins, en optimisant les ressources et en limitant l’usage des intrants – engrais, pesticides et autres substances apportées aux cultures pour améliorer le rendement

 
L’un des grands fléaux de l’agriculture, pour la santé des êtres humains comme pour celle de la planète, est sans conteste l’utilisation massive des produits phytosanitaires. Conçues pour améliorer la productivité des cultures, ces substances, également appelées produits phytopharmaceutiques ou plus couramment pesticides, sont destinées à protéger les végétaux contre les organismes nuisibles ou à éliminer les plantes indésirables. Leur utilisation est strictement réglementée et limitée aux usages pour lesquels ils sont homologués, en fonction du type de culture, du parasite ou de la maladie ciblée.

Ces produits se répartissent en plusieurs catégories selon leur usage spécifique: herbicides, insecticides, fongicides, bactéricides, acaricides, nématicides (vers parasites), molluscicides, taupicides, et rodenticides (rongeurs). Les régulateurs de croissance, qui influencent le développement des plantes pour limiter leur croissance ou favoriser la fructification, font également partie de cette catégorie. Depuis plusieurs années, l’impact négatif de ces produits sur la santé et l’environnement est largement documenté. Face à ces enjeux, il est impératif de réduire drastiquement voire de supprimer leur utilisation dans le secteur agroalimentaire tout en garantissant des rendements suffisants.

Quand la précision remplace la chimie

Heureusement, des alternatives innovantes se dessinent et parmi elles, la technologie laser fait figure de pionnière. Capable de cibler avec une précision extrême les mauvaises herbes ou adventices sans toucher aux cultures environnantes, elle permet une réduction significative des résidus chimiques dans les sols, l’eau, et les aliments que nous ingérons. Si cette idée n’est pas nouvelle – il en était déjà question dans les années 1970 – sa concrétisation a longtemps été freinée par des obstacles techniques et technologiques, notamment la capacité à identifier avec précision les plantes à éliminer. Grâce aux avancées de l’IA combinées à des capteurs qui permettent d’analyser des paramètres visuels comme la forme des feuilles et les couleurs, cette vision est devenue une réalité. La technologie laser scanne les parcelles agricoles, détecte les intrus à éliminer en temps réel, puis les neutralise instantanément, sans altérer les cultures environnantes.

Le LaserWeeder™ ou désherbeur laser, lancé en 2018 par l’entreprise américaine Carbon Robotics™, en est un bon exemple. Ce robot utilise des caméras haute définition pour transmettre en temps réel des images à une IA capable d’identifier les mauvaises herbes (voir photo de titre). En s’appuyant sur le machine learning, elle apprend en continu à les distinguer des cultures et commande au laser de détruire les herbes jugées néfastes. Plutôt que de les faire disparaître, cette technique les brûle et stoppe leur croissance, ce qui la rend particulièrement adaptée au désherbage des jeunes plantules. La version la plus récente du LaserWeeder, lancée en 2022, a été repensée pour être attelée à l’arrière des tracteurs, facilitant son intégration au matériel agricole existant. Elle est équipée de 30 lasers industriels. Avec une précision submillimétrique, elle peut traiter jusqu’à 5 000 plants par minute, en tirant toutes les 50 millisecondes. Elle couvre 0,8 hectare par heure à une vitesse de 1,6 km/h. Dotée de 42 caméras haute résolution, elle s’adapte à plus de 100 types de cultures, comme les choux, les carottes, les oignons ou les épinards, et fonctionne de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques. En réduisant les coûts de gestion des mauvaises herbes jusqu’à 80%, mais aussi l’utilisation d’engrais – les adventices puisant dans les ressources du sol et affectant la croissance des cultures – elle offre un retour sur investissement de 1 à 3 ans, selon le fabricant.

Une vision du ciel pour des actions ciblées

Les drones équipés de caméras multispectrales ou thermiques révolutionnent l’agriculture de précision en offrant une surveillance aérienne détaillée des cultures et de leur santé. En capturant des images dans différentes longueurs d’onde, ils permettent de cartographier les champs et de détecter précocement le stress hydrique, des maladies ou des carences en nutriments. Ces données offrent aux agriculteurs une vision complète de l’état de leurs parcelles et leur permettent d’intervenir rapidement et de manière ciblée, optimisant l’irrigation et réduisant l’usage de traitements phytosanitaires et d’engrais grâce à un épandage ajusté.

La réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires est un enjeu clé pour l’agriculture 4.0, dont l’objectif est de concilier productivité et durabilité.

À titre d’exemple, le eBee X, initialement développé par les lausannois de senseFly, entreprise acquise en 2021 par les américains d’AgEagle Aerial Systems, fournit une cartographie ultra-précise des champs – la résolution peut atteindre 1,5 cm par pixel – grâce à ses caméras interchangeables (voir photo ci-dessous). Avec une autonomie maximale de 90 minutes, ce drone d’1,6 kg peut couvrir jusqu’à 500 ha en un seul vol. Selon la caméra embarquée, il capture des images RGB, multispectrales, 3D ou thermiques, permettant aux agriculteurs d’ajuster l’irrigation et les apports en fertilisants pour maximiser les rendements tout en limitant l’impact environnemental.

Exemple d’image produite grâce à un drone  eBee X, ajouté ici en surimpression. Le  code couleur donne des informations sur l’état  de santé de la végétation observée.

Citons également le DJI Agras T30, conçu par l’entreprise chinoise Da-Jiang Innovations (DJI – voir photo 1 ci-dessous). Ce drone agricole est capable de pulvériser jusqu’à 16 ha par heure. Son système de radar sphérique et ses 2 caméras FPV (First Person View, offrant une vue immersive comme si l’on était à bord) fournissent une vision à 360°, permettant une adaptation précise aux conditions du terrain. Grâce à son mode de vol autonome et à la plateforme cloud d’agriculture intelligente de DJI, il optimise l’application des traitements. Son module d’épandage étend ses capacités à la fertilisation et à l’ensemencement, renforçant son rôle dans une agriculture de précision plus efficace et durable.

1. Le drone agricole DJI Agras T30 en action: ici en phase de pulvérisation, il adapte sa trajectoire au terrain grâce à un radar et à des caméras à vision immersive.

2. Sondes AquaSpy installées au cœur d’une parcelle cultivée. Enfouies jusqu’à 1,2 m, elles mesurent des paramètres comme l’humidité et la température, et transmettent ces données à une plateforme dédiée qui fournit des recommandations.

Les cultures en temps réel

L’agriculture de précision repose aussi sur des capteurs placés dans le sol, sur les plantes ou intégrés aux machines agricoles. Ils collectent en continu des données relatives à l’humidité, la température, le pH ou la teneur en azote. Ces informations sont ensuite traitées par des algorithmes de Big Data, capables d’analyser de vastes volumes de données pour en extraire des tendances. Cela permet aux agriculteurs d’optimiser leurs décisions, notamment en matière d’irrigation et de fertilisation.

Un bon exemple est le système américain AquaSpy, qui repose sur des sondes intelligentes enfouies dans le sol jusqu’à 1,2 m de profondeur (voir photo 2 ci-dessus). Chaque sonde contient 12 zones de capteurs disposés tous les 10 cm, mesurant l’humidité, la température, la salinité et la densité du sol. Ces données sont transmises en continu à la plateforme AgSpy, qui applique des algorithmes avancés pour fournir aux agriculteurs des recommandations précises sur l’irrigation et la gestion des nutriments. Plus récemment, AquaSpy a développé un capteur capable de mesurer le taux de nitrate, source clé d’azote pour la croissance des plantes. En ajustant précisément l’apport en engrais azotés en fonction des besoins réels des cultures, ces capteurs permettent d’optimiser les rendements tout en limitant les excès susceptibles d’être lessivés par les eaux de pluie et de contaminer les nappes phréatiques.

Et en Wallonie ?

Par chez nous, plusieurs initiatives contribuent au développement d’une agriculture plus durable. Parmi elles, la start-up BiocSol, spin-off de l’UCLouvain, propose des solutions innovantes pour la préservation des cultures, notamment l’utilisation de biopesticides de nouvelle génération. En novembre 2024, BiocSol a levé 5,2 millions d’euros pour accélérer le développement de ses biofongicides, offrant ainsi une alternative écologique aux pesticides traditionnels. Ces biofongicides, développés à partir de substances actives naturellement produites par des micro-organismes bénéfiques, ciblent des pathogènes spécifiques des cultures tels que le mildiou, contribuant ainsi à la réduction des pertes agricoles.

Par ailleurs, le programme DuratechFarm vise à intégrer le Smart Farming au sein d’exploitations agricoles wallonnes. Coordonné par le Centre Wallon de Recherches Agronomiques (CRA-W) en partenariat avec l’UCLouvain, ce projet évalue les avantages techniques, économiques et environnementaux de l’agriculture de précision, tout en identifiant les freins et leviers à son adoption par les agriculteurs, notamment sur le plan social et organisationnel. Et il ne s’agit là que de 2 exemples parmi d’autres initiatives en Wallonie, qui témoignent de l’engagement régional pour l’innovation dans le secteur agricole.

 
Des cultures plus résistantes

Enfin, la génétique joue également un rôle clé dans l’agriculture de demain. Des plantes aux caractéristiques recherchées sont croisées, et leur descendance est ensuite sélectionnée en fonction de ces critères. Ce processus, appelé «sélection végétale», vise à obtenir des variétés plus résistantes aux maladies, à la sécheresse ou aux parasites, réduisant ainsi la dépendance aux pesticides et engrais. De plus, l’édition génomique permet de modifier de façon ciblée le génome des plantes sans introduire d’ADN étranger, contrairement aux OGM classiques issus de la transgénèse. La technologie CRISPR (acronyme de Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, soit «courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées») est inspirée d’un mécanisme de défense découvert chez certaines bactéries, leur permettant de reconnaître et de neutraliser des virus en stockant des fragments d’ADN viral. Ce processus a été adapté en laboratoire afin de pouvoir modifier précisément l’ADN des cellules. Grâce à CRISPR, il est désormais possible d’accélérer le développement de variétés améliorées de végétaux.

En Europe, le projet CRISP-4-CROPS, financé par l’UE, explore l’utilisation de CRISPR pour développer des lignées de maïs plus résistantes à la sécheresse. Cette avancée pourrait, à terme, améliorer la productivité agricole et la résilience des cultures face aux défis du changement climatique.

Des entreprises comme Pairwise aux États-Unis utilisent cette technique pour développer des variétés de salades et de fruits aux caractéristiques modifiées. Par exemple, ils ont développé les Conscious™ Greens, une gamme de légumes-feuilles dérivés de la moutarde, dont l’amertume naturelle a été réduite pour les rendre plus agréables au goût, tout en conservant leurs valeurs nutritionnelles. Cette innovation vise à favoriser leur consommation. De plus, des scientifiques chinois ont récemment utilisé CRISPR pour réintroduire, dans une tomate cultivée, un gène issu d’une tomate sauvage. Résultat ? Une tomate de grande taille avec une teneur en sucre (glucose et fructose) augmentée de 30%, ce qui permet notamment de réduire la quantité de tomates nécessaires à la production de concentré.

Si ces avancées peuvent séduire les consommateurs, elles soulèvent des interrogations sur les priorités de l’édition génomique: faut-il privilégier l’amélioration des qualités gustatives et commerciales des cultures, ou se concentrer sur des enjeux environnementaux et agronomiques comme la résilience au changement climatique et la réduction des intrants ? Par ailleurs, ces recherches chinoises mettent en évidence un aspect essentiel: de nombreuses caractéristiques perdues au fil de la domestication des plantes pourraient être restaurées grâce à ces technologies. Un rappel de l’importance de préserver la biodiversité des espèces sauvages, réservoir génétique précieux pour les systèmes agroécologiques de demain.

Ce qui est certain, c’est que l’agriculture 4.0 marque un tournant décisif dans la manière de nourrir les populations tout en préservant l’environnement. De la précision des lasers à l’intelligence des capteurs et des drones, ces innovations façonnent un avenir où la sécurité alimentaire peut enfin rimer avec un respect accru de la planète. Grâce à la synergie entre intelligence artificielle, robotique et biotechnologie, l’agriculture est entrée dans une nouvelle ère où performance et préservation des ressources ne sont plus incompatibles, mais complémentaires.
 
 
 

Techno-Zoom

Restons dans le thème de l’agriculture avec le RootWave Pro, une lance de désherbage électrique utilisant une technologie électro-physique. Elle génère une impulsion de courant élevée qui élimine les mauvaises herbes. Le courant traverse les feuilles et les racines, provoquant une montée en température qui fait bouillir l’eau à l’intérieur de la plante, endommageant ses cellules et sa chlorophylle pour une élimination complète. L’avantage ? Une méthode 100% électrique, sans produits chimiques, préservant ainsi la santé des sols et la biodiversité. Facile à utiliser, le RootWave Pro est idéal pour les petites exploitations agricoles et les jardins grâce à sa conception compacte et légère.

    rootwave.com/pro/

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