Allez-vous vivre 80 ans ?

 
John Graunt savait que les paroisses enregistraient scrupuleusement les baptêmes et les décès. Seulement, pour faire parler ces registres, à une époque sans intelligence artificielle, ni tableur Excel, ni même calculatrice, il fallait une sacrée dose de courage ! Les efforts acharnés de John Graunt portèrent toutefois leurs fruits: il put conclure qu’il naît en réalité un peu plus d’hommes que de femmes à Londres (il découvre que l’espèce humaine présente naturellement une légère surnatalité masculine), mais aussi que malgré les épidémies, la tendance sur le long terme est très claire: les naissances excèdent les décès. La population londonienne grandit !

Si les chiffres annoncés par Graunt ne sont pas toujours exacts (Clément, 2020), son travail marque durablement les esprits à travers toute l’Europe, jetant les bases d’une nouvelle science qui sera finalement baptisée démographie par le botaniste français Achille Guillard. Le terme vient du grec graphein – qui signifie décrire – et demos – qui désigne le peuple. Achille Guillard présente la démographie comme une «une connaissance mathématique des populations, de leurs mouvements généraux, de leur état physique, civil, intellectuel et moral.»

Moins de 2 siècles plus tard, la connaissance mathématique des populations s’est tellement développée que tout le monde a déjà entendu parler de certains indicateurs phares qui en sont issus, le plus connu étant l’espérance de vie à la naissance.

Sur le site de l’Iweps (l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique), on peut notamment apprécier une tendance haussière de cette espérance en Belgique avec un record historique atteint dans toutes les régions en 2023. Et avec 80,64 ans à la naissance, jamais les nouveau-nés wallons n’ont été promus à une telle durée de vie. Mais s’agit-il vraiment de la durée de vie que les Wallons nés en 2023 vont vivre en moyenne ?

Non ! L’espérance de vie à la naissance est peut-être le plus connu des indicateurs démographiques, mais il est aussi l’un des moins bien compris. Ce qu’il représente vraiment, c’est l’âge moyen qu’atteindront les nouveau-nés… si les conditions de vie à leur naissance demeurent exactement les mêmes pour toute leur existence.

Concrètement, si les nouveau-nés wallons de 2023 grandissent toute leur existence dans une Wallonie figée à son niveau de développement de 2023, que ce soit sanitaire, technologique, économique ou social, alors ils vivront en moyenne 80,64 ans.

Mais personne ne reste coincé toute sa vie dans une époque bien particulière. Les nouveau-nés de 2023 devront concrètement vivre la Wallonie de 2024, 2025, etc. Et si en l’an 2050, le gros de ces nouveau-nés est encore en vie et que les hôpitaux wallons ont trouvé comment vaincre le cancer, alors il ne fait aucun doute que l’âge de décès moyen des Wallons et Wallonnes nés en 2023 sera en définitive plus élevé que 80,64 ans. À moins peut-être qu’une troisième guerre mondiale n’éclate en 2050 ou qu’un nouveau virus tue une part conséquente de la génération 2023 avant qu’elle n’atteigne les 30 ans ? Une seule certitude: si les conditions de vie de 2023 se maintiennent (pas d’amélioration, pas de dégradation), les nouveaux-nés de 2023 vivront 80,64 ans en moyenne.

Comment calculer l’espérance de vie réelle d’une génération ou espérance de vie générationnelle ? Un exemple valant mieux qu’un long discours, imaginons une portée de 3 adorables chatons nés en 2000: Pixel, Caline et Berlioz. Ils sont décédés à 11 ans, 9 ans et 16 ans.