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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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Émotion contagieuse

L’espèce humaine est réputée sensible. On peut en trouver la traduction dans nos marques de sympathie et d’empathie au quotidien. Bien que certains peuvent parfois se montrer parcimonieux dans le domaine lorsqu’il est question d’apporter un peu d’aide à son prochain. Globalement toutefois, le sens des civilités le plus élémentaire sait le comportement à avoir dans pareils cas. Beaucoup imaginent que seule notre espèce est capable d’un tel comportement. Parce qu’il implique d’abord de comprendre la situation, de l’analyser puis d’évaluer le comportement d’aide le plus adapté à apporter. En bref, il faut un cerveau suffisamment complexe pour effectuer des opérations en série.

On pourrait dès lors penser qu’au mieux, quelques‑uns des animaux qui nous sont les plus proches sont capables d’attitudes apparentées. Que l’on se détrompe: nombre d’espèces surtout sociales en sont capables et cela concerne pratiquement tous les vertébrés, donc aussi bien les reptiles, les poissons que les mammifères. Une expérience menée récemment sur des poissons zèbres (Danio rerio) en a apporté la démonstration. Confronté à un partenaire figé dans une attitude de peur, le Danio, seul ou en groupe, se montre sensible à l’attitude qu’il décode et à laquelle il apporte le remède qu’il estime le plus approprié.

C’est le système qui inclut l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, qui se trouve impliqué en priorité dans ce contexte, ainsi que des circuits connectifs en relation avec l’amygdale, cette partie du cerveau qui capte les perceptions sensorielles et la peur, les évalue, puis dicte le comportement à adopter. C’est ce qui nous fait réagir à un stress en particulier, nous les humains. Et qu’on le croie ou non, le système est déjà évolutivement acquis chez d’autres groupes animaux jugés moins évolués que nous. On pense pour le moment aux vertébrés évoqués, mais rien n’interdit de penser que des espèces ou groupes d’apparence moins évolués – comme les poulpes – soient également concernés. Il reste néanmoins encore à la science à le démontrer.

Puisque les poissons et les autres vertébrés ont un ancêtre commun il y a 450 millions d’années, celui-ci devait lui-aussi être doté de la même disposition qui a été bien conservée depuis et qui s’est même probablement amplifiée. Du haut de sa suffisance, l’humain a donc beaucoup à apprendre encore du règne animal. Y compris, pourquoi pas, au moment de s’en nourrir.

   Science, 2023, 379: 1186-1187 et 1232-1237

Une espèce disparue peut-elle réapparaître ?

L’expansion démographique de l’espèce humaine, le morcellement des espace vitaux, les effets de la pollution et du braconnage sont le plus souvent évoqués dans la raréfaction des populations animales sauvages et c’est malheureusement souvent le cas. Mais ce ne sont pas les seules causes. D’autres existent qui sont aussi d’essence plus naturelle. Au même titre que la nôtre, des espèces animales peuvent être affectées par des pathogènes qui, particulièrement virulents, mènent à une extinction massive.

Ce fut en particulier le cas pour des espèces de grenouilles tropicales colorées collectivement appelées, en raison de leur coloration vive, les grenouilles arlequin, qui appartiennent surtout au genre Atelopus. Cibles préférentielles du champignon Batrachochytrium dendrobatidis, 87 espèces de ce genre ont même été déclarées disparues, les autres étant singulièrement déprimées.

Dans un contexte où il est trop souvent question d’espèces en danger ou disparues, une nouvelle bien avérée «fait tache» et en l’occurrence, de façon favorable. Un tiers des 87 évoquées sont récemment réapparues. Elles n’étaient donc pas éteintes, mais leur faible densité les a fait sortir pendant un demi-siècle parfois, des radars. Et si elles reparaissent, c’est qu’elles ont aussi développé un moyen de défense contre le redoutable pathogène; ça aussi, c’est plutôt bon signe ! Il demeure que ces petites grenouilles qui, dans certains pays comme en Colombie, ont parfois un statut d’espèces sacrées, sont aussi recherchées par les collectionneurs. Les mesures de protection devraient aussi être requises pour assurer le maintien de leurs populations. Une grenouille ne fait pas le printemps de la biodiversité. Mais, incontestablement, cela aide à y croire !

   Science, 2023 ; 378 : 581

Ci-contre: Atelopus varius, une grenouille arlequin du Costa Rica

Cadeaux douteux

La pandémie de COVID a incidemment rappelé que les virus circulent, qu’ils le font plutôt vite et bien et qu’ils peuvent aussi passer allègrement le cap des espèces si les conditions leur en sont offertes. De temps en temps, à l’occasion d’études épidémiologiques à large spectre, des virus sont découverts chez des humains qui peuvent être des porteurs sains comme des malades en puissance. Afin de prévenir toute contamination possible, une idée pourrait tenir à la recherche de virus potentiellement pathogènes chez les nombreux mammifères qui sont proches de notre espèce. Bonne idée ? Sans doute sur le fond mais totalement illusoire. Si on pense en première intention aux animaux de compagnie, voire aux NAC’s (nouveaux animaux de compagnie), il ne faut pas omettre tous ceux qui peuplent parfois de façon éminemment discrète notre environnement quotidien: rats, souris, musaraignes, chiroptères, taupes sans oublier les oiseaux, les reptiles, etc. Bref, dans la pratique c’est tâche impossible.

Sauf qu’il n’est pas interdit, dans le seul cas de figure où on connaît l’existence d’un virus pathogène chez un de ces animaux-là, d’étudier de plus près l’éventualité qu’il nous arrive, quitte à passer par un intermédiaire tout proche, comme le chien ou le chat. Pour nous infecter, un virus «étranger» doit répondre à 4 caractéristiques:

1) Il doit porter à sa surface des molécules de reconnaissance spécifique qui ont leur correspondant à la surface de nos propres cellules pour pouvoir les pénétrer. Ils doivent, en d’autres termes, avoir la bonne clé pour la serrure qu’ils entendent forcer.

2) Le virus qui se trouve dans la cellule qu’il a infectée doit y trouver tous les ingrédients moléculaires nécessaires à sa propre multiplication. Si ce n’est pas le cas, la contamination reste ponctuelle, inféodée aux quelques cellules investies et c’est tout.

3) Mais si c’est le cas, il faut au virus passer un examen particulièrement épineux: ne pas être reconnu par le système de défense immunitaire dont la fonction est de combattre tout envahisseur potentiel avant qu’il n’entre dans un envahissement plus important menant au déclenchement d’une maladie. Cette étape est propre à chaque individu et on sait qu’en fonction de l’âge parfois, de la présence d’une autre pathologie ou pour une toute autre raison, le système immunitaire peut présenter des faiblesses et ne pas être à même de contrer l’envahissement viral en cours.

4) Quatrième et dernière étape: la «mémoire» que possèdent les cellules de la population humaine concernée, d’atteintes antérieures par le même virus. On sait à ce propos que l’arrivée des Conquistadors en Amérique latine au 15e siècle a décimé les populations Incas en particulier parce que ces dernières n’avaient jamais été confrontées au virus de la grippe contre lequel les Espagnols disposaient, eux, des anticorps.

Il faut ajouter à ce tableau qu’un virus qui se reproduit particulièrement vite peut muter avec la même fréquence, ce qui peut changer sa virulence du tout au tout.

Bref, il nous reste une arme certes artisanale pour éviter les risques: la prévention. Le tout pour les humains est de la rendre compatible avec une vie (plus ou moins) normale. La pandémie COVID nous l’a assez clairement enseigné !

   Science, 2023, 379: 982-983

Lièvre américain en péril ?

L’évolution notée du climat mène à des adaptations nombreuses dans le monde vivant et en particulier parmi les animaux. Un des exemples plus d’une fois repris est l’évolution saisonnière de la couleur de la robe du lièvre américain à queue blanche (Lepus townsendii), le «jackrabbit» des dessins animés. L’animal a un pelage brun pendant l’été, mais il devient blanc en hiver. Ce n’est pas la seule espèce animale dans le cas. On peut notamment évoquer le Harfang des neiges (la chouette harfang en Europe) dont le plumage peut devenir plus clair en hiver qu’il ne l’est en été. L’«intention» évolutive est bien entendu le camouflage en offrant à l’animal une homochromie plus ou moins parfaite avec l’environnement immédiat. Partant, il est moins visible aux yeux affûtés des prédateurs et ses populations s’en trouvent potentiellement moins affectées.

L’élévation des températures moyennes aidant, la couverture neigeuse peut devenir moins importante ou de durée plus réduite dans sa zone américano-canadienne qu’auparavant. Des âmes sensibles se sont émues de la situation, imaginant que l’animal est voué à coup sûr à une disparition certaine à court terme en raison de ce «dérèglement» chromatique. Ce sera sans aucun doute le cas, pendant un temps, pour quelques-uns des individus qui n’auront pas eu le temps de réguler la couleur de leur pelage dans les endroits où il n’aura pas neigé ou quand la neige aura fondu trop tôt.

Pour le reste, on est malheureusement un peu dans l’imagerie d’Épinal. La modification de la couleur de la robe du lièvre est tributaire d’un système polygénique qui inclut en particulier l’effet de la température et de la durée du jour. Pour ceux qui douteraient de l’implication génique, il faut savoir qu’interviennent le récepteur de l’endothéline de type B, la Corine sérine peptidase et la protéine de signalisation agouti; ceci étant précisé juste pour fixer les idées. Mais on oublie aussi le fait que la même espèce de lièvre couvre un territoire américain très étendu qui, pour une large part, n’est pas couvert de neige du tout et où il fait éventuellement plus chaud l’hiver. Il existe par conséquent un continuum photo-climatique auquel l’espèce sait s’adapter et avec lui, son système pileux. Et celui-ci semble à ce point réceptif aux modifications auxquelles il se montre sensible, que le changement climatique en cause ne devrait pas avoir une influence trop marquée sur ses densités de population. En revanche, la modification de l’habitat naturel, l’extermination volontaire (le lièvre adore un peu trop les cultures) et l’action de virus (dont celui qui provoque des hémorrhagies létales) risquent d’avoir bien plus rapidement raison de sa survie – si cela devait être le cas – qu’une prédation plus importante favorisée par une erreur de casting colorimétrique. Il est important de rendre les phénomènes à leur juste dimension !

   Science, 2023, 379: 1203-1203 et 1232 -1241

Le rein en point de mire

Tous nos organes ne sont pas pairs: le cœur, le foie, le pancréas, sont autant d’exemples de structures uniques et une déficience, une altération à leur niveau peut mener à de graves problèmes de santé quand ce n’est pas à une issue fatale. Les organes pairs ne mènent pas leurs détenteurs à une plus grande sécurité sanitaire: ce qui est toxique pour l’un l’est tout autant pour l’autre. Puisqu’on en est à évoquer les reins, on sait qu’ils peuvent subir de graves dommages suite à une infection, à l’action de composés divers ou toxiques. Cela n’empêche pas des traitements adaptés tant qu’il en est encore temps et que les dommages n’ont pas atteint un stade irréversible. Et à ce sujet, il semble qu’un traitement nouveau puisse avoir quelque avenir dans ce contexte. Une nouvelle molécule de synthèse issue de la chimie pharmacologique ? Non. Un composant du métabolisme cellulaire bien connu et maîtrisé depuis longtemps. Son nom ? le NAD+.

Qu’est-ce à dire ? Hormis les biochimistes de la cellule, qui connaît le nicotinamide adénine dinucléotide sous sa forme oxydée (ce qui lui vaut le signe +) ? Nous en avons pourtant dans toutes nos cellules et c’est tant mieux. C’est un transporteur essentiel d’électrons qui intervient dans de nombreuses réactions imperceptibles. Sans entrer dans aucun détail fonctionnel, il suffit de savoir que NAD+ est un accepteur d’électron e-, ce qui le fait passer à une forme réductrice, NADH. Je n’irai pas plus loin pour ne pas réveiller chez l’un (l’une) ou l’autre de douloureux souvenirs de cours de chimie. Sachant que les transferts de charges (électrons ou ions) participent à la quasi-totalité des réactions du métabolisme cellulaire, on comprend intuitivement l’importance de la molécule.

J’en viens maintenant à l’intérêt de l’évoquer. En comparant le métabolisme de reins sains et de reins malades, des chercheurs ont découvert qu’il existait dans le second groupe une altération du métabolisme de la molécule et qu’il concerne notamment le NAD+. Puisque cette molécule est disponible parmi les compléments alimentaires, celle-ci, ou l’un ou l’autre de ses précurseurs a été administrée à des patients porteurs de pathologies rénales avec, dans une proportion significative de cas, une amélioration observée. Des tests de confirmation ont dans le même temps été opérés chez la souris et les effets bénéfiques ont également été notés, ce qui a permis de pousser plus avant l’identification des mécanismes à l’œuvre. Une fois encore, leur évocation serait un peu longue mais il apparaît, pour faire court, que la mitochondrie, l’«usine à énergie» de la cellule soit impliquée, son dysfonctionnement menant à une cascade de réactions qui rendrait les cellules rénales (notamment) moins résistantes aux attaques virales et donc susceptibles d’altération.

L’intérêt de cette découverte est triple: un dérèglement a d’abord été identifié, la parade thérapeutique a ensuite été trouvée et on a découvert enfin que celle-ci tient à un composant élémentaire de la cellule vivante. L’assimilation d’un complément de NAD+ par un organisme malade risque donc bien d’être optimale, potentiellement sans effet secondaire. Tout reste à éprouver sur de grandes séries dans la pratique. Mais on peut se montrer raisonnablement optimiste pour les suites à en attendre.

   Nat. Metab. 10.1038/s42255-023-00761-7
   Science, 2023 ; 169 : 169 
 
 

BIOZOOM

Est-ce un chat ? Est-ce un lynx ? Est-ce un mini guépard ? Il s’agit d’un serval (Leptailurus serval) ! Ce gros chat carnivore (il avale généralement ses proies entières) vit dans la savane africaine. Et il a des capacités hors norme: grâce à ses oreilles paraboliques (disproportionnées par rapport à sa taille), il peut entendre le moindre petit bruit. Il a une excellente vision et surtout, grâce à ses longues pattes (elles aussi disproportionnées), une vitesse de pointe de 80 km/h ! C’est le félin le plus rapide après le guépard. Toutes ces qualités lui permettent d’avoir un taux de réussite au niveau de la chasse de 50%. Plus que le tigre ou le lion !

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