L'Adn de…

Émilie
GILLIARD
Ingénieure
architecte

Propos recueillis par Virginie CHANTRY • virginie@marketrotters.com

© Elodie Ledure

Ingénieure architecte,  c’est une vocation  que vous avez depuis  toute petite ?

Absolument pas. Pendant longtemps, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Je pensais qu’il n’y avait pas de métiers scientifiques pour les femmes… simplement parce qu’on n’en parlait pas beaucoup à l’époque. Et puis un jour, une maison a commencé à se construire juste en face de chez mes parents. C’est là que j’ai eu une révélation. Un peu plus tard, j’ai retrouvé un vieux dessin de la façade de la maison de mes grands-parents où j’avais dessiné toutes les briques une à une… C’était peut‑être déjà en moi de manière inconsciente.

Le parcours passe par un cursus universitaire en ingénieur civil architecte à la Faculté des Sciences Appliquées. En 2000, j’ai privilégié Liège plutôt que Mons, pourtant plus proche de la région où j’habitais, parce qu’il n’y avait pas de cours d’architecture en candidature (ndlr: l’équivalent du bachelier). Si je n’avais pas réussi l’examen d’entrée, je me serais dirigée vers la Faculté d’Architecture.

Comment devient-on  ingénieure  architecte ?

Vous exercez  actuellement en tant  qu’ingénieure  architecte, gérante du  bureau Giga Architecture,  quelle est votre  journée-type ?

Ma journée type a changé depuis que je travaille à mi-temps pour la Faculté des Sciences Appliquées de l’ULiège. J’y donne des cours en tant qu’assistante pédagogique en méthodologie du projet architectural et ateliers de projet. Le reste du temps, je le consacre à la gestion du bureau Giga Architecture. Le lundi matin commence toujours par une réunion avec mes collaborateurs pour organiser la semaine et répartir les tâches. Ensuite, j’essaie de fixer les rendez-vous de prospection et les visites de chantier en dehors de mes heures de cours à l’ULiège. Le jeudi et le vendredi sont consacrés à la gestion du bureau et à mon équipe: rapports et suivis de chantier, préparation des offres, échanges avec mes collaborateurs pour valider leur travail et répondre à leurs questions, gestion des imprévus… Je n’ai plus de temps pour la production graphique.

Quand Athena m’a proposé de figurer dans un article consacré aux profils scientifiques, je me suis dit: «Tiens, on me voit comme une femme de science ?» Dans ma tête, je suis avant tout architecte. Pourtant, j’ai bien fait des études scientifiques, plus précisément de sciences appliquées. Et c’est justement ce qui me plaît: j’ai besoin de concret. Je préfère la pratique à la théorie. À l’unif, j’encadre les étudiants dans leurs travaux pratiques en mettant mon expérience de terrain à profit.

Quels sont vos  rapports avec la  science ? 

Quelle est la plus  grande difficulté  rencontrée dans  l’exercice de votre  métier ?

D’abord la gestion des imprévus, que j’ai appris à dompter et c’est devenu une force. Aujourd’hui, je parviens à prendre du recul et à me détacher émotionnellement. Ensuite et surtout, les relations humaines qui restent un vrai défi: chacun a sa manière de communiquer, son vécu, et il n’est pas toujours simple de décoder tout cela et de se faire comprendre. C’est un apprentissage continu, d’autant que je n’ai jamais eu de formation en communication ou en gestion relationnelle. C’est pareil pour le management: il faut apprendre à diriger une équipe sans avoir été formé à la gestion des ressources humaines.

Tenir un bureau depuis 15 ans, dans un métier complexe et mouvant. Je suis loin d’être la seule mais partir de zéro, comme on l’a fait avec Estelle, mon associée des débuts de Giga, sans reprendre un bureau familial ni bénéficier de belles références ou même d’un réseau, c’est une fierté. Je suis également heureuse d’avoir décroché ce mi-temps à l’ULiège. C’est une belle reconnaissance. 

Quelle est votre plus  grande réussite  professionnelle  jusqu’à ce jour ?

Quels conseils  donneriez-vous à un  jeune qui aurait envie  de suivre vos traces ?

Il faut être passionné. La profession attire par sa partie conceptuelle mais en réalité, cette phase est très courte. C’est un métier très procédurier, chargé de responsabilités. Et il n’est pas particulièrement rémunérateur par rapport aux prestations fournies, comparé à d’autres branches de l’ingénierie. Mon but n’est pas de décourager, mais d’être réaliste. Avec mes stagiaires, je partage les réalités du métier, tout en leur montrant qu’on peut faire les choses autrement. Aujourd’hui, on ne peut plus construire sans penser à la durabilité. En tant que professionnels du secteur de la construction, on a un vrai rôle à jouer à l’échelle de la société.
 

CARTE D’IDENTITÉ

Émilie GILLIARD

ÂGE : 42 ans

LIEU DE RÉSIDENCE : Liège

SITUATION FAMILIALE : Maman de deux enfants

PROFESSION : Architecte en maîtrise d’œuvre – gérante du bureau Giga Architecture & assistante pédagogique à l’ULiège

FORMATION : Ingénieure civile architecte à l’ULiège

    giga-architecture.be

Je vous offre une  seconde vie pour un  second métier…

Je resterais dans la construction, mais en m’impliquant dans des projets ou institutions à fort impact sur notre façon de construire et l’environnement. C’est ce qui me tient le plus à cœur aujourd’hui: repenser la façon d’habiter, réfléchir à l’impact global du secteur. J’aimerais pouvoir m’asseoir autour de la table où se discutent les projets d’avenir.

Si je pouvais allonger les journées… Je cours toujours après le temps. J’aimerais faire plus de sport, d’activités culturelles ou m’impliquer davantage dans des associations liées à ma profession comme des chantiers participatifs. C’est dire si c’est un métier-passion (rires).

Je vous offre un super pouvoir… 

Je vous offre un auditoire…

Un grand auditoire, ce n’est pas trop mon truc… sauf si c’est pour y donner un concert avec mon groupe ! Ce que j’aime, c’est m’adresser à une petite classe d’une trentaine d’étudiants, expliquer un énoncé, présenter quelques capsules théoriques puis discuter de leurs projets. De cette manière, je peux transmettre mon expérience de terrain et échanger sur les réalités financières, urbanistiques, humaines de la profession.

Je le dédierais à la mise en œuvre de matériaux naturels, biosourcés et de techniques de constructions alternatives sur chantiers participatifs. J’y inviterais étudiants et entrepreneurs. Je ne réinvente rien. Des associations comme le Bat’Acc (une plateforme d’éducation permanente en éco-bio-construction) ou le cluster Éco-construction, dont GIGA fait partie, facilitent l’accès à ce type d’initiatives: visites de chantiers, d’entreprises de production…

Je vous offre un laboratoire… 

Je vous transforme en un objet du  21e siècle…

Je pense tout de suite à l’intelligence artificielle… et ça ne m’attire pas. L’IA peut être un outil formidable mais elle consomme énormément d’énergie. Les rares fois où je l’utilise, je ne suis pas convaincue. Comme les réseaux sociaux, je trouve que ça rend les gens moins critiques, moins alertes. 

J’aimerais faire un long voyage avec mes enfants et leur faire découvrir des contrées hors Europe. L’idéal ? Un trek en montagne, en mode bivouac… mais pas que ! J’aime mêler aventure et confort: terminer le séjour dans un hôtel confortable, se relaxer dans un espace thermal et découvrir la gastronomie locale en bord de mer, ce serait parfait.

Je vous offre un voyage…

Je vous offre un face à face avec une  grande personnalité  du monde…

Zaha Hadid, architecte mondialement connue, malheureusement décédée trop tôt. Son style déconstructiviste et son architecture paramétrique sont très éloignés de ce que j’aime faire, mais ses réalisations sont d’une beauté incroyable. Et c’était une femme architecte à la tête de projets d’envergure, ce qui reste rare dans notre domaine.

Beaucoup d’ingénieurs architectes ne travaillent même pas en maîtrise d’œuvre et ne dessinent pas du tout. J’ai dessiné pendant des années mais depuis 2 ans, je n’ai plus le temps: je gère le bureau. Je ne fais plus que quelques retouches sur d’anciens plans. Le dessin n’est qu’une partie mineure du métier. Autour gravite tout le reste: métrés, cahiers des charges, recherche d’entreprises, analyse des offres, démarches administratives, suivi de chantiers…

La question «a priori»: en tant  qu’ingénieure architecte, tu passes ton  temps à dessiner des  maisons, non ?

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