Chimie

L’eau de mer comme source nucléaire

Milan VANDER WEE-LÉONARD • milan.vdwl@gmail.com

© Vlastimil Šesták – stock.adobe.com, © Tabloo

Des chercheurs chinois ont peut-être trouvé la clé d’un avenir énergétique plus durable (1). En parvenant à extraire efficacement l’uranium dissout dans l’eau de mer, ils ouvrent la voie à une nouvelle forme d’approvisionnement pour les centrales nucléaires: propre, abondante et accessible. Un trésor dilué sous nos yeux ?

 
L’uranium est la matière première essentielle à la production d’énergie nucléaire, utilisée pour générer de la chaleur, puis de l’électricité, dans les réacteurs. Jusqu’à présent, ce métal radioactif était extrait uniquement de mines terrestres, un processus complexe, coûteux, énergivore, et parfois géopolitiquement sensible. Mais une autre source, bien plus vaste, entoure nos continents: l’océan.

On estime que 4,5 milliards de tonnes d’uranium sont dissoutes dans les eaux marines, soit plus de 1 000 fois les réserves terrestres connues (que nous devrions épuiser vers l’an 2150…). Le problème, c’est que cet uranium est extrêmement dilué, environ 3,3 microgrammes par litre, ce qui rendait, jusqu’ici, son extraction peu réaliste. Les procédés testés dans les dernières décennies, basés sur l’adsorption (2) de l’uranium sur des matériaux spéciaux, se sont heurtés à des coûts trop élevés, une faible sélectivité et une grande lenteur.

Une équipe de l’Université de Hunan, en Chine, a récemment dévoilé dans Nature Sustainability une méthode électrochimique (3) innovante, sobrement appelée extraction bipolaire de l’uranium. Son principe ? Utiliser 2 électrodes (4) en cuivre plongées dans l’eau, reliées à une tension très faible (0,6 volt (5)), pour forcer les ions uranium à migrer vers la cathode (6), où ils sont piégés sous forme solide. C’est simple, robuste et remarquablement efficace.

Vers une énergie propre et durable

Les résultats obtenus en laboratoire sont impressionnants. Dans une solution simulant l’eau de mer, 100% de l’uranium a été extrait en moins de 40 minutes. Avec de l’eau de mer naturelle, l’efficacité a atteint 85%. Mieux encore: les électrodes sont réutilisables sans perte d’efficacité notable, même après une dizaine de cycles. La faisabilité industrielle reste à prouver. Il faudra tester cette technologie en mer, sur des périodes prolongées, en tenant compte des courants, de la corrosion, ou de la bioaccumulation d’organismes marins.

C’est surtout le coût qui change la donne. L’équipe estime le prix de production à environ 80 $/kg. Ce coût approche celui de l’uranium actuellement exploité, oscillant de 20 à 80 $/kg. En d’autres termes, cette avancée rend enfin économiquement envisageable l’extraction d’uranium marin à grande échelle.

Les bénéfices sont globaux: si cette méthode se généralise, elle pourrait transformer l’uranium en ressource universelle, libérée des tensions liées aux zones d’extraction, et permettre à de nombreux pays de sécuriser leur transition énergétique.

L’impact environnemental est aussi un facteur clé. Contrairement aux mines, qui génèrent des déchets toxiques, de la poussière radioactive et consomment d’importantes quantités d’eau, cette méthode repose sur un prélèvement doux, sans rejet nocif. Les électrodes captent l’uranium naturellement présent, sans perturber l’équilibre marin. À long terme, ce procédé pourrait redéfinir les bases de l’industrie nucléaire mondiale. Car si les océans renouvellent leur teneur en uranium grâce à l’érosion des roches terrestres, cette ressource pourrait être considérée comme renouvelable à l’échelle humaine.

En conjuguant efficacité énergétique, faible coût, impact environnemental réduit et abondance durable, l’extraction électrochimique de l’uranium marin s’impose comme l’une des plus grandes promesses de l’ingénierie énergétique du 21e siècle.
 
 

DO IT YOURSELF !

ENVIE DE DÉCOUVRIR LES DESSOUS DU NUCLÉAIRE EN BELGIQUE ?

Rassure-toi, je ne vais pas te proposer une expérience radioactive ou d’extraire de l’uranium de nos rivières ! Le Tabloo, situé à Dessel, en province d’Anvers, est un centre de visite unique en son genre. Construit par l’ONDRAF (Organisme national des déchets radioactifs), ce lieu immersif te plonge dans les enjeux de la gestion des déchets nucléaires et de l’énergie de demain.

Ce qu’on y fait: on explore des expositions interactives, on découvre des films sur l’atome et la radioactivité, on suit le parcours de l’uranium… et on comprend comment la Belgique prépare le stockage des déchets à très longue durée.

Pour qui ? Pour les curieux de tous âges ! Écoles, familles, étudiants ou passionnés de sciences: chacun y trouve son compte grâce à une muséographie ludique et moderne.

Pourquoi y aller ? Parce que comprendre l’énergie, c’est s’emparer des choix de société de demain. Et que c’est passionnant, surtout dans un lieu aussi bien conçu. Le tout au cœur même du site de stockage nucléaire belge. Une sortie utile, captivante… et radioactive (mais pas trop) !


(1) Y. Wang, Nature Sustainability 2025 (    https://doi.org/10.1038/s41893-025-01567-z).

(2) L’adsorption est un processus physique où des entités se fixent à la surface d’un solide. Ce phénomène est différent de l’absorption, où les entités pénètrent à l’intérieur du solide.

(3) Les méthodes électrochimiques reposent sur le passage d’un courant électrique dans un système hétérogène: un circuit électrique classique et un conducteur ionique (électrolyte), qui peut être un fluide.

(4) Une électrode est un conducteur électronique destiné à être mis en contact avec un milieu de conductivité différente, comme un électrolyte.

(5) Pour rappel, une pile classique AA débite 1,5 V, soit presque 3 fois plus !

(6) La cathode est l’électrode où a lieu une réduction, une réaction où une entité gagne des électrons. Il existe également l’anode, lieu de l’oxydation, où des électrons sont perdus. La combinaison de ces 2 réactions permet une circulation d’électrons et donc la génération d’un courant, c’est une oxydoréduction (rédox).

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