Dossier

Prisonniers de l’exercice physique

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Parmi les addictions comportementales, l’une des moins connues est la dépendance à l’exercice physique. Elle possède la caractéristique d’avoir pour objet une activité valorisée socialement. Elle n’en est pas moins sous-tendue par des traumatismes passés, certains traits de personnalité, des facteurs psychologiques et psychiatriques, des mécanismes neurobiologiques… Sans compter qu’elle n’échappe pas au syndrome de sevrage en cas de diminution ou d’arrêt brutal de l’activité

 
La littérature scientifique est pauvre en données épidémiologiques précises et fiables concernant les addictions comportementales. Si les dépendances à l’alcool ou aux drogues amènent généralement à consulter un centre de soins, il n’en va pas de même pour les addictions comportementales. D’autant que certaines ont tendance à être valorisées socialement. Cas du workaholisme (dépendance au travail) et de l’addiction à l’exercice physique. Ce n’est pas tout. La cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders (DSM‑5) de l’Association américaine de psychiatrie ne répertorie explicitement que 2 addictions comportementales: la première a trait aux jeux d’argent (jeu pathologique) et la seconde, aux troubles des comportements alimentaires, plus spécialement aux accès hyperphagiques récurrents, précédemment qualifiés d’hyperphagie boulimique (1).

Toutefois, d’autres comportements présentant entre autres une composante de compulsion (envie irrépressible) sont généralement appréhendés comme des addictions comportementales tant par les chercheurs que par les cliniciens. Ils s’inscrivent principalement mais pas exclusivement dans la sphère des achats, de la sexualité et de la cyberpornographie, de l’usage des smartphones, de l’activité sur les réseaux sociaux, de l’attrait pour les jeux vidéos, du travail et de l’exercice physique.

Jamais assez musclé

Centrons-nous sur l’addiction à l’exercice physique, que beaucoup qualifie également de «bigorexie». Cette synonymie relève cependant de l’abus de langage. La bigorexie traduit une obsession relative à l’image du corps, que l’on veut toujours plus musclé, mieux sculpté. On parle aussi de «complexe d’Adonis», par référence à ce jeune homme d’une beauté exceptionnelle évoqué dans la mythologie grecque. C’est sur ce terreau que peut éclore une pratique physique intensive répondant aux critères d’une addiction qui, en l’occurrence, est souvent accompagnée de troubles du comportement alimentaire, voire du recours à des substances dopantes tels ces «engrais du muscle» que sont les stéroïdes anabolisants.

Comme le souligne le psychiatre français Laurent Karila, professeur à l’Université Paris-Saclay et praticien au sein du service d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, la bigorexie est un trouble dysmorphique corporel qui, dans la plupart des cas, est associé à une pratique excessive de l’exercice physique. Précédemment, les psychiatres utilisaient le terme de «dysmorphophobie musculaire» au lieu du vocale actuel de «dysmorphie musculaire». Ils se référaient ainsi à des fixations phobiques sur des parties du corps que le sujet trouvait trop grosses ou inesthétiques. «La personne bigorexique entretient une relation dysfonctionnelle et/ou déformée de l’image corporelle, en lien avec différents types de troubles, qu’ils soient émotionnels, identitaires, relationnels ou relevant de pathologies psychiatriques comme les troubles anxieux, les délires, les addictions ou les symptômes du spectre obsessionnel-compulsif», précise le professeur Karila.

En 1993, Harrison Pope Jr et ses collaborateurs du McLean Hospital à Belmont (États-Unis) publièrent les résultats d’une étude qu’ils avaient menée auprès de 108 hommes bodybuilders. Parmi ces derniers, d’aucuns répondaient aux critères de la bigorexie. À l’époque, les chercheurs américains proposèrent le concept d’«anorexie mentale inverse» (reverse anorexia) à propos de ce trouble. Pourquoi ? Parce que les hommes qui souffrent de dysmorphie musculaire ne se jugent jamais assez musclés, tandis que les personnes anorexiques (essentiellement des femmes) ne se trouvent jamais assez minces. Les individus bigorexiques se plient le plus souvent à une diète afin de réduire drastiquement leur masse graisseuse mais, en revanche, adhèrent sans réserve à une alimentation hyperprotéinée et, pour beaucoup, en viennent à faire appel à des stéroïdes anabolisants ainsi qu’à d’autres produits auxquels on attribue la propriété de «brûler les graisses».

Nous l’avons évoqué, l’addiction à l’exercice physique et la bigorexie ne sont pas une seule et même entité. Il existe 2 formes d’addiction à l’exercice physique: sans ou avec bigorexie, la seconde s’avérant toutefois largement majoritaire. En outre, on peut même concevoir un possible lien bidirectionnel entre les 2 entités, la bigorexie pouvant faire le lit d’une addiction au sport et inversement. Nonobstant, rien ne semble simple dans les univers entremêlés de l’exercice physique, du muscle et de l’image du corps. Si selon la 11e édition de l’International Classification of Diseases (ICD‑11), la bigorexie est bien définie comme une sous-catégorie du trouble dysmorphique corporel, elle est présentée différemment dans le DSM-5. «Elle y est décrite comme une obsession et une compulsion. En d’autres termes, elle entrerait dans le spectre des troubles obsessionnels-compulsifs (TOC)», indique Tara Berenbaum, pédopsychiatre, responsable médicale du Centre Thérapeutique du Trouble alimentaire de l’Adolescent (CTTA) au sein du Centre Hospitalier Le Domaine-ULB à Braine-l’Alleud.

Néanmoins, dans la pratique et en l’absence d’un consensus sur sa définition, Laurent Karila ne voit pas d’opposition à ranger la bigorexie parmi les addictions. Au-delà de ses autres caractéristiques, elle en revêt effectivement les attributs à travers le principal support sur lequel elle s’appuie: la pratique addictive de l’exercice physique. «Beaucoup d’auteurs épousent cette idée, mais pas tous, commente Tara Berenbaum. L’absence d’un véritable consensus tient au fait que de nombreux mécanismes sont impliqués dans la dysmorphie musculaire

Surpathologisation ?

Selon des données de l’Institut fédératif des addictions comportementales (IFAC), unité du CHU de Nantes dédiée à la recherche, la prévention et l’information relatives à ce type de dépendances, le taux de prévalence de l’addiction au sport varie de façon considérable dans la littérature scientifique au gré des outils d’évaluation utilisés. Certains travaux avancent le chiffre de 3% chez les personnes s’adonnant à une pratique sportive régulière; dans d’autres, ils sont de l’ordre de 5 à 7%, de 9%, de 17%, de 20%, de 30%, de 34% et même de plus de 42%. Tara Berenbaum insiste sur la rareté des études disponibles. D’après les données qui émanent de certaines d’entre elles, de 13,5 à 45% des bodybuilders souffriraient de bigorexie. Mais finalement que nous enseigne la disparité de tous ces chiffres lancés en vrac ? Que les critères retenus dans les différentes études, par ailleurs très rares, sont sans doute eux‑mêmes disparates, que la plupart des recherches font appel à des échantillons trop réduits et très ciblés (les bodybuilders le plus souvent) et que le concept même d’addiction à l’exercice physique reste brumeux.

Certaines personnes qui s’entraînent plusieurs heures chaque jour vous diront: «Je suis addict au sport.» Mais en soi, pareille assertion n’a aucune valeur, car elle repose le plus souvent sur une extension sans fondement de la notion d’addiction. On peut établir ici un parallèle avec le workaholisme: le nombre d’heures consacrées à travailler n’en est pas le baromètre, même s’il représente une composante du problème. Pour Damien Brevers, psychologue de l’activité physique et du sport à l’UCLouvain, il y a de même une «surpathologisation» des activités de loisirs, dont l’exercice physique. «Ainsi, dit-il de façon imagée, si l’objectif d’un bodybuilder est d’avoir des biceps aussi gros que sa tête mais que ça n’affecte en rien son bien-être, où est le problème ?» Bref, pourquoi parler de bigorexie dans un tel cas ? De manière analogue, les grands consommateurs de sport qui en retirent diverses gratifications, tels des émotions positives, un effet relaxant antistress ou encore une meilleure santé physique ou psychique ne peuvent être taxés d’addiction. Et aux yeux du professeur Brevers, le risque chez les athlètes de haut niveau est beaucoup moins l’addiction que le surentraînement, voire le burn‑out avec une éventuelle remise en cause du sens de leur implication dans le sport.

Certaines personnes qui s’entraînent plusieurs heures chaque jour vous  diront: «Je suis addict au sport.» Mais en soi, il ne s’agit là que d’une  extension sans fondement de la notion d’addiction.

Laurent Karila rappelle également que ce n’est pas le nombre d’heures de pratique qui définit l’addiction à l’exercice physique avec ou sans bigorexie. Ce qui ne l’empêche pas de préciser que la simple évocation d’une possible dépendance vis-à-vis du sport «fait hurler les coaches». Spécialement dans les salles de sport, lieux où risque de planer plus que partout ailleurs le spectre de la bigorexie. «Il ne faut pas oublier qu’il y a tout un business autour du sport et de l’exercice physique», ajoute le psychiatre français. Damien Brevers, lui, rapporte que lors des entretiens de psychologie clinique où s’exprime une vraie souffrance en lien avec une pratique outrancière de l’exercice physique, on constate presque toujours une relation problématique du sujet avec son corps, une dysmorphie musculaire accompagnée de troubles des comportements alimentaires. Ce qui n’exclut pas totalement l’apparition d’une dimension compulsive et addictive au niveau du geste à perfectionner chez l’athlète en quête d’une performance sportive optimale. Aussi parle-t-on parfois d’athlétisme compulsif, par exemple.

L’IMAGE D’ADONIS

La dysmorphie corporelle se  caractérise par une préoccupation  constante du sujet relative à des  défauts de son apparence  physique, réels ou supposés, que  les autres personnes ne perçoivent  pas ou jugent mineurs. Entendue  dans son sens strict de dysmorphie  musculaire, la bigorexie est très  probablement sous-tendue par une  souffrance psychique, dont il  semble établi qu’elle ait partie liée avec des problèmes d’estime  de soi, des pressions sociales ou  des idéaux de beauté irréalistes – d’où la référence à Adonis. 

«L’importance que confère notre  société à l’apparence physique est  à l’origine d’une anxiété sociale  extrêmement grande qui crée chez  certains une peur de ne pas être  assez musclés, assez grands, assez  beaux et les pousse à tout faire  pour répondre à ces critères. Selon  une étude publiée dans les années  2000, il y aurait 3 fois plus de  suicides dans la bigorexie que dans  les autres types de dysmorphophobies», commente la pédopsychiatre Tara Berenbaum.

Un triangle magique

Plusieurs critères sont requis pour que l’on puisse poser un diagnostic d’addiction, que celle-ci ait trait à une substance ou soit comportementale. Autrement dit, sur ce plan, la dépendance à l’exercice physique avec ou sans bigorexie est logée à la même enseigne que les autres. Le professeur Karila a proposé un moyen mnémotechnique pour conclure à la présence d’une addiction: la règle des 5 C, lesquels doivent s’observer durant au moins 12 mois. Quels sont-ils ? Premièrement, la présence d’une compulsion, comportement répétitif et souvent impulsif que la personne se sent obligée d’accomplir. Deuxièmement, une perte de contrôle sur celui-ci – elle n’arrive plus à le gérer. Troisièmement, la manifestation d’un craving, une envie intense et irrépressible de réaliser le comportement addictif. Quatrièmement, l’usage continu d’une substance ou l’exécution continue d’un comportement, c’est-à-dire quotidiennement. Cinquièmement, une absence de prise en compte des conséquences physiques, psychiques et sociales découlant du comportement considéré. «On pourrait ajouter l’existence d’une dépendance physiologique qui se traduit par des symptômes de manque et/ou un phénomène de tolérance, la nécessité d’augmenter les doses pour retrouver les effets initiaux», dit Laurent Karila.

À l’instar de ce que l’on observe dans les autres dépendances, l’addiction à l’exercice physique est d’origine multifactorielle. Certains facteurs de vulnérabilité y prédisposent. Des traumatismes passés ou actuels, notamment. Par exemple, de la maltraitance durant l’enfance, une rupture, du harcèlement… Des traits de personnalité peuvent également être impliqués. Le perfectionnisme en est un, très courant. «En outre, on retrouve assez fréquemment des tendances obsessionnelles, une certaine propension à des conduites compulsives et des degrés narcissiques élevés», précise le psychiatre de l’hôpital Paul-Brousse. Par ailleurs, divers facteurs psychologiques et psychiatriques partagés par tous les types d’addiction peuvent être à l’œuvre. Parmi ces racines communes susceptibles de participer à la genèse de l’addiction figurent différents troubles possibles, notamment de l’humeur, anxieux, du sommeil, bipolaire, de l’attention avec hyperactivité, de l’image corporelle, de la personnalité ou encore de l’estime de soi, cette dernière dimension apparaissant transversale à toutes les addictions comportementales. Néanmoins, lorsqu’on franchit la porte des comorbidités, il s’avère difficile de démêler l’écheveau, d’autant que les études scientifiques sur l’addiction à l’exercice physique avec ou sans bigorexie brillent par leur rareté. Les maladies comorbides ne sont pas nécessairement liées à la dépendance par un lien de cause à effet. Elles peuvent être simplement concomitantes et si lien il y a, quels sont les mécanismes et la temporalité de l’association ? In fine, chaque cas est unique et, ainsi que le souligne Damien Brevers, il faut alors déterminer la fonction profonde du comportement problématique.

Un autre élément, de nature neurobiologique, doit être pris en considération dans l’addiction au sport avec ou sans bigorexie: l’impact d’une production accrue de certaines hormones et de certains neurotransmetteurs. Il fut d’ailleurs un temps où, dans une vision réductrice du problème, d’aucuns attribuèrent cette dépendance à la forte libération d’endorphines lors d’une activité physique importante. Sécrétées au niveau cérébral, ces hormones procurent une sensation d’euphorie et de bien-être, ont un effet antifatigue et anxiolytique. La ß-endorphine est sans doute la plus connue et la plus étudiée. «L’élévation significative de ses taux plasmatiques dépend de l’intensité et de la durée de l’exercice, mais présente une importante variabilité interindividuelle, précise le professeur Karila. On a montré également que, pour un même effort, les sujets entraînés ont un taux de ß-endorphine de 50% plus élevé que les sujets non entraînés

Lors de l’activité physique, ces hormones ne font pas cavalier seul. Différents neurotransmetteurs en interaction sont aussi impliqués dans les sensations positives éprouvées par le sujet. Il existe un «triangle magique» dont les pôles sont la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine, dont les métabolismes respectifs sont augmentés par l’exercice physique. Dans ces conditions, le taux accru de sérotonine module la perception de la douleur et élève son seuil de tolérance; l’action sérotoninergique possède un côté apaisant, anxiolytique. «C’est pourquoi la chute du taux du neuromédiateur lors de l’arrêt de l’activité physique initie chez le sportif des états de colère, d’irritabilité et de dépression», rapporte Laurent Karila. Boostée, la noradrénaline, elle, influe principalement sur la réponse au stress, la vigilance et la concentration, tandis que, stimulée pendant et après l’effort par la sécrétion de peptides opioïdes endogènes, en particulier les endorphines, l’augmentation des taux cérébraux de dopamine agit sur le circuit de la récompense, procurant par là même du plaisir ainsi qu’un sentiment de contrôle et un surcroît de motivation. À ce tableau se greffe encore la production d’endocannabinoïdes naturels, générateurs d’effets antalgiques et de bien-être.

DES TENDANCES ET DES DOUTES

Selon l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep – France), certains sports qui valorisent l’apparence physique ou imposent des contraintes de poids seraient plus à risque de dépendance que d’autres. Et de citer entre autres le culturisme, la course à pied, le trail, la natation synchronisée, la gymnastique, la lutte, le judo, le cyclisme… On pourrait ajouter le caractère stéréotypé des entraînements comme élément favorisant supplémentaire (cyclisme, athlétisme…). D’après certaines sources, les hommes deviendraient plus facilement addicts au sport que les femmes, mais le risque existe toutefois dans les 2 sexes. 

Ici encore, les informations sont parcellaires. «Les échelles créées pour évaluer la prévalence de la bigorexie n’ont été appliquées qu’à des bodybuilders et certaines populations de militaires, souligne Tara Berenbaum. Les données récoltées ne concernent ni les athlètes ni les femmes.» Et l’âge ? L’addiction au sport touche essentiellement des adultes. «Si des enfants et des adolescents présentent des facteurs de vulnérabilité tels qu’une faible estime de soi, des signes de dépression ou d’anxiété ou encore de l’hyperactivité, ils n’auront généralement une propension à développer ce type de dépendance qu’avec l’arrivée de l’âge adulte», signale le professeur Karila.

 
L’obsession du corps parfait

Chez des personnes prédisposées par leur génétique, leur histoire (traumatismes), la pression sociale ou leurs traits de personnalité, les mécanismes biologiques qui rendent l’activité physique gratifiante contribuent à engendrer une assuétude. La dépendance biologique se traduit par un investissement régulier et progressif dans l’effort physique, tant en intensité qu’en durée, afin de repousser sans cesse le seuil de tolérance sous lequel les sensations agréables escomptées n’ont plus cours. En cas de diminution ou d’arrêt brutal de la pratique sportive, l’individu addict est en proie aux manifestations physiques et psychiques du syndrome de sevrage présent à des degrés divers dans toutes les dépendances comportementales ou aux substances. «L’état de manque se manifeste par de la tristesse, de l’angoisse, de l’irritabilité, de la dépression, des troubles de l’appétit ou du sommeil, des douleurs physiques parfois intenses… Autant de symptômes qui incitent le sujet à la réinstallation rapide de l’activité compulsive après une période d’interruption de l’exercice physique», dit Laurent Karila.

Le sport envahit, accapare la vie de ceux qui en deviennent addicts; chez eux, le bien-être et le plaisir découlant de l’activité physique deviennent de vains mots car priment le besoin, la nécessité, le devoir. Focalisés sur cet aspect de leur existence, les «drogués du sport» voient leur vie sociale, professionnelle et familiale se déliter. Ils délaissent leurs proches, leurs amis, leur travail. S’agitent alors les spectres du divorce, du licenciement, de l’isolement, issues qui viennent renforcer la souffrance et les troubles psychiques (anxieux, dépressifs…) qui les accablent. Le corps lui-même est mis à rude épreuve par l’excès d’exercice physique – épuisement, blessures musculaires, ligamentaires, tendineuses, risques cardiovasculaires accrus, arthrose, manque de sommeil… De surcroît, chez la femme, la survenue de troubles menstruels, notamment d’aménorrhée augmentant la probabilité de développer de l’ostéoporose, est bien réelle en raison d’une baisse des taux d’œstrogènes en lien avec l’épuisement physique. Par ailleurs, lors de périodes de surentraînement, les taux de testostérone sont altérés, faisant le lit d’une érosion de la libido et, chez l’homme, également de possibles troubles érectiles ou d’éjaculation précoce.

Dans la bigorexie, la quête du corps parfait est obsessionnelle. Mais voilà, la perfection n’est pas de ce monde. Aussi faut-il s’exercer et s’exercer encore, compulsivement. L’individu bigorexique est souvent inféodé à la dictature de l’apparence de soi: il tend à se regarder fréquemment dans les miroirs, à s’habiller avec grand soin, à éviter parfois de se montrer en public pour ne pas livrer une image insatisfaisante. Dans ce contexte, la voie des troubles alimentaires, voire du dopage, est tracée: alimentation hyperprotéinée et éventuellement prise de stéroïdes anabolisants pour favoriser le développement du muscle; orthorexie (2) et même anorexie mentale pour chercher à atteindre le «graal», un corps à la fois hypermusclé et mince. «Chez certaines personnes addicts au sport, on retrouve des comorbidités addictives comportementales portant en particulier sur des conduites sexuelles excessives et des paris sportifs. Chez les plus jeunes, on observe plutôt une prévalence de troubles comorbides en rapport avec les jeux vidéo», indique Laurent Karila.

C’est le plus souvent sur le conseil de leurs proches que des personnes addicts à l’exercice physique consultent le milieu médical. Les thérapies cognitivo-comportementales sont les plus prisées. Selon notre interlocuteur, le traitement, qui doit être très structuré, fait idéalement appel à un médecin spécialisé, un psychologue et un infirmier en addictologie. «Il dure en moyenne un an, parfois jalonné de récidives», précise-t-il. Il s’agit de travailler sur le craving, sur les pensées erronées, de remotiver le patient à s’investir dans des aspects de sa vie qu’il a négligés – relationnels, familiaux, professionnels –, mais en finalité de lui permettre de retrouver le plaisir à pratiquer une activité physique.

   Pour en savoir plus

Consulter le podcast ADDIKTION:     https://podcasts.audiomeans.fr/addiktion-98e77f1dfa06

(1) Consommation récurrente de grandes quantités d’aliments, accompagnée d’une sensation de perte de contrôle.

(2) Volonté obsessionnelle de manger sain

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